SOS KRIZ, ou de l’urgence d’agir

— par Janine Bailly —

Ce vendredi 7 juillet 2017, le festival de Fort-de-France bat son plein. En fin d’après-midi, on converge en nombre vers la Savane, où aura lieu le concert gratuit du jour. Mais d’autres s’acheminent avec empressement vers la Mairie de la ville, où l’association SOS KRIZ convie à la soirée de clôture de ses Deuxièmes Rencontres. Salle au sixième étage du bâtiment, salle où plane, sur les murs écrite, l’ombre de Césaire, salle vite comble, preuve que les deux manifestations ne sont pas antinomiques, comme déjà le suggérait l’intitulé proposé par les organisateurs : « Kilti pou djéri bles ? La culture peut-elle aider à la guérison ? ». Comme aussi le dit l’intitulé retenu pour le Festival de cette année : « La culture essentielle ». Oui, ce Festival, populaire et festif, aux propositions diverses, aptes à réjouir le plus grand nombre d’adeptes de tous âges, fait bien partie intégrante de cette culture martiniquaise, avec vocation d’aider, en ce début de vacances, à la guérison de nos blessures.

Qu’est donc l’association SOS KRIZ ? S’il en fut parlé dans la presse locale, en 2016 notamment, une partie de l’assistance, à laquelle humblement j’avoue appartenir, ne connaissait guère les objectifs précis de ses fondateurs, ni le rôle de ses adhérents, de même qu’elle ne possédait pas une conscience assez aiguë de l’urgence qu’il y a à agir, ici, à la Martinique comme dans le reste du monde, mais, en raison d’un passé tragique, peut-être plus encore ici que dans certaines parties du monde. Le projet, mené par Louis Jehel, Professeur en psychiatrie, Chef du Service psychiatrique au CHUM, s’est concrétisé grâce à une équipe de professionnels et de bénévoles, qui veulent œuvrer pour une Martinique plus juste, plus équitable, plus équilibrée, notamment sur les plans social et mental. Plusieurs membres ont suivi à Montréal une formation sur le rôle de l’écoutant, le Canada étant réputé pour son dynamisme et l’efficacité de ses outils sur la problématique du suicide et de toutes les autres formes de souffrance. 

Des bénévoles écoutants, qui se mettent, avec tout leur cœur, toute leur âme, et la compétence que pourront leur donner des formations adéquates, au service de ceux qui sont en peine et en mal de vivre, des bénévoles permettent que soit ouverte la ligne d’écoute et de prévention de la souffrance psychique et du risque suicidaire. Il nous est rappelé au cours de cette soirée que beaucoup reste à faire, quand dans certaines familles les tabous, en ce qui concerne la maladie mentale, ne sont toujours pas tombés, que le nombre de suicides sur l’île est élevé, et que nul n’est à l’abri de ce risque suicidaire, que ce soit pour ses proches ou pour soi-même. On ne dira jamais assez combien ce genre d’action peut aider à sauver des vies ! Combien il est difficile de rester seul, face à sa souffrance, ou face à la souffrance de ceux qui nous sont chers !

Le journal France-Antilles du 8 juillet, qui met à la une le problème du suicide, qui propose une double page « Suicide : Alerte maximum… Vivre malgré tout », se fait à point nommé l’écho de ces rencontres et de cette action aussi généreuse que primordiale, initiées par SOS KRIZ. Ainsi d’autres témoignages viennent par écrit s’ajouter à ceux entendus, et qui, dits de vive voix, ont soulevé force émotions et applaudissements. Témoignage de celle-ci qui toute enfant dut, sur d’absurdes injonctions familiales, faire silence et enfouir au fond d’elle-même la souffrance du viol ; mais qui sut se relever, et rester fièrement debout ; mais qui aujourd’hui donne aux autres, sans compter,  de son temps et de sa compassion. Interrogations de cette autre, qui voudrait connaître mieux son histoire, celle de ses ancêtres esclaves, et qui se cherche une identité propre, dans la souffrance lancinante de ne pas savoir exactement qui elle est aujourd’hui, ni d’où elle vient. Deux aspects de cette bles, que par la culture on peut sans doute contribuer à mettre à distance : bles individuelle, née du drame intime, ou bles qui, tout en étant personnelle, rejoint celle infligée à tout un peuple trop longtemps et trop fort humilié. Consciente ou terrée dans l’inconscient, la bles est là, et la mettre en mots, en danse, en musique ou en chanson, est sans doute un premier pas vers la guérison.

Outre le fait d’avoir découvert cette association pleine d’humanité, de belles surprises ordonnancées par Nicole Cage nous attendaient, symboliques de la culture antillaise, dispensatrices de joie et de fraternité. Démonstration de quelques séquences de Danmyé, au son du tambour et du ti-bois ; danse féline, danse de liane, souple et comme désarticulée à la fois, de Josiane Antourel si prompte à partager, à la flamme d’une petite lanterne allumée en hommage à ses disparus, ce qu’elle possède si bien ; mi-créole mi-français, ses deux langues assumées, Jocelyn Régina et son flot tumultueux, en oscillation de la révolte violente à l’humour, à la tendresse parfois apaisée, fustigeant au passage ceux qui d’un peuple seraient trop hantés par une envie effrénée de consommer, ceux qui qui seraient à gueule de fauve mais demandant la muselière. Et puis les chants enfin, chants vibrants de Céline Flériag, qu’elle nous demande de reprendre en chœur, chants puissants de Doré à la belle stature, chants de Nicole Cage, empreints d’une si vive sensibilité ouatée de sensualité, et ceux de son complice à la guitare, Christian Marie-Jeanne, sans oublier les autres musiciens présents ! Grand bravo, et grand merci à tous !

Pour information : téléphone 0596 42 00 00 — sos.kriz@gmail.comwww.soskriz.org

Janine Bailly, Fort-de-France, le 8 juillet 2017

Photos Paul Chéneau