Pour poursuivre la réflexion d’Yves-Léopold Monthieux sur le « génocide par   substitution »

— Karl Paolo —

La question abordée par Yves-Léopold MONTHIEUX au sujet du génocide par substitution est particulièrement complexe, qu’il s’agisse d’affirmer qu’il s’agit d’une réalité ou d’un fantasme.

Cette complexité est accrue par le fait qu’elle est chargée d’affects, de symboles, de tensions et d’idées parfois préconçues pour ne pas dire de préjugés. Il faut donc une certaine dose de courage (ou « d’inconscience » – sic) pour l’aborder, comme le fait Yves Léopold MONTHIEUX. D’autres comme Nadia CHONVILLE (1) ou Claire PALMISTE(2) ont tenté sinon, de déconstruire ce concept à tout le moins de le discuter. Très modestement, je voudrais essayer de poursuivre dans cette voie, afin de tenter d’y voir un peu plus clair, si c’est possible.

Est-ce une question de quantité

En premier lieu, poser le débat en termes statistiques – qui sont-ils ? – où sont-ils ? combien sont-ils ? – ne me parait pas pertinent. En effet, on arrivera immanquablement à se demander où faut-il mettre le curseur. Autrement dit, à partir de quel seuil la présence d’une population étrangère où jugée comme telle est susceptible de constituer ou non un problème ?

Il n’y a pas une, mais des réponses à cette question, lesquelles dépendent essentiellement de la représentation de cette population immigrée(3) au sein de la population d’accueil. Au surplus, ce seuil d’acceptation doit sans doute évoluer dans le temps, en fonction de la situation économique, sociale et culturelle du pays.

Nos représentations ne nous conditionnent-elles pas ?

Quand j’évoque la représentation que la population d’accueil peut avoir des populations immigrées, cela ne veut pas pour autant dire que cette représentation est imaginaire et ne repose que sur du sable !!! L’origine et les activités exercées par ces immigrés interviennent.

En Guyane par exemple, la libération des forçats (originaire de France) rimait le plus souvent avec une existence marquée par la misère, la déshérence et l’alcoolisme. Au dernier convoi de retour en France, organisé au mois d’août 1953, il ne restait désormais plus en Guyane après cette date, que des libérés qui ont fait le choix d’y rester. Ou qui, plutôt, n’ont guère eu d’autre choix que de devoir y rester. Trop vieux ou trop abîmés par leurs années passées derrière les barreaux du bagne, la plupart vivotent de petits métiers, souvent aidés par la population locale qui les surnomme « vieux blancs » ou « popotes », ce qui était très péjoratif. Ce qui fait qu’en Guyane, les blancs, « vieux ou non », n’ont pas été mis sur un piédestal comme ce fut et c’est le cas en Martinique. Les représentations ne sont pas les mêmes.

Le cas de l’immigration indienne

En second lieu, il me parait assez logique de considérer que les activités exercées par les populations immigrées déterminent, en partie au moins, leur acceptabilité par la population d’accueil. Quand les français ont fait venir une immigration originaire d’Inde pour remplacer les anciens esclaves qui fuyaient les plantations de cannes, chargées de mauvais souvenirs pour ne pas dire d’abominations, ils ne furent pas toujours bien accueillis par la population d’accueil, car accusés d’être des « jaunes » c’est-à-dire d’être au service des anciens maitres, propriétaires des habitations.

Le cas des Français … de France

Avantagés dès le départ ?

Les Français venant en Martinique plus ou moins temporairement occupent, en général, des fonctions d’encadrement, en particulier dans la sphère publique, susceptible de les mettre dans une position avantageuse par rapport aux martiniquais.

