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Du développement de la critique théâtrale

— par Janine Bailly —

Lors des rencontres du Premio Europa per il Teatro à Rome, la communication de l’AICT (Association Internationale des Critiques de Théâtre) sous l’égide de la présidente Margareta Sörenson et de Jean-Pierre Han le vice-président, nous a informés de l’action accomplie afin que se développe, de par le monde, la critique théâtrale.

Depuis 1978, des stages sont organisés, sur des festivals (d’art dramatique, de marionnettes…), qui concernent des jeunes ayant déjà accès à la profession de critique, et qui n’ont pas encore atteint l’âge de trente cinq ans. Chaque stage s’adresse à deux groupes de huit à dix participants, l’un de langue anglaise, l’autre de langue française. Cependant, il arrive que soit pratiquée aussi la langue du pays accueillant, ainsi en Chine un groupe fut animé en mandarin, ce qui selon certains est une avancée positive, mais qui pour d’autres est un obstacle aux échanges. Selon les statistiques, 25% des stagiaires seulement sont de sexe masculin, ce qui semblerait refléter la situation de la critique aujourd’hui.

S’il s’agit d’abord d’analyser puis de commenter les spectacles, l’apprentissage se fait aussi au niveau de la langue et de l’écriture.

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Le Prix Europe — Du côté de chez Huppert et Irons

— Par Janine Bailly —

Lauréats du Prix Europe pour le Théâtre, Isabelle Huppert et Jeremy Irons, lors de tables rondes matinales tenues au Palazzo Venezia à Rome, nous ont bien volontiers dévoilé une partie de leur intimité, après que les participants nous eurent dressé leur portrait et rappelé leur parcours professionnel. La providence en soit louée, une traduction simultanée de l’anglais au français étant assurée j’ai eu le bonheur de suivre comédien et comédienne dans leur langue maternelle respective.

 

Jeremy Irons, qui put entendre à son sujet des commentaires élogieux, un peu trop proches à mon goût de l’hagiographie, a animé sa prestation, quittant son siège, mimant pour le plaisir de la salle une entrevue un peu houleuse avec Harold Pinter, et pratiquant avec élégance un humour propre à dérider son auditoire. Un peu cabotin, mais si charmeur, il a enthousiasmé le public féminin et, conscient de ce charme, a tenu à préciser que son épouse était dans la salle ! De cette star, qui dans la vie se montrerait simple et généreuse, se déplaçant à moto ou vélo et refusant les gardes du corps, chacun reconnaît la force d’une voix unique, qui sait mettre en relation « délicatesse, douceur, obscurité ».

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Le théâtre, à ses deux extrémités

— par Janine Bailly —

La programmation du Prix Europe pour le Théâtre, qui s’est voulue éclectique, nous a menés aux deux extrémités du spectre, du plus classique au plus novateur, ce que l’on a pu constater après avoir vu le Richard II proposé par Peter Stein, et la performance Filth, du théâtre NO-99.

De Peter Stein, réalisateur berlinois qui en son temps a révolutionné la Schaubühne, je connaissais la réputation, et j’en attendais beaucoup, quand bien même un critique mauvais coucheur avait titré son article « Richard II, ou la fatigue du spectateur ». La représentation il est vrai s’étire sur trois heures coupées d’un bref entracte, et l’on put y voir maint spectateur dodeliner, s’ensommeiller, consulter sous cape son portable, tandis que les plus audacieux rassemblaient leurs affaires et prenaient subrepticement la fuite… Il est vrai aussi que cette pièce austère, qui traite presque exclusivement de la déposition d’un roi, huitième de la dynastie Plantagenêt, et de son remplacement, à la suite de manœuvres tortueuses, par son rival l’usurpateur — ce qui selon Shakespeare engendrera plus tard la Guerre des Deux-Roses — n’est pas la plus attrayante de son auteur.

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UNTITLED_I will be there when you die

— Par Janine Bailly —

Les spectacles proposés à Rome dans le cadre du Prix Europe pour le Théâtre sont dans l’ensemble surprenants car novateurs et très personnels. Ils prouvent que l’art n’est pas mort, que la crise du théâtre ne peut être que prétendue, et que de nouvelles troupes inventent encore des façons particulières de dire le monde, et notre humanité.

