« Voiture électrique : ils sont devenus fous ! » de François Xavier Pietri

Résumé
Les États européens ont confirmé la décision de la Commission de Bruxelles : dès 2035, la vente de tous les véhicules émetteurs de CO2 sera interdite. Les moteurs diesel et à essence neufs seront bannis, de même que les hybrides. La France se retrouve ainsi face à un mur infran­chissable : un parc à renouveler sans les capacités indus­trielles nécessaires, une couverture nationale de bornes de recharge ridiculement insuffisante, un marché livré pieds et poings liés aux Chinois, une casse sociale massive, un clivage sans précédent entre les nantis et les Français les plus modestes… Elle doit également se lancer dans une course effrénée pour les précieux minerais indispensables aux batteries, le cobalt exploité en Afrique dans des conditions indignes, le lithium qui assèche des millions d’hectares en Amérique du Sud… Bref : si 2035, c’est demain, aujourd’hui, rien n’est prêt !

Comment les Français vont-ils accepter ce brusque chan­gement ? Et qui va payer la note ? Dans ce livre réquisitoire, François-Xavier Pietri éclaire l’absurdité de cette décision qui, en plus d’être contre-productive sur le plan écologique, pourrait nous faire vivre un enfer sur les routes. Il nous livre heureusement quelques pistes pour que les ménages français s’en tirent le mieux possible.

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100% des voitures vendues en France en 2035 seront électriques ou hybrides : c’est ce qu’assure Emmanuel Macron ce lundi matin dans une interview aux « Echos », à l’occasion de l’ouverture du Mondial de l’Auto à Paris. Cet objectif « est tenable, mais à quel prix ? » s’interroge François-Xavier Pietri, journaliste spécialisé. Aujourd’hui, 20% des nouvelles voitures sont électriques.
Les « dégâts écologiques considérables » du lithium
Le journaliste pronostique qu’en 2035, « il y aura beaucoup beaucoup beaucoup de voiture importées de Chine », car la filière électrique sera loin d’être 100% française. « Aujourd’hui, les batteries sont produites à 80% par l’Asie. Renault va s’associer avec la Chine pour construire des batteries en France dans des giga-factories », explique-t-il.
Emmanuel Macron évoque aussi l’ouverture en France de mines de lithium, qui sert pour fabriquer les batteries. Ce à quoi François-Xavier Pietri ne croit pas, pour des raisons de normes environnementales. Il rappelle que « le lithium provoque des dégâts écologiques considérables ». « Pour sortir un tonne de lithium, il faut utiliser un million de litres d’eau. Pour produire le lithium d’une seule batterie, il faut la consommation d’eau de 500 personnes pendant un an », dit-il. « Alors on assèche le Chili. Mais on n’est pas capable en Europe de faire ça, quand on voit les problèmes de sécheresse qu’on a eu cet été. Donc si on en développe, ce sera toujours très faible », analyse-t-il.
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Le journaliste s’inquiète aussi d’une disparité entre les riches et les pauvres. « Pour être vertueux, il faudra mettre de l’argent. Une Zoé électrique, au prix catalogue, c’est 32.000 euros. Une Clio essence c’est 17.000 euros », dit-il. Quant au futur de l’industrie automobile française, il pense que « les grands constructeurs vont s’en sortir ». D’après lui, « ceux qui vont souffrir, ce sont les petits, les sous traitants, ceux qui fabriquent les embrayages, les culasses ».
Il pointe du doigt un passage à l’électrique « brutal ». « Il y a d’autres solutions, les voitures au bio gaz et à l’hydrogène par exemple », conclut-il.

Source Radiofrance: écouter l’entretien avec l’auteur sur FranceInter

Quelques pages :

Tombe la foudre

Fin juillet 2020. La chaleur est écrasante sur le parking brûlant de l’aéroport Bastia-Poretta. Le vol de Paris vient à peine d’atterrir, mais déjà une longue file d’attente se presse devant le comptoir du loueur Hertz, où l’on n’a même pas songé à ménager quelques recoins ombragés. Les touristes sont là, transpirants, chauffés à blanc par l’intensité du soleil. Encombrée de bagages à roulettes qui butent sur le sol irrégulier, cette mère de famille s’exaspère : « Mais c’est quoi, cette galère ? Pourquoi on attend ? »

C’est qu’au comptoir, deux jeunes filles bataillent pour convaincre leurs clients : « Oui, une Zoé, on n’a pas autre chose à vous proposer. » « J’ai loué une Fiat 500 ! », tente le client, sidéré. « Vous avez pris un véhicule de classe A, et la Zoé, c’est la classe A. C’est bien marqué, quand vous réservez, que le modèle n’est pas garanti… », tente d’argumenter l’employée. « Mais je vais au camping, dans les aiguilles de Bavella. Je recharge où, moi ? », s’agace le client, qui sent pointer le petit goût amer de vacances qui commencent mal. La colère enfle. De longues minutes de palabres et le ton qui monte n’y changeront rien. Sauf à passer à la catégorie supérieure, au prix fort, bien sûr.