Mais cet « avantage » était-il toujours justifié par des compétences particulières ? Certains l’affirment, et il est possible que pour telle ou telle fonction, ce soit ponctuellement vrai, mais était-ce une situation générale ? Dans les années 1960-1980, on a connu des enseignants français, parachutés en Martinique avec en poche et pour tout bagage, un CAP. J’ai personnellement connu un haut cadre de l’éducation nationale, titulaire d’un CAP Tourneur ayant rang d’inspecteur d’académie. Mais peut-on et doit-on mesurer la valeur professionnelle d’un homme ou d’une femme à l’aulne de ses seuls titres ou diplômes, acquis le plus souvent dans sa jeunesse ? N’est-ce pas là un travers bien … français ?

De toute façon, ce qui pouvait être vrai en 1960 ne l’étant plus aujourd’hui, de plus en plus fréquemment, nos compatriotes, dont le niveau de compétences s’est considérablement amélioré, se retrouvent en concurrence avec des immigrés « Français », disposant d’un niveau plus ou moins analogue. De sorte que la confrontation et le ressentiment sont inévitables !

La loi faible des grands nombres

Une autre explication est parfois avancée indiquant que nos compatriotes ne se présentent pas ou peu aux concours ou ne s’y préparent pas sérieusement. Et donc n’y réussissent pas ! C’est ignorer la « loi faible des grands nombres » qui exprime le fait que les caractéristiques d’un échantillon aléatoire se rapprochent des caractéristiques statistiques de la population lorsque la taille de l’échantillon augmente à l’infini. Et que statistiquement parlant, sur la population française, le taux de succès à tel ou à tel concours aboutira, de toute façon, à un nombre de lauréats supérieur à celui qu’on obtiendrait localement.

Un dessein politique

A cela s’ajoute la tradition « d’envoyer Outre-mer des expatriés » chargés de maintenir, sur place, la présence et l’influence de la « métropole », en plus de gérer les affaires du pays dans un sens conforme aux intérêts de celle-ci, quitte pour cela, à leur octroyer des droits et des avantages (prime d’installation, prime de vie chère, congés…etc.), lesquels représentent une incitation pour franchir l’océan.

Il se dit d’ailleurs qu’au niveau du ministère des DOM-TOM existait une structure chargée de vérifier que les fonctionnaires de catégorie A mutés dans nos régions étaient, disons, « politiquement compatibles ».

J’ai bien connu le cas d’un jeune enseignant martiniquais de 22 ans, né à Paris et donc recensé là-bas, dont l’affectation en tant que Volontaire à l’aide technique (VAT) a été supprimée, lorsque les services de la préfecture de la Martinique se sont aperçus qu’il s’agissait d’un « dangereux activiste ». Il avait effectué de nombreux séjours à Cuba et s’était illustré lors de l’irruption d’une bande de jeunes manifestants, communistes de surcroit, en plein défilé militaire du 14 juillet 1978, venu protester contre l’assassinat d’Alain Jovignac, venu jouer au Football, sur un terrain militaire jouxtant le fort Desaix, un 1er juillet 1978. Il avait 18 ans…

Une expérience de pensée … ?

Du fait de l’extension de certains de ces avantages aux agents publics locaux, l’attrait pour ces emplois, de plus en plus nombreux, s’est considérablement développé.

Mais supposons un instant que soit supprimés prime de vie chère, prime d’installation, abattement de zone (pour les impôts) et tentons d’imaginer les conséquences sur les comportements des uns et des autres, c’est-à-dire à la fois sur les populations venant de France et voulant exercer en Martinique, définitivement ou provisoirement, en qualité d’agent public. Voudront-ils toujours venir dans notre pays ? L’attrait pour les emplois publics locaux sera-t-il toujours aussi fort ?

L’immigration venue de la caraïbe

Il se trouve que depuis quelque temps, d’autres populations, venant de pays de la Caraïbe, sont pointées du doigt, soit à l’occasion de faits de délinquance ou de banditisme, soit à l’occasion de l’utilisation d’éthéphon, soit parce qu’elles font l’objet d’un véritable trafic de main d’œuvre…etc. Mais outre de constituer une main d’œuvre bon marché, en particulier semble-t-il dans l’agriculture, où certains poursuivent des comportements que l’on croyait d’un autre âge, ces populations immigrées de la Caraïbe sont ainsi dénigrées par ceux de nos compatriotes, souvent issus de milieux modestes, qui se retrouvent en concurrence avec elles.