Alessandro Sciarroni — metteur en scène, chorégraphe, danseur, comédien, vidéaste ?— dit avoir embrassé une carrière artistique un peu par hasard, pour faire comme les copains. Ses spectacles tiennent de la performance, et celui-ci, vu au théâtre Argentina, s’inspire du cirque puisque Alessandro y « met au défi » quatre comédiens-jongleurs, dans des épreuves qui exigent un engagement physique total, une grande adresse, une résistance mentale assurée, et beaucoup beaucoup d’endurance.

Pendant cinquante minutes, les quatre garçons vont jongler, sans prendre le temps d’une respiration. En silence d’abord, le seul son audible étant celui des massues frappant la main à la réception. Et l’on croit entendre la goutte d’eau obsédante échappée d’un robinet mal refermé, et l’on imagine la clepsydre qui lentement mais sûrement se vide.

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Une escapade romaine, à la rencontre du théâtre européen

— par Janine Bailly —

La seizième édition du Prix Europe pour le Théâtre se tient cette année à Rome, sous l’égide de son président Jack Lang et de la Commission Européenne. C’est une fête qui se déroule au cœur de la ville antique, fête de la créativité, célébration du vivre ensemble en dépit des frontières et lignes de démarcation qui prétendent nous isoler les uns des autres. Car, ainsi que le déclare Sergio Matterella, « l’Europe a plusieurs voix, mais de par son humanisme elle respecte nos différences ». Outre aux spectacles proposés, il nous est donc loisible d’assister aussi à la remise des prix pour l’année 2017 ou à des conférences, comme de rencontrer des metteurs en scène afin de découvrir ce qu’ils ont à nous dire, du théâtre contemporain et de leurs propres créations.

La première représentation, donnée au théâtre Argentina en italien mais sur-titrée en anglais, est une version très originale de King Lear. Le metteur en scène, Giorgio Barberio Corsetti, est connu pour s’efforcer « depuis des décennies d’explorer à travers ses spectacles la frontière entre le théâtre et les autres arts ».

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« Le Monstre », ou Agota Kristof revisitée par Guillaume Malasné

— par Janine Bailly —

Comment mettre en scène, sans figurer le monstre, cette fable cruelle d’Agota Kristof ? Comment donner son universalité à cette histoire, qui ne serait située ni dans le temps ni dans l’espace ? Et comment rendre compte de ce noir pessimisme, de cette vision désenchantée — ou trop lucide ? — d’une société victime de ses propres démons ?

Tel est bien le défi relevé aujourd’hui par Guillaume Malasné et sa troupe de comédiens. Défi relevé avec originalité, dans un spectacle total et singulier, qui émeut, questionne, invite à la discussion et à la controverse, chacun s’efforçant de donner une identité, une figure à ce monstre ambivalent, quand sa créatrice elle-même l’a laissé dans son anonymat — d’origine peut-être mythologique ? Car il est le Bien et le Mal, ce monstre ambigu, dont le dos gris, tout d’abord surface malodorante, se fait jardin de fleurs au parfum enivrant, figuration de quelque paradis artificiel. Un parfum qui ne tarde pas à subjuguer la presque totalité d’un village, à l’exception du jeune Nob, bras armé de l’Homme Vénérable, ce “chef de tribu” qui avouera avant de disparaître et son erreur et sa défaite consommée.

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Avec Corinne Plantin, sur les chemins du Street Art

—Par Janine Bailly —

Visiter l’exposition que le musée de l’habitation Clément consacre à JonOne, ce fut pour moi comme entrer par effraction dans un monde autre, subir d’abord l’agression des couleurs mêlées ou du noir marié au blanc, percevoir l’enchevêtrement de lignes courroucées, suivre du regard, sans en connaître la destination, le chemin de flèches dessinées sur la toile ou matérialisées par des structures en trois dimensions faites de bois, acier, aluminium et plexiglass dans l’espace. Puis acceptant l’immersion dans cet étrange univers, il m’est apparu que, si de ces créations se dégageait bien une sorte de révolte dans la remise en question des formes traditionnelles d’expression artistique, il en émanait aussi une forme d’harmonie, de reconstruction du monde, de réorganisation du chaos.