Plus tard, on les voit sortir du parking, la voiture glissant dans un étrange bourdonnement, le conducteur blême, agrippé au volant de sa Zoé bleue. Il faut dire qu’une voiture 100 % électrique, c’est tout sauf une partie de plaisir en Corse. La clim, la route de montagne et ses cols à franchir font fondre la batterie comme neige au soleil ; et il chauffe par ici. L’autonomie annoncée par le constructeur, vous pouvez facilement la diviser par deux, voire plus, s’il vous prend l’envie de rouler au frais ou d’appuyer sur l’accélérateur dans la montée.

Ce n’est pas le moindre des problèmes. « On a loué un appartement dans une résidence à Calvi, au bord de la plage, mais à l’étage », raconte ce jeune couple. « On va la brancher où notre voiture : sur le balcon ? » Pas simple, surtout quand le loueur annonce que sur une prise ordinaire, il faut au minimum une nuit pour recharger la batterie.

Quelques jours plus tard, attablé au Café de l’Avenue, je savoure avec quelques amis l’incroyable vue qu’offre le village de Cervione, belvédère de la Costa Verde. Devant moi, une Zoé passe et se gare. J’ai retrouvé un de ces touristes contraints de rouler vert. « Alors, l’électrique, vous êtes converti ? » La réponse est cinglante : « Pour le silence de la route oui, mais à condition de pouvoir rouler, et ça, ce n’est pas gagné ! » Et notre interlocuteur de nous raconter qu’il a passé l’essentiel de son temps à surveiller sa jauge, sidéré de la vitesse à laquelle la batterie rend l’âme, angoissé de ne pas pouvoir trouver en temps et en heure la prise miraculeuse, calculant ses trajets et ses étapes non pas en fonction de la beauté des paysages ou des églises à visiter, mais des possibilités de recharge… La semaine de vacances ? Elle a été occupée, à 50 % du temps, à veiller comme de l’eau sur le feu à la charge du véhicule, dans l’angoisse permanente de trouver la bonne prise au bon moment. Ces vacanciers ont d’ailleurs renoncé à une partie du programme qu’ils avaient imaginé avant de rejoindre l’île.

200 bornes de recharge pour 1 000 kilomètres de côtes corses
Il faut dire qu’ici, les bornes à recharge rapide, il ne faut pas trop y compter. Cet été-là, on en comptait moins d’une trentaine, pour les plus puissantes, sur un parc total de 200 points de recharge. Un taux ridicule sur un territoire montagneux qui s’enorgueillit de ses 1 000 kilomètres de côtes et de ses centaines de routes escarpées de montagne. Et quand j’annonce à mon touriste désabusé que l’objectif de Bruxelles est d’atteindre un taux d’équipement d’une borne tous les 60 kilomètres, j’ai droit à un rire un peu crispé.

Certes, la Corse est l’une des régions les moins pourvues de France en équipements électriques. L’électricité est essentiellement fournie par des centrales thermiques, plus réputées pour leur édifiante capacité à polluer que pour leur fiabilité. Pire, chaque été, l’île court le risque du black-out électrique. Des messages alarmistes sont régulièrement diffusés par la préfecture, enjoignant aux touristes de limiter l’usage de leur électricité, sous peine de coupures…

On comprend, dans ces conditions, que le parc d’équipement en bornes soit l’un des plus faibles de France : au printemps 2021, on comptait 1 borne de recharge pour 31 véhicules électriques, 6 fois moins que sur le continent… Et encore, le compte est fait à partir des véhicules immatriculés sur le territoire, qui compte environ 350 000 habitants – alors que l’été se bousculent plus de 1,5 million de touristes. Quant au marché des bornes, il est détenu à 80 % par un opérateur privé, Driveco. Bonjour la concurrence.

Le comble, c’est que la Corse a connu une progression spectaculaire des ventes de véhicules électriques ou hybrides en 2020 : plus de 2 600 immatriculations, le triple des volumes de l’année précédente, et ce malgré les longues semaines de confinement… Vous croyez, peut-être, que les Corses se sont massivement convertis à l’électrique ? Pas du tout. Cet engouement, on le doit aux constructeurs qui ont massivement vendu des véhicules électrifiés aux loueurs, histoire de respecter leurs objectifs de baisse d’émission de CO2. D’où les Zoé louées de force à nos estivants…

Mais d’autres régions n’ont rien à envier au sort de ces touristes égarés sur l’île de Beauté.