C’est ainsi qu’enquêtant sur la question du logement social à Sainte-Thérèse, une jeune maman ayant 3 enfants en bas âges, qui depuis 8 ans, sollicite un logement social me disait : « oui, cela fait 8 ans que j’attends un logement à Morne Calebasse mais, je ne devrais pas dire cela, les logements sont attribués en priorité aux ressortissants … (nom du pays de la Caraïbe) ». Que cela soit vrai ou pas est presque secondaire, ce qui est important, c’est que cette réflexion s’entende de plus en plus souvent.

« Peaux noires…. Masques blancs ?

D’autres questions pourraient être évoquées.

Puisque notre population régresse à un rythme de plus en plus soutenu, que faire pour enrayer cette machine infernale.

Il aurait été intéressant de disposer d’une analyse sociologique des partants et on verrait qu’ils y sont souvent encouragés par leur propre famille. C’est ce que, pour ma part, j’ai conseillé à mes propres enfants, sans jamais le regretter. Mais combien d’autres parents font de même, tout en tenant un discours opposé ? Sur ce plan comme dans beaucoup d’autres, ne sommes-nous pas dans une sorte de posture, comme une figure imposée en gymnastique ? Autrement dit, ce que nous affirmons avec force correspond-il à notre manière de vivre, aux choix que nous faisons et à ce que nous sommes ?

Que pourrait-on faire ?

Faut-il sombrer dans l’incantation ou dans le désespoir en diabolisant ou victimisant ceux qui partent sous d’autres cieux, pendant que ceux qui restent sur place risquent de devoir se satisfaire de la précarité, faute de pouvoir compter sur le népotisme, n’ayant ni parents, ni amis, ni alliés qui détiennent un mandat de maire, d’adjoint, de conseiller territorial ou président de quelque chose ?

Une théorie du ruissellement appliquée localement ?

Doit-on considérer la question de l’emploi comme étant la résultante des politiques publiques mises en œuvre, notamment sur le plan économique (aides de toute nature, octroi de mer, défiscalisation, exonérations diverses…etc.), en véhiculant la fausse croyance que la seule prospérité des entreprises règlera la question du chômage et donc en se mettant délibérément à la remorque du MEDEF ?

N’est-ce pas ce que fait le gouvernement ultralibéral de Macron mais aussi et plus curieusement, la CTM d’hier comme d’aujourd’hui ?

Conformisme ou imagination ?

Ne pourrait-on pas « conditionner » même par le biais d’une sorte de « charte morale » comme « l’engagement sur l’honneur » que signaient les étudiants, bénéficiaires de prêts d’honneur, les très nombreuses aides accordées aux entreprises, lesquelles avancent, comme argument décisif, la création d’emploi ? Il pourrait s’agir de nombre d’emplois mais aussi de leur contenu, de leur qualification, de leur rémunération, de la responsabilité sociale des entreprises, de la transition écologique…etc.

Dans un article publié par la revue « Alternatives économiques » on apprend que, […] les aides comptabilisées correspondant aux transferts de richesse vers les entreprises qui ne suscitent aucune contrepartie » représentaient, en 2019, 205 milliards d’euros, l’équivalent de près de 8,5 % du PIB, ou encore de 41 % du budget de l’Etat ! ». Et l’article d’enfoncer le clou en disant : Les cadeaux fiscaux croissants aux entreprises forcent à taxer davantage les particuliers et d’accroitre la dette publique !!! »

Qu’en est-il en Martinique ? Car ce ne sont pas les aides qui, depuis 1986, ont fait défaut. La commission « Diagnostic du congrès va-t-elle se pencher sur cette intéressante question ?

