— par Janine Bailly —
Bussang : un bourg paisible ancré tout au bout de la vallée de la Moselle, au cœur du Massif Vosgien. Bussang qui, comme la Belle au Bois Dormant, sommeille mais tout soudain se réveille quand revient avec l’été son beau Prince, charmant et fidèle, le Théâtre.
Le bâtiment lui-même où se donnent les spectacles, souvent comparé à une nef inversée, résiste depuis plus de cent vingt ans à toutes les intempéries, celles du temps, du froid et de la neige, celles des deux guerres mondiales qu’il a vaillamment traversées, celles aussi de controverses quant à sa destination et à ses programmations. Construite à la fin du dix-neuvième siècle par les gens du village, à l’instigation de Maurice Pottecher, enfant du pays revenu de Paris où il n’avait pu concrétiser ses rêves, la structure s’est érigée peu à peu, faite du bois de la forêt proche et selon le savoir-faire des artisans du lieu. À l’origine simple scène de plein air, ouverte après que les villageois eurent prouvé leur désir de théâtre en venant en foule assister à une représentation de Molière donnée sur la place, aujourd’hui véritable salle couverte, le Théâtre du Peuple racheté par l’État et classé Monument Historique depuis 1976 garde, il faut bien le dire, un petit air kitch et désuet, qui sans nul doute ajoute à son attrait.


Loin de tout classicisme, certains des metteurs en scène actuels semblent explorer de nouvelles voies, à la recherche d’autres façons de dire sur scène notre humanité, ses beautés et ses laideurs, ses forces et ses faiblesses.
L’État de siège (Estado de sítio) : le spectacle, au Teatro São Luiz de Lisbonne
Au Festival de Théâtre de Almada, dans une ambiance toujours chaleureuse, on découvre ou redécouvre de grands textes, d’aujourd’hui et d’autrefois, et qui sont pour certains donnés en cette belle langue française, supplantée aujourd’hui au Portugal par l’anglais mais encore bien connue des générations plus anciennes.
Si Avignon reste, pour les amateurs autant que pour les professionnels, une destination incontournable, il est de par le monde d’autres lieux où le théâtre va et nous emmène à sa propre découverte. Il en est ainsi du Festival International d’Almada, au Portugal, qui propose sur les deux rives du Tage, du 4 au 18 juillet, sa trente-cinquième édition. Une édition un temps compromise par des réductions financières, mais qui par bonheur peut avoir lieu, organisée conjointement par la CTA (Companhia de Teatro de Almada), la Câmara Municipal de Almada, et quelques-uns des grands théâtres de Lisbonne. Une édition qui propose cette année vingt-quatre spectacles en différents lieux ; un festival populaire en ce sens qu’il s’offre à tous pour un prix fort raisonnable, l’abonnement donnant accès à l’ensemble des manifestations pour soixante euros seulement ; un festival de qualité, audacieux et novateur, qui convie auprès des réalisations portugaises certaines des grandes créations européennes de ces derniers temps. Expositions, conférences, spectacles de rue et concerts gratuits viennent compléter le programme.
Par le film Les Figures de l’ombre, du réalisateur américain Theodore Melfi, nous découvrions sur nos écrans, en mars 2017, le destin extraordinaire de ces trois femmes noires qui, engagées comme mathématiciennes à la Nasa sur le programme Apollo, durent pour s’imposer affronter et vaincre tous les préjugés du temps, racisme, machisme, sexisme… Grâce à Gerty Dambury, nous retrouvions sur scène, au mois de mai, dans la pièce La radio des bonnes nouvelles, quelques autres femmes fortes dont on n’a pas toujours, en dépit du rôle qu’elles ont pu jouer dans l’évolution de nos sociétés, gardé un souvenir assez vivace. Et ce mardi de juillet, pour la deuxième soirée que nous offrait en bord de mer le Cénacle, c’est une grande figure martiniquaise que nous apprenions à découvrir, à redécouvrir ou à mieux connaître : Paulette Nardal était donc à l’honneur, fille de l’île qui tôt sut partir, s’arracher à sa vie foyalaise, au cocon familial, à la maison de la rue Schœlcher, pour se confronter au reste du monde, en France, en Amérique aux Nations Unies alors naissantes, au Sénégal chez Senghor ami des Nardal, avant que de revenir chez elle, riche de ses expériences, se mettre au service des siens et de son pays.