L’Europe impose son oukase sur l’électrique
Reprenons. Sur cette poignée de vacanciers, la foudre s’est abattue quand on leur a imposé un mode de locomotion qu’ils n’avaient pas demandé. Ce qui s’est passé devant moi en juillet 2020 à l’échelle microscopique du loueur de l’aéroport de Bastia-Poretta se prépare à celle, gigantesque, de l’Union européenne.

L’oukase est tombé de Bruxelles, le 14 juillet 2021. Ce jour-là, la Commission européenne annonce sa volonté d’interdire, purement et simplement, la vente de véhicules neufs émetteurs de CO2 d’ici à 2035. Quels qu’ils soient. Cela va du diesel en passant par l’essence, mais concerne aussi les hybrides qui tentent de concilier l’électrique et le thermique. Ne seront autorisés que l’électrique, l’hydrogène, ou toute technologie, improbable bien sûr, qui viendrait à s’imposer d’ici là, du moment que le CO2 en est banni. La France a bien tenté de repousser l’échéance à 2040, ou d’introduire l’hybride dans le contour de la décision des experts de la Commission. L’Espagne, deuxième producteur européen d’automobiles, a aussi traîné des pieds, de même que l’Italie, à l’époque dirigée par Mario Draghi, l’ancien patron de la BCE prêt à en découdre pour défendre Maserati ou Ferrari, ou encore la Tchéquie, dont le Premier ministre dénonçait les « fanatiques verts »…

Tous ont perdu la partie face aux pays dépourvus d’industrie automobile, et surtout face au ténor de l’automobile européenne, l’Allemagne, dont la bascule vers l’électrique sous l’influence de Volkswagen a pesé lourd dans la décision bruxelloise. Le Parlement européen, depuis longtemps majoritairement adepte du durcissement des règles de diminution des émissions polluantes, a approuvé sans coup férir l’oukase de la Commission. Et les vingt-sept États membres de l’Union européenne finiront par adopter définitivement le texte le 29 juin 2022, certains bien à contre-cœur.

Avec cette décision, les technocrates de Bruxelles se sont distingués, histoire de montrer leurs muscles face aux Chinois ou aux Américains. Ces deux grands pays, gros utilisateurs de voitures, sont en effet beaucoup plus mesurés.

Joe Biden, fraîchement élu à la présidence des États-Unis, annonce début août 2021 une décision sans précédent : une accélération brutale vers un parc automobile plus vert, un durcissement sensible des réglementations environnementales, après le laxisme de Donald Trump. Il entend « mettre l’Amérique en position de mener l’avenir de la voiture électrique ». Avec les mêmes contraintes qu’en Europe ? Pas du tout. Dès 2030, il impose que la moitié – et non 100 % – des voitures neuves vendues aux États-Unis soient électriques… ou hybrides rechargeables. En fait, le président américain s’est rallié aux propositions des constructeurs américains, manifestement bien plus persuasifs que les Européens. Les « Big Three » – GM, Ford et Stellantis (issu du mariage de PSA et de Fiat-Chrysler) – ont d’autant plus gagné la partie que cet objectif n’est pas contraignant !

Quant à la Chine, Xi Jinping a créé la surprise en septembre 2020 en annonçant viser la neutralité carbone de la nation qu’il dirige à l’horizon 2060. Cinq ans après l’objectif « Fit for 55 » européen. Il faut dire que le pays est, de loin, le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, ses émissions ayant augmenté de près de 55 % en dix ans. Autant dire que l’effort, en sens inverse, sera conséquent. Mais quelle part l’industrie automobile va-t-elle prendre dans cet objectif ? La question n’a rien de superflu : on vend sur le territoire chinois près de 28 millions de véhicules chaque année, plus de 2 fois le marché américain, 14 fois le marché français… Dans quelques années, le marché pourrait presque doubler : entre 40 et 50 millions de véhicules vendus chaque année. Il faut dire que les Chinois sont 5 fois moins équipés en véhicule que les Américains : 150 voitures pour 1 000 habitants en Chine, contre 800 pour 1 000 aux États-Unis.