Cependant, aimant les fresques murales sans bien connaître par ailleurs la signification des graffs et tags, j’ai voulu apprendre à décrypter un peu le langage des street artistes, et pour cela ai assisté à la conférence Le street art de New York à Fort-de-France, donnée au musée-même ce dimanche matin par Corinne Plantin, docteure en géographie culturelle, spécialiste en la matière, et qui sait partager avec enthousiasme et clarté ses connaissances et sa passion pour cette culture urbaine, aussi riche et diverse qu’originale.

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Le Mois du Doc au Lamentin : accepter nos différences

— par Janine Bailly —

Ce vendredi avait lieu, à la salle de cinéma du Centre Culturel du Bourg, au Lamentin, une bien belle cérémonie de clôture pour le maintenant traditionnel Mois du Documentaire. Le thème choisi cette année, « la Différence », riche d’occurrences diverses, non seulement a donné lieu à des projections originales, mais s’est aussi montré propice à la discussion, au débat d’après projection.

Trois films ce soir-là pour célébrer nos différences, nous rappeler ce qu’elles ont de douloureux et d’enrichissant à la fois, pour nous aider à comprendre l’autre, en dépit des barrières que dressent trop souvent les hommes, et qu’il nous faut faire tomber.

Différence des sexes, interrogation sur la place de la femme, dans la famille et dans la société, quand on vous a imposé un prénom qui ne correspond pas à votre genre de naissance, tel est le propos du court-métrage Mauvais genre, présenté par la réalisatrice guadeloupéenne Guy Gabon. Le titre, lourd de sens, nous ouvre déjà à l’idée qu’une petite fille, venue en place du garçon désiré agrandir une famille qui comptait déjà deux petits mâles, a porté ce prénom de genre opposé à son sexe féminin comme « un fardeau », sous le regard suspicieux des autres.

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Christiane Emmanuel : « Je remets le couvert : Indigestion »

— par Janine Bailly —

« Mangeons all inclusive, suite… ». De quoi s’agit-il ? Deux représentations, cette semaine, à Tropiques-Atrium, pour ce spectacle, extrait d’une trilogie  sur le mal-être, que Christiane Emmanuel dit avoir écrite en 2008, à partir d’un constat fait sur nos comportements alimentaires. Qu’en est-il, se demande-t-elle, dix ans après ? Que sont nos rapports à la nourriture, et par-delà, au monde ?

Dans le billet de présentation très explicite que la chorégraphe a elle-même rédigé, il est question de fast food. Ça, on ne connaît que trop, “ça” qui prolifère sur l’île ! Il est question de junk food, en français malbouffe, pléonasme en quelque sorte pour fast food. Question encore de pornfood, une tendance qui s’est emparée des réseaux sociaux, et qui consiste à prendre en photo ce que l’on mange, en le présentant sous ce qu’on pense être son plus beau jour, afin d’allécher de potentiels “amis”.

Ici, le son d’abord, comme sorti d’une forêt profonde, mystérieux, annonciateur de quelque sortilège. La lumière initiale comme retenue, rematérialisant les contours d’un espace blanc posé sur la scène, occupé en chacun de ses angles par un corps, ou couché, ou allongé, ou recroquevillé, dans ses habits bruns.

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« Ovando », ou comment revisiter l’histoire

— par Janine Bailly —

Lors de ce moment ultime d’une représentation, nommé « bord de scène », l’un des comédiens nous dira, de la présence anachronique du magicien Volvéro auprès du gouverneur Ovando, — volver, revenir ? ici, revenir dans le passé, revenir sur le passé historique ? — qu’elle est destinée à nous rappeler, dans de constants aller-retours, la ressemblance entre autrefois et aujourd’hui, la similitude entre la colonisation par les puissances européennes au temps des “grandes découvertes”, la colonisation sous forme plus récente de territoires d’outre-mer, et l’aliénation qui d’une autre façon perdure.

Le procédé peut sembler un rien pédagogique : le dramaturge “envoie” le voyageur du temps, le magicien Volvéro, vite promu scribe-cartographe-bouffon, auprès du gouverneur et de son secrétaire Médina, sur l’Hispaniola du début du seizième siècle afin qu’il tente, mais en vain, de changer le cours de l’Histoire. Ainsi, Georges Mauvois, de concert avec son personnage, peut répondre par la négative à la question de savoir si les choses auraient pu être différentes, et si le nez de Cléopâtre avait été, etc. Mais ne nous incite-t-il pas aussi à rêver sur ce que serait la Caraïbe, au cas où le génocide des Peuples Indiens n’aurait pas eu lieu ?

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« La fin de Mame Baby » : un essai transformé !

— par Janine Bailly —

De Gaël Octavia, nous connaissons déjà le talent de dramaturge, pour avoir eu la chance d’assister, sur la scène foyalaise à la représentation de Congre et Homard, puis de Cette guerre que nous n’avons pas faite. À la médiathèque du Saint-Esprit, nous avons pu, dans le cadre d’une Carte Blanche proposée en 2017 par Rencontres pour le lendemain, découvrir un peu de sa vie, écouter ce qu’avaient à nous en dire ses parents, sa sœur plus particulièrement, ses amis : est-ce pour cela que j’ai cru déceler quelque chose d’elle dans ses pages ?

Car voici à présent que se dévoile une nouvelle facette de la jeune femme, qui pour la première fois s’essaie avec bonheur au roman. Elle nous livre La fin de Mame Baby, roman paru chez Gallimard, dans la collection “Continents noirs”. Une réussite, un premier pas pour celle qui, n’en doutons pas, saura se frayer un chemin sûr dans la jungle de l’édition. Aussi bien la remarque-t-on, en cette rentrée littéraire pourtant foisonnante d’œuvres nouvelles. Et puis, être d’emblée retenue par Gallimard, ce n’est pas rien !

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« Entre deux tempêtes » : au risque de s’y noyer !

— par Janine Bailly —

De la Commedia dell’arte, ils ont l’énergie, la vitalité, le burlesque et les masques, certains des personnages typés — le valet, les amoureux, la jeune fille de bonne famille —, ou encore la souplesse du corps qui permet les cabrioles, et ce talent mimique qui vient en alternance suppléer l’absence du masque. Sans oublier la possibilité d’inclure musique, chant et prouesses physiques au cœur du spectacle.

“Ils”, ce sont les cinq comédiens qui, avec La compagnie du Mystère Bouffe, nous ont présenté cette semaine, en ouverture de saison au Théâtre Aimé Césaire, leur création nommée Entre deux tempêtes — celle de Shakespeare, celle de Césaire —, puisqu’aussi bien ils se sont inspirés, pour se nommer et se mettre en scène, du dramaturge italien Dario Fo, lequel adapta au vingtième siècle les “canevas ancestraux” de la commedia dell’arte — citons en 1969 la pièce Mystère Bouffe. Sans la préposition, Carlo Boso, italien lui aussi, fit plus tard évoluer dans la même tradition sa compagnie Mystère Bouffe. Ce genre théâtral n’est pas inconnu du public martiniquais, qui put applaudir au mois de juin la pièce Public or not public, dans une mise en scène de Carlo Boso précisément.

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Festival de bande dessinée : Quand la caravelle fait ses bulles  

— par Janine Bailly —

La 5ème Biennale de Bande Dessinée investit La Trinité. Du 12 au 14 octobre, sur la Place Joyeuse, se tiendra le Village de cette manifestation joliment intitulée “La Caravelle fait ses bulles”. Le thème en sera “ Les enfants terribles de la BD”. Par bonheur, pour qui ne pourra prendre la route, un mini “festival off” est aussi offert à Fort-de-France, à l’initiative, entre autres, de la célèbre Kazabul, sise rue Lamartine dans ses nouveaux locaux, et bien connue des amateurs du genre.

En raison d’une rentrée culturelle foyalaise qui une fois encore ouvre grand son éventail d’événements divers et variés, je n’ai personnellement pu assister qu’à une des rencontres offertes, mais qui valait bien son pesant d’or : organisée par la BU du campus de Schœlcher, elle m’a permis de découvrir ou revoir sept auteurs venus répondre à la question de savoir ce que signifie “dessiner (à) la marge”. Des échanges d’une bonne teneur, dans un amphithéâtre surchauffé, n’ont pourtant pas découragé les lycéens venus nombreux du lycée de Saint-Pierre, et dont certains munis de carnets et crayons se sont mis, tout en prêtant une oreille attentive, à fort bien dessiner tout autour de moi.

