L’Atelier de Laurent Cantet, ou comment se dire et s’écrire

Jeudi 18 janvier à 19h30. Madiana V.O.

— par Janine Bailly —

De Laurent Cantet nul n’aura oublié la Palme d’Or reçue en 2008 au festival de Cannes pour le film Entre les murs qui regardait, au plus près et au plus juste, une classe réputée difficile fonctionner sous la férule d’un professeur de lettres, et qui ouvrait le monde fermé du collège au spectateur, l’incitant à une réflexion sur ce qu’est aujourd’hui l’acte d’enseigner comme sur les rapports qui se tissent au sein d’un groupe social constitué.

Dans L’Atelier, programmé en ouverture du second cycle cinéma de Tropiques-Atrium pour cette rentrée, un groupe de jeunes garçons et filles, volontaires en principe pour participer à un stage d’insertion sous forme d’atelier d’écriture, se forme, se soude, se déchire, s’affronte ou se réconcilie, microcosme d’une société en souffrance, et que l’œil de la caméra scrute, entre réalité et fiction, puisque là encore, hormis les deux protagonistes principaux joués par Marina Foïs et Matthieu Lucci, jeune acteur prodigieux bien que débutant, les rôles ne sont pas tenus par des professionnels.

Certes, le choix de rassembler autour de la table d’écriture un représentant de chaque groupe social, religieux ou ethnique — l’adolescent noir, le jeune musulman, la “beurette” fille de parents algériens émigrés et fière d’une insertion qu’elle juge réussie, etc. — peut sembler un rien théorique et artificiel. Certes, le récit reste classique dans sa linéarité. Mais l’objectif est bien de suivre le groupe dans son évolution. Dans ces tensions et affrontements qui font progresser. Dans l’apprentissage du respect de chaque autre et de ses arguments. Dans le besoin vital aussi de savoir d’où l’on vient, où l’on va, quelle place est la nôtre dans cette société, et pour ce faire de connaître son passé et le passé d’une ville, La Ciotat, qui ayant perdu ses chantiers de construction navale a dû s’inventer une survie. Cadre idéal pour l’écriture de ce roman noir, exercice auquel se confronte l’atelier, les uns désirant situer l’action dans les lieux désaffectés du passé, les autres penchant pour le port de plaisance qui abrite les yachts des plus riches ?

Le centre névralgique de l’histoire est pourtant ailleurs, dans la relation difficile et nécessaire qui se noue entre Olivia, romancière venue de Paris animer l’atelier, ce qui la pose d’abord en personnage décalé, et ce jeune Antoine de vint-cinq ans, pressenti aussitôt différent, d’ailleurs en retrait par rapport au groupe, prompt à s’opposer aux autres, à se différencier ou à s’isoler : ainsi le film s’ouvre sur deux scènes à lui consacrées, et qui définissent son caractère, sous forme d’un jeu vidéo agressif, et d’une baignade solitaire dans une calanque déserte. C’est d’ailleurs sur lui que se refermera aussi l’histoire. Lui que très vite on découvre tenté par la mouvance d’extrême-droite, attiré par les armes et la violence qu’elles engendrent comme moyen d’expression, loin d’une certaine nostalgie dont sont empreintes les recherches documentaires du groupe, mais plutôt hanté par les démons de l’époque — nous serions en 2016. Entre Antoine le taciturne et Olivia détentrice de la parole se tendent des liens ambigus d’attrait-répulsion. Elle désireuse de le découvrir, d’entrer dans son intimité et de le rallier au projet commun, comme on fait revenir la brebis fugueuse dans le troupeau. Lui la poussant dans ses retranchements, l’obligeant à définir ce qu’est l’écriture, à dire s’il existe des limites et des interdits, et pour cela lui jetant au visage, comme on accuse, un passage d’un de ses romans.

De naturaliste, le film se fait paroxystique, l’image se fait onirique pour cette scène majeure où, sous la menace, Antoine conduit Olivia sur la falaise : au-delà de la parole, lui finira par braquer son arme vers le ciel ; elle, poussée par la peur, finira par s’enfuir, chancelante, et ne sera bientôt plus qu’une ombre sous la clarté lunaire. A-t-il exorcisé ses démons ? A-t-elle remis en question ses certitudes ? Les derniers plans à l’écran ouvrent des pistes, sans pour autant nous imposer une réponse trop claire.

La gravité du film s’exprime au plus fort lorsqu’Antoine vient, digne et debout face à tous, lire un texte confession où il se met à nu, où il perce l’abcès : que faire de ce désir de tuer, qui serait antidote à l’ennui existentiel, à la vacuité d’une vie dont on n’a pas encore trouvé le sens ? On peut ici songer à L’Étranger de Camus, à la mystique de l’acte gratuit du Lafcadio d’André Gide dans Les Caves du Vatican.

Une œuvre sérieuse donc, un rien didactique, d’où le sourire est le plus souvent absent, et qui ne fait guère naître l’empathie. Mais une oeuvre forte, qui interpelle, dérange, et qu’il est urgent de voir.

Projection jeudi 18 janvier à 19H30, à Madiana, 

Janine Bailly, Fort-de-France, le 11 janvier 2018