Or, il se trouve que les autorités ont décidé d’arrêter les aides à l’achat de voitures électriques à la fin de 2022. Plus question de subventionner l’acquisition de véhicules propres. À la décharge des Chinois, il est vrai que le marché de l’électrique est beaucoup plus dynamique (18 % du marché en 2020) qu’aux États-Unis (à peine 2 % des ventes) où en Europe (10 %). Et pour cause : la Chine a depuis longtemps pris le train de la mobilité électrique, c’est d’ailleurs elle qui fournit l’immense majorité des batteries utilisées chez nous. Une avance industrielle imbattable sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir…

Le « 0 carbone » subi par les constructeurs
Revenons à nos technocrates bruxellois. La règle est simple et redoutable : « 0 émission de CO2 » pour les véhicules neufs vendus sur les terres de l’Union européenne d’ici à 2035. C’est clair, c’est net… et c’est une folie. Pire, dans sa guerre contre les émissions de gaz à effet de serre, peut-être louable mais certainement précipitée, la Commission en a profité pour durcir le rythme de réduction des émissions polluantes qui contraignent depuis plusieurs années les groupes automobiles.

C’est à cette aune qu’il faut juger les engagements pris par les constructeurs français qui tentent, la main sur le cœur, de faire passer pour un tour de force écologique ce qui ressort d’abord de la pratique du couteau sous la gorge… En 2021, les deux grands constructeurs français, Renault et Stellantis, comme la plupart de leurs homologues européens, ont annoncé des plans massifs et des objectifs radicaux de passage à l’électrique. Avec des dizaines de milliards d’euros mis sur la table. L’objectif : se tenir prêts face à l’échéance imposée par Bruxelles. Mais cette transformation brutale de leur modèle économique n’est pas sans provoquer, au sein même de ces groupes, un questionnement angoissé.

À cet égard, les prises de parole publiques du plus puissant d’entre eux, Stellantis, en disent long sur la perplexité que suscite ce virage radical.

Jeudi 8 juillet 2021, Carlos Tavares, la nouvelle star de l’automobile française depuis que ce transfuge de chez Renault a remarquablement redressé le groupe PSA, puis créé Stellantis, présente en grande pompe la stratégie d’avenir du nouveau géant de l’automobile. Le patron du 4e groupe mondial, a décidé de brancher définitivement son empire sur le réseau électrique, à l’horizon 2030. Voilà pour la façade.

Le grand patron de Stellantis, pilote automobile chevronné à ses heures perdues, est-il vraiment convaincu par cette stratégie européenne ? C’est une tout autre histoire. À la lecture d’une interview accordée par Carlos Tavares au quotidien Les Échos en début d’année 2022, on mesure clairement les limites de l’enthousiasme du patron du géant mondial de l’automobile : « L’électrification est la technologie choisie par les politiques, pas par l’industrie. […] Il y avait des méthodes moins chères et plus rapides pour réduire les émissions que celle-là. La méthode choisie ne laisse pas les constructeurs automobiles être créatifs pour apporter des idées différentes de l’électrification. Mais c’est un choix politique. » Fermez le ban. On a connu des expressions d’enthousiasme plus enflammées… La liste des griefs posés par le grand patron est longue comme le bras. Le risque industriel bien sûr, mais il décline aussi les risques sociaux, sociétaux, environnementaux, financiers…

Pourtant, quelques semaines plus tard, demi-tour complet. Le 1er mars 2022, Carlos Tavares réitère son objectif de 100 % de véhicules électriques produits en 2030 en Europe, annonce des objectifs record de rentabilité. Surtout, il déclare que la voiture électrique « est le meilleur chemin pour protéger l’entreprise, ses employés et les générations futures… ». C’est à n’y rien comprendre. La volte-face est radicale.

Sauf que cette bipolarité est devenue le lot de tous les constructeurs. Tous se désolent du diktat de Bruxelles. Dire qu’il a été très mal reçu par la profession est un euphémisme. Quant au choix politique, il a été clairement guidé par des lobbies qui réunissent, une fois n’est pas coutume, les organisations écologiques et les grands électriciens dans la même démarche. Il faut dire que l’automobile est, en théorie, le secteur le plus facilement électrifiable. Plus simple d’installer une batterie dans un véhicule que dans un avion ou une usine qui marche au gaz ou au pétrole. L’électricité donc, d’abord et avant tout, même si elle est nucléaire ou… charbonnière, si on peut dire.

La constance de l’incohérence des choix politiques…

 

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CARACTÉRISTIQUES
Auteur: François Xavier Pietri
Editeur : L’observatoire Eds De
Date de parution : 12/10/2022
EAN : 9791032926109
Format :13cm x 21cm
Poids : 0,2660kg
ISBN :1032926104
Illustration : Pas d’illustrations
SKU : 5158383