Désintox : le fantasme du génocide par substitution.

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Ou sont passés tous ces Blancs qui ont été accusés de « génocider » le peuple martiniquais depuis plus d’un demi-siècle ? On ne les voit pas dans les statistiques, on ne les voit pas non plus dans des cimetières dédiés. Le phénomène est pourtant inscrit dans le marbre de la conscience martiniquaise. Ainsi, chaque fois qu’est abordée la question de la baisse de la population en Martinique, chacun, de Ti Sonson au député du coin, y va de son couplet sur le « génocide par substitution ». La locution d’Aimé Césaire la plus répétée depuis 40 ans. Pendant tout ce temps, l’expression magique a suffi pour barrer la route à toute réflexion intelligente sur la fuite de la jeunesse martiniquaise et des conditions à réaliser pour éviter l’exode. Ainsi, l’un des objectifs majeurs du président de la collectivité de Martinique est la mise en œuvre par … Létafransé d’un « BUMIDOM à l’envers ». Alors que la Martinique est en quête de pouvoirs nouveaux, ses élus attendent de l’Etat régalien que celui-ci lui refasse une image attractive.

Les chroniques publiées depuis vingt ans expliquant dans quelles circonstances Aimé Césaire avait utilisé l’expression « génocide par substitution » n’avaient pas su ébranler d’un iota le discours d’intoxication de l’intelligentsia martiniquaise. Porteuse de la charge de duplicités qui lui a été méticuleusement accolée, l’expression se retrouve dans bien des thèses universitaires. Il aura fallu attendre la génération des petits-enfants pour que l’un d’entre eux, l’une plutôt, Nadia Chonville, ait eu le talent et l’insolence d’écrire qu’Aimé Césaire n’a jamais entendu appliquer sa formule à la Martinique, encore moins y élaborer une théorie. Selon la sociologue, le génocide par substitution n’a tout bonnement jamais existé. Nous l’avons déjà écrit, c’est l’une des grandes arnaques intellectuelles et politiques de ce pays, qui l’ont mis dans la situation où il se retrouve aujourd’hui. On ne connaîtra jamais l’étendue des dégâts que, sous la conduite de sachants malhonnêtes, de telles tricheries auront causé aux cerveaux naïfs. Elles auront conduit à forger des convictions, déconstruire le citoyen martiniquais et inclure dans la société un puissant vecteur de racisme.

A ce propos, j’ai écrit il y a plus de dix ans qu’on pourrait bien être en train de se préparer une petite république martiniquaise raciste. Nadia Chonville n’est pas loin de cette conclusion, qui, dans sa sévère mise au point, affirme que « Dire qu’on a un problème d’immigration en Martinique, que la population martiniquaise est menacée par l’arrivée de personnes venant de l’extérieur et singulièrement de l’Europe, c’est donc prendre le problème démographique de la Martinique à l’envers et s’inscrire sur un terrain glissant qui en a mené bien à une xénophobie mortifère ».

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La sociologue s’est attardée avec justesse sur la monstruosité du rapprochement qui consiste à comparer le départ vers la France de volontaires encadrés par l’Etat avec l’extermination d’un peuple pour ses caractéristiques essentielles. Ainsi se retrouveraient sur le même plan un peuple martiniquais exposé aux foudres d’une immigration encadrée et des populations envoyées ad patres, comme les Ruandais ou les Caraïbes. La professeure démontre ce que nos savants intellectuels post-coloniaux n’avaient jamais découvert, que le corps de la monstruosité n’est qu’un fantasme. En effet, poursuit-elle, après soixante années du génocide supposé du peuple martiniquais et d’après les chiffres de l’INSEE, seuls « 6,2 % des habitants martiniquais sont nés en France métropolitaine et ne sont pas originaires de Martinique ». D’ondoyants rebelles semblent déjà vouloir substituer à l’expression de Césaire le mot de Patrick Bruneteaux (qui n’est jamais cité) et Olivier Pulvar1, une migration de confort. Cependant la réalité de cette notion ne va pas au-delà du besoin de prolonger la stigmatisation de la venue des Blancs en Martinique. Le terme « migrant » peut-il s’appliquer à des personnes qui n’ont pas renoncé à leur centre d’intérêt ou qui ne viennent en Martinique que pour des séjours professionnels sous contrat ou quasiment ?

Prononcée en 1975, l’expression de Césaire avait précédé de 35 ans la théorie du complot de Renaud Camus, Le grand remplacement. Exprimant une idée précise à un moment précis à propos d’actes déterminés, qui n’ont d’ailleurs pas eu lieu, Césaire avait prudemment évité de théoriser sa formule. Il aurait pu cependant essayer de se protéger contre la tentation de lecteurs indélicats d’y trouver matière à leurs fantasmes. En effet, ses variations sémantiques autour du concept (« génocide par substitution », « génocide par persuasion » et « génocide rampant »), ne sauraient faire oublier que c’est bien le mot génocide, lui-même, en sa charge d’horreurs qui sont inappropriés en la matière. Ces déclinaisons qui n’enlèvent rien à la toxicité du vocable ont pu contribuer à alimenter ce vent de « xénophobie » que déplore Mme Chonville.

Par ailleurs, si la théorie de Renaud Camus est unanimement accusée de raciste en métropole, par quel miracle sa devancière martiniquaise pourrait prétendre échapper à cette accusation ? La gauche métropolitaine se garde bien de reprendre à son compte le « mot » d’Aimé Césaire dont l’usage abusif ne peut conduire qu’à la banalisation de la xénophobie locale. Laquelle s’exprime désormais dans les urnes.

Fort-de-France, le 6 octobre 2022

Yves-Léopold Monthieux.

 

1 Les METROPOLITAINS A LA MARTINIQUE, une migration de confort.

Patrick Bruneteaux – Olivier Pulvar.