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« Pour un oui ou pour un non » : de la force des mots chez Sarraute

— par Janine Bailly —

« Écoute », tel est le premier mot prononcé par l’homme H1, venu auprès de son ami, l’homme H2, quêter une explication au refroidissement de ce qu’ils ont pris jusqu’alors pour une indéfectible amitié.  « Écoute », au sens de entends ma demande, entends et plus encore, comprends le questionnement qui est le mien. Car, au vu de cette injonction, il s’agit bien ici d’incommunicabilité, de cette incompréhension inhérente aux échanges entre nous, tous humains anonymes, incompréhension qui nie ce schéma de la communication, tel que défini par Jakobson, et dans lequel le message envoyé par un “émetteur” serait perçu puis compris par un “récepteur” à l’autre bout de la chaîne. Pour un oui ou pour un non, titre ambigu, et qui annonce la volonté d’accorder de l’importance aux mots : prise dans sa globalité, l’expression indique une action sans raison valable ni sérieuse ; prise mot à mot, on comprend que, de la gangue lourde de silence, il faudra faire émerger une cause ou une autre, une justification ou une autre, un oui ou un non en somme !

Pour un oui ou pour un non est une courte pièce, la dernière de Nathalie Sarraute, d’abord écrite en 1981 pour une diffusion radiophonique — on comprend alors tout le poids des mots —, puis publiée et créée à New-York avant d’être montée en France, en 1986, au théâtre du Rond-Point, avec Samy Frey et Jean-Francois Balmer.

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Un Papillon Bleu s’est posé sur Fort-de-France

— par Janine Bailly —

Le Papillon Bleu, c’est la belle enseigne d’une librairie indépendante, sise au Rond-Point du Viet Nam Héroïque, et qui s’est ouverte à Fort-de-France en février 2016. Un espace accueillant, lumineux et chaleureux, tant par sa disposition et son aménagement que par la compétence doublée de gentillesse dont font preuve Anne et Maral.

La répartition intelligente des ouvrages, en « coins » dédiés, l’un à la littérature générale, l’autre aux publications pour la jeunesse, un troisième à la bande dessinée, un autre encore aux beaux ouvrages… permet de s’orienter vers ce que l’on était venu chercher, autant que de découvrir tout en flânant à sa guise dans les allées, ce à quoi l’on n’aurait pas pensé. Ici, des rayonnages, mais aussi des tables et autres supports, bien disposés pour attirer l’œil et l’attention, pour mettre en valeur les nouveautés et les livres « coup de cœur » de nos deux libraires, épinglés d’une petite fiche compte-rendu de lecture. Ici, la porte franchie, et si tu aimes les livres, leur présence à la fois légère et compacte, leur odeur de neuf et les mystères qu’ils enferment jalousement sous leur couverture, si tu as loisir de faire une pause dans ta journée effrénée, vite tu oublies le monde extérieur, la circulation délirante de la ville, le soleil qui par trop te brûle ou la pluie qui gronde à tes carreaux : pour quelques instants te voilà entré(e) au cœur du calme, et le temps en est comme suspendu.

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SOS KRIZ, ou de l’urgence d’agir

— par Janine Bailly —

Ce vendredi 7 juillet 2017, le festival de Fort-de-France bat son plein. En fin d’après-midi, on converge en nombre vers la Savane, où aura lieu le concert gratuit du jour. Mais d’autres s’acheminent avec empressement vers la Mairie de la ville, où l’association SOS KRIZ convie à la soirée de clôture de ses Deuxièmes Rencontres. Salle au sixième étage du bâtiment, salle où plane, sur les murs écrite, l’ombre de Césaire, salle vite comble, preuve que les deux manifestations ne sont pas antinomiques, comme déjà le suggérait l’intitulé proposé par les organisateurs : « Kilti pou djéri bles ? La culture peut-elle aider à la guérison ? ». Comme aussi le dit l’intitulé retenu pour le Festival de cette année : « La culture essentielle ». Oui, ce Festival, populaire et festif, aux propositions diverses, aptes à réjouir le plus grand nombre d’adeptes de tous âges, fait bien partie intégrante de cette culture martiniquaise, avec vocation d’aider, en ce début de vacances, à la guérison de nos blessures.

Qu’est donc l’association SOS KRIZ ? S’il en fut parlé dans la presse locale, en 2016 notamment, une partie de l’assistance, à laquelle humblement j’avoue appartenir, ne connaissait guère les objectifs précis de ses fondateurs, ni le rôle de ses adhérents, de même qu’elle ne possédait pas une conscience assez aiguë de l’urgence qu’il y a à agir, ici, à la Martinique comme dans le reste du monde, mais, en raison d’un passé tragique, peut-être plus encore ici que dans certaines parties du monde.

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Au Festival de Fort-de-France : « Quartier de femmes sous haute surveillance »

— par Janine Bailly —

Une cellule du dépôt du tribunal, en Martinique. Trois femmes qui attendent, d’être jugées ou auditionnées par un juge. On les a pour cela extraites de leur prison, et selon la loi, on peut les retenir là jusqu’à vingt heures d’affilée. Sur la scène, deux simples bancs dos à dos, unique point d’ancrage de la scénographie, et qui symbolisent l’attente autant qu’ils figurent le lieu. Nul besoin d’aucun autre artifice, le décor est planté, et les premières répliques ne laisseront aucun doute, ces femmes sont bien appelées à rendre compte devant la justice des hommes. Le ton est d’emblée empreint d’une agressivité qui cache la souffrance intime, les voix font dans la démesure, et la tension inhérente à ce genre d’endroit n’en est que plus palpable. Déjà l’on pressent que l’issue pourrait bien se trouver dans un inévitable débordement de violence.

Ainsi commence Quartier de femmes sous haute surveillance, la pièce conçue et mise en scène, pour le Festival de Fort-de-France 2017, par Jean-José Alpha — assisté de Yva Gaubron — qui a trouvé son sujet en 2004, dans la session de la Cour d’Assises, où il a exercé ce rôle de juré auquel tout citoyen peut un jour être appelé.

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À la galerie 14°N 61°W, « Shadow Projector »

— par Janine Bailly —

Après nous avoir fait redécouvrir Louisa Marajo, talentueuse enfant du pays présentement “exilée” en Europe, la petite galerie 14°N 61°W — petite par la taille, mais non par l’action — ouvre son espace immaculé à l’ici et à l’ailleurs, à l’au-delà des mers, par la présence sur l’île d’une exposition collaborative intitulée Shadow Projector, exposition de Ariane Müller et Martin Ebner, tous deux artistes autrichiens basés à Berlin.

S’il porte un nom fait des coordonnées géographiques de la Martinique, cet espace d’art contemporain, abrité à l’étage de l’espace Camille Darsières après avoir été initié par Caryl Ivrisse-Crochemar dans une sorte de hangar aménagé de plaisante façon à Dillon, cet espace se veut bien une plateforme d’échanges, en ce sens qu’il peut à la fois « envoyer d’ici à l’extérieur, et recevoir à l’intérieur ce qui vient de l’extérieur », l’art ayant pour fonction première de voyager de par le monde, et de s’offrir à tous, sous tous les cieux. La galerie 14°N 61°W replace donc l’île dans le monde, la faisant participer aux grands courants artistiques qui traversent l’époque, comme aussi elle se donne mission de raviver notre patrimoine cinématographique : en effet, si quatre expositions dans l’année s’avèrent être à la pointe de la modernité, le lieu se consacre par ailleurs à la projection intimiste d’œuvres atypiques, mais emblématiques, et que l’on pourrait difficilement montrer en d’autres salles des Antilles.

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À lire, à entendre, « La jupe de la rue Gît-le Cœur », et « Frantz »

— par Janine Bailly —

Connaissez-vous l’Œuf, au 19 de la rue Garnier Pagès à Fort-de-France ? Il y là, tapi entre ses semblables, un vieil immeuble traditionnel qui dormait au cœur de la ville, laissant un fier bananier s’épanouir dans sa petite cour intérieure, laissant tristement s’empoussiérer murs et escaliers, et faisant sous le soleil et la pluie le dos rond. Mais un jour, une association décida de le louer, pour en faire une maison d’artistes. Alors, il se réveilla, rouvrit sur la rue passante ses hautes portes, son balcon et ses volets de bois. Il se fit œuf, œuf où germent non de jaunes poussins, mais des idées, des œuvres, des créations et élucubrations diverses, enfantées par des artistes de tout poil. Ici, chacun est bienvenu, acteur dynamique autant que simple « regardeur » à l’œil toujours en éveil. Ici l’on peut voir, tout ce qui décore le lieu, tout ce qui s’expose, et qui parfois s’offre à la vente. Ici fleurissent sur les murs, sur les marches, sur sols et plafonds, toutes les couleurs de l’arc en ciel. Ici, enfin, l’on peut se rencontrer, on peut entendre.