De Stéphanie Loïk, actrice, metteur en scène et dramaturge, nous avions découvert en 2016 à Tropiques-Atrium, un spectacle présenté comme une « adaptation-lecture théâtrale » de l’ouvrage éponyme d’Alain-Gilles Bastide,
« Comédies tragiques », d’après Catherine Anne
Texte de Iliana Prieto Jimenez & Cristina Rebull Pradas


— par Janine Bailly —
Salut mon frère & I’m a Bruja
C’est, après ma déception de ne pas voir danser la AD Compagnie, qui dans Balansé II aurait su nous parler de culture universelle autant que de culture antillaise, c’est donc, après cette annulation inattendue, au chorégraphe Thomas Lebrun que revint le soin d’adoucir ma frustration.
Elles seront quatre, ou deux, ou trois, parfois une seule sur le plateau, et paradoxalement c’est cette présence unique qui pour moi fera naître un lien avec la salle, parce que dans sa solitude soudaine la danseuse saura de son corps et de ses gestes exprimer ce qu’elle est, ou ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle cherche et qu’elle voudrait saisir. Quatre jeunes femmes diverses, de couleurs, de costumes et de postures, mais toutes le visage tragique, comme muré dans son intérieur, le regard fixé là-bas sur l’horizon, et jamais ne se regardant vraiment. Quatre aux mouvements démultipliés, et qui cependant ne comblent pas le vide installé entre elles, quatre bonnes volontés qui ne font vibrer ni l’air autour d’elles ni mes émotions, ces dernières comme absorbées dans ce trou blanc d’une scène soudain devenue trop vaste. Ni les corps rapprochés pour soutenir celui qui tombe, ni la chute commune plusieurs fois jouée, ni le duo joliment amoureux et sensuel, interprété avec conviction par deux des danseuses dans un double mouvement d’attraction-répulsion, ne parviendront à nouer ces individualités en un corps que l’on sentirait unique et porté vers le même idéal.
— par Janine Bailly —
Si vous me demandez ce qu’est pour moi le festival Les Révoltés du Monde, je vous répondrai qu’il est une incitation généreuse à découvrir le monde tel qu’il est, non pour se contenter de le regarder et de le déplorer, mais pour que naisse l’envie profonde d’avec les autres le changer. Et puisque, selon la formule chère à Saint-Exupéry, empruntée aux Indiens d’Amérique, je crois que « nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants », j’ai été plus particulièrement sensible aux deux films consacrés à ceux qui sont l’avenir du monde, et cela qu’on les aime ou les maltraite, qu’on les reconnaisse ou qu’on les nie. À ceux qui, parce qu’ils sont les plus petits et les plus vulnérables, souffrent d’abord et de la plus injuste façon des guerres que se livrent entre eux les adultes. Et nous menant du continent africain au continent américain, les documentaires
Sans atteindre jamais la perfection de Carré 35 (de Éric Caravaca), offert dans la programmation générale, les neuf films proposés à la compétition de documentaires étaient de bonne teneur, intéressants dans leur diversité et leur singularité. Diversité des metteurs en scène, qu’ils soient originaires des Antilles ou des Amériques, diversité des sujets puisés dans l’histoire intime comme dans l’histoire publique, regard sur l’actualité brûlante autant qu’incursion dans la mémoire des peuples. S’il fallait trouver des points communs entre ces œuvres, je dirais que le plus souvent elles font alterner images créées et images d’archives, que la voix off y distille des commentaires en complément des interviews réalisées, que les portraits tissés le sont dans un environnement visible à l’écran, et que le cadrage privilégie plans rapprochés et gros plans sur les visages. S’il s’avère parfois difficile, notamment en ce qui concerne les “52 minutes” réalisés pour la télévision, de saisir la différence entre reportage et documentaire, il semble que ce dernier genre nous interpelle autant par les images que par la parole, par la recherche et l’affirmation d’un point de vue personnel, et par le travail de montage effectué, qui peut rapprocher de la fiction et faire du documentaire une véritable création.
Il est dans toute famille de ces zones d’ombre que l’on tient secrètes, et qui pourtant marquent notre inconscient, transmises de génération en génération, jusqu’au jour où l’un ou l’autre, parce que plus en souffrance, ou simplement plus curieux, se met en quête d’une vérité souvent pressentie mais jamais dévoilée.
Que l’on soit en Colombie, dans Bad Lucky Goat, dans une station balnéaire en France avec Ava, à Marseille sur Corniche Kennedy, l’adolescence est un passage obligé, un sas à franchir entre l’enfance évanescente et l’âge adulte qui s’approche, avec son cortège de découvertes, de choses neuves à appréhender, heureuses ou contraignantes, consenties ou imposées. Nombreux sont les réalisateurs qui s’attachent à en décrire les bonheurs et les affres, les consentements et les réticences.