Le Biguine Jazz Festival : un gala de clôture très réussi

— Par Roland Sabra —

Inauguré au début de cette année l’Apoloosa Arena du François accueillait la dernière journée du Biguine Jazz Festival 2019, dans son écrin de verdure d’un hectare étagé en terrasses surplombant les deux-cents-quatre-vingts mètres carrés de la scène. Belle réalisation qui par ailleurs et ce n’est pas la moindre de ses qualités offre aux ingénieurs du sons de belles possibilités de réglage. La clémence de la météo a fait en sorte que les sorties de parapluies soient rares et très brèves. Ce gala de clôture était dédié à Maurice Jallier récemment décédé.

C’est Xavier Belin en quartet « Pitkapi » avec Laurent Emmanuel Bertholo (batterie), Elvin Bironien (basse), Alexis Valet (vibraphone), qui ouvraient le premier set dans ce va-et vient entre modernité des racines et tradition déstructurée qui caractérise ce travail, notamment dans une articulation singulière batterie/ti-bwa. Plus que la martiniquité soulignée avec insistance de ses acolytes, émerge la composition de ses morceaux autour d’une narration, comme celle de ces deux garçons, voleurs de quénettes, qui n’aimaient que deux choses, manger et prendre tous les meubles de leur grand-mère pour des ti-bwas. Il résulte de ce travail une cohérence autour d’un fil musical qui donne sens à ce qui est joué.

Le second moment est celui, très attendu par le public, du groupe guadeloupéen SOFT dont le répertoire s’inscrit de pied en cap dans sa culture pas si éloignée en fin de compte de celle de la Martinique à voir le public soutenir avec enthousiasme, de la voix et du geste, la prestation du groupe. Au trois plus une ( voix et violon) habituels dont les complicités s’affichent sans fausse pudeur sur scène le batteur et le bassiste sont apparus comme pas totalement intégrés. Une belle promenade des élans du gwoka aux saillies de la biguine.

Le troisième temps a été ce lui d’Etienne Charles, déjà venu il y a quelques années dans une précédente édition du BJF. Entouré d’une solide formation il a joué de ses ruptures de rythmes qui sont au cœur de son apprentissage musical à Trinidad et qu’il mêle au jazz depuis le début des années 2000. Il ressort de sa prestation rigueur et approfondissement dans la combinaison de ses deux approches qui conserve la jubilation du carnaval de Trinidad auquel il demeure attaché. Sur des morceaux de son dernier opus, il a évoqué par un film en fond scène l’époque pendant laquelle le tambour, trop