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Festival international du film documentaire : « Les révoltés du monde »

— par Janine Bailly —

Sous l’égide de l’association Protéa, le Festival international du film documentaire s’est fort heureusement déroulé du vendredi 9 au dimanche 11 juin, au cinéma Madiana, avant d’émigrer cette semaine dans six communes volontaires de l’île. Il m’est venu le désir de connaître le pourquoi de ce nom, aussi ai-je ouvert Internet pour y trouver l’explication suivante : en 1771, le nom Protea emprunté au dieu grec Protée qui pouvait changer de forme à volonté, fut donné par Linné à un genre de plantes originaires du Cap, en raison d’une étonnante variété de formes et de couleurs montrée par les espèces de cette fleur. Intitulée Les révoltés du monde, la manifestation a fait preuve en effet d’un bel éclectisme, en présentant des films venus d’horizons divers, tous riches de sens, tous propres à nous faire lire autrement le monde et son histoire, tous descriptifs de notre humanité dans ses métamorphoses, dans ses forces autant que dans ses faiblesses.

De façon assez générale, le principe du film documentaire, tel que vu ici, repose sur l’alternance d’images d’archives et d’interviews d’inégales longueurs, où se confient tantôt les personnages concernés, tantôt leurs proches, tantôt historiens et savants d’autres disciplines.

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Les Buv’Art et « La Folie Guitry », Courtes Lignes et « Le Repas des fauves »

— par Janine Bailly —

Traditionnellement, le dernier mois du printemps voit fleurir les représentations dites “de fin d’année”, celles des plus petits comme celles des plus grands leurs aînés qui ouvrent le chemin, témoignages de ces semaines studieuses où l’on s’est retrouvé pour, en amateurs débutants ou éclairés, mettre au point un spectacle digne de la scène. Saluons l’audace de celles et ceux qui, osant se confronter au regard d’un public, font ainsi vivre au plus près de nous les arts, musique, danse, ou théâtre, et ce parfois en dépit du trac qui soudain, au moment du jeu, vient les surprendre et leur nouer le ventre.

D’une belle assurance font preuve les comédiens de la compagnie Courtes Lignes, venue comme chaque année de Guadeloupe participer au Festival du théâtre amateur de Fort-de-France, avec cette fois une pièce qui en 2011 recueillit trois Molière : Le repas des Fauves, de Vahé Katcha, écrivain d’origine arménienne qui, en 1960, alors que s’éloignait en France le spectre de l’occupation allemande, put parler, avec aisance et un humour de bon aloi, de cette période difficile, et de la Résistance.

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Pour évoquer « Les Justes » , pièce d’Albert Camus

— par Janine Bailly –

Lu, et repris mot mot pour mot sur le site facebook : Dans le cadre du festival amateur de Théâtre de Fort-de-France, l’association Les Comédiens de Martinique ont [sic] le plaisir de vous présenter la magnifique pièce d’Albert Camus « Les Justes ». Déclaration confirmée par l’affiche du spectacle. Certes, il n’y a pas là crime de lèse-écrivain, mais j’aime, ainsi que Nicolas Boileau, appeler un chat un chat, et Rolet un fripon. Aussi, pourquoi ne pas dire que, si les questions posées par ce spectacle de Julie Mauduech sont sensiblement semblables à celles qui sous-tendent l’œuvre de Camus, le contexte, temporel, historique et géographique, est radicalement autre. Je peux supposer qu’il ne s’agit donc pas d’une simple adaptation, mais d’une réécriture à l’aune des Antilles, et c’est ainsi qu’il eût fallu le présenter. Voilà qui peut-être justifie la réaction de la SACD, que je reçus au moment même où j’écrivais ces lignes, et que je me permets de retranscrire ci-dessous :

Bonjour, 

Suite à un mail de la SACD ,m’indiquant que les ayants-droits de l’auteur Mr Camus ne m’autorisent pas a jouer le texte sous prétexte que j’ai apporté la modification de transposer l’action à CUBA.