Une GPEC4 à l’échelle de la Martinique ?

Ne pourrait-on pas réaliser une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle de la Martinique, au moins en ce qui concerne les secteurs d’activités les plus importants ?

Ne pourrait-on pas, par ce moyen, identifier les compétences dont notre pays aura besoin dans 3, 5 et 10 ans, même à structure constante, afin d’inclure ces dernières dans les cursus de formation si elles ne les sont pas déjà et ainsi préparer l’indispensable relève ?

N’est-ce pas le rôle de la Collectivité Territoriale de Martinique ?

N’a-t-elle pas un rôle déterminant en matière d’offres de formation professionnelle initiale ?

N’est-elle pas en charge de la formation professionnelle ?

L’existence du peuple martiniquais menacée ?

J’entends affirmer, parfois avec force, que l’existence des martiniquais en tant que peuple, serait menacée, autant par la baisse de la population que par son vieillissement.

Le vieillissement de la population est censé générer de nombreux effets économiques. En théorie, il conduit à une hausse de l’inflation car la baisse du nombre d’actifs favorise la progression des salaires. Celle-ci est également alimentée par l’augmentation de la demande de services. Les entreprises compensent la baisse de la population active par une recherche de gains de productivité.

Pour le moment, ces aspects annoncés du vieillissement ne sont pas visibles. Au Japon, par exemple, l’inflation est aux abonnées absentes depuis plus de trente ans, en dépit d’une proportion des plus de 65 ans qui passera de 30% en 2020 à 35% en 2040.

La flexibilité du travail joue à l’encontre des revalorisations salariales. La baisse de la population active a été freinée au Japon comme au sein des autres pays occidentaux par le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite.

S’il n’est pas contestable que le vieillissement de la population exige une adaptation aux besoins de la population plus âgée notamment en matière de santé, sur la base de quel théorème brandit-on une menace existentielle sur les martiniquais en tant que peuple ?

  • Avec 287 371 habitants, les Barbadiens ne forment-ils pas un peuple ?

  • Avec 98 462 habitants, les Seychellois ne forment-ils pas un peuple ?

  • • Quelle est l’importance de leur diaspora respective ?

Nos compatriotes qui sont dans d’autres pays, sont-ils moins martiniquais que ceux qui sont au pays ? Si une telle menace existe, n’est-elle pas bien plus alimentée par le divorce profond entre la population et ses élus ?

Et la diaspora ?

Dans une étude datant de 2011, réalisée par la Banque Africaine de Développement et intitulée : « Le rôle de la diaspora dans la construction de la nation : Leçons à tirer par les États fragiles et les États sortant de conflits en Afrique », s’il est affirmé « qu’étudier à l’étranger pour obtenir des diplômes supérieurs encourage aussi la fuite des cerveaux », c’est pour dire aussitôt que la diaspora joue un « rôle important en matière de croissance économique et de progrès social », ne serait-ce que parce qu’elle transfère des fonds dans les pays d’origine ».

Afrique subsaharienne – Aide publique au développement (APD) en 2008 et envois de fonds des migrants (2007-2010)5

Alors ?

Karl PAOLO 17 octobre 2022

1 Docteure en sociologie et professeure d’histoire géographie au Lycée Victor Schoelcher,

2 Claire Palmiste, docteur qualifié en études anglophones. Maitre de conférences à l’Université de la Guyane – Génocide par substitution : usages et cadre théorique

3 Le terme immigré n’est pas pris dans son sens habituel. Ici, un immigré est une personne culturellement non martiniquaise

4 La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est une méthode pour adapter – à court et moyen termes – les emplois, les effectifs et les compétences aux exigences issues de la stratégie des entreprises et des modifications de leurs environnements économique, technologique, social et juridique.

5 Sources : Source des données pour les transferts de fonds, Banque mondiale