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« Ne croyez pas, que je ne l’aime pas cet enfant »: la famille, nœud de vipères ?

— par Janine Bailly —

Au théâtre, tout semble possible. Il est ainsi des troupes dites professionnelles qui, un jour, ne sont pas à la hauteur de leur réputation. Déception jeudi soir à Tropiques-Atrium, où la compagnie La Grande Horloge n’a pas su convaincre. Mais pourquoi s’être fourvoyée dans la mise en scène du si beau roman d’André Schwarz-Bart, La Mulâtresse Solitude ? Car il ne suffit pas de faire réciter le texte par trois personnages différents, fussent-ils noire, métisse et blanc, ni d’agrémenter la représentation de danses et chants, fussent-ils africains, pas plus que de terminer par la chanson de Léonard Cohen, The Partisan, pour accomplir un véritable acte théâtral, qui rendrait compte de la densité et de la force de l’œuvre originale.

Il est en revanche des troupes dites de théâtre amateur, qui tiennent bien mieux leur partie, qui nous embarquent dans leur sillage, qui nous tiennent prisonniers sans qu’un seul instant nous prenne l’envie de nous évader. Un tel moment, intense et troublant, nous a été donné ce vendredi au Théâtre Aimé Césaire, par L’autre Bord Compagnie, qui a fait le choix de mettre en scène des textes exigeants, très actuels, qui nous interrogent sur ce que nous sommes, sur ce qu’est la vie au sein de la cellule familiale et sur la place que nous y tenons.

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L’exposition « Photographies Habitées », de Jean-Luc de Laguarigue

— par Janine Bailly —

L’exposition Photographies habitées, qui se tient en ce moment à la Fondation Clément, n’a pour moi qu’un seul défaut, celui de nous laisser sur notre faim, puisqu’au sortir de ce superbe lieu qu’est le nouveau musée, nous voici hantés par certains des clichés de Jean-Luc de Laguarigue, et de ce fait désireux d’en pouvoir découvrir davantage. Certes, il existe en librairie de beaux ouvrages à consulter ou à se procurer, mais rien ne vaudra jamais la confrontation de son propre corps aux œuvres exposées, dans toute leur nudité, sur les murs des salles dédiées.

Pour ne pas être grande spécialiste en la matière, et parce qu’aussi le film et le livret accompagnant la manifestation disent tout et fort bien de ce qu’il faut comprendre, des analyses que fait Guillaume Pigeart de Gurbert commissaire de l’exposition à la présentation dite par Patrick Chamoiseau, en passant par les confidences du photographe lui-même, pour ces raisons je dirai en toute simplicité mon ressenti, espérant vous inviter à aller, toutes affaires cessantes, vous imprégner d’une vision particulière et authentique de l’âme martiniquaise.

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Gaël Octavia : dernières nouvelles de la guerre

« Cette guerre que nous n’avons pas faite »

— par Janine Bailly —

Ce qui frappe dans la pièce de Gaël Octavia, c’est que son propos n’est ni unique ni univoque, mais bien multiple et complexe, de sorte qu’au sortir du spectacle, discussions et échanges ont spontanément éclos sur le parvis de Tropiques-Atrium. Qui avait compris quoi ? Qu’avait voulu dire la jeune dramaturge, sur un sujet aussi vaste, ou malheureusement aussi banalisé, que celui de la guerre ? La guerre était-elle le vrai sujet de la pièce, ou plutôt l’arbre qui cachait la forêt ? Quoi qu’il en soit, une représentation qui suscite les interrogations, qui fait que l’on échange au lieu de se séparer pour vite rentrer dans son chacun chez soi, une telle représentation est forcément de valeur, et propre à nourrir notre réflexion.

Déjà ce pronom « nous » intrigue, inscrit au cœur du titre, en place du « je » qui aurait pu être attendu en corrélation avec la présence sur scène d’un seul acteur, investi de ce long monologue qu’est le texte. Ce « nous » à charge appellative, que ou qui entend-t-il désigner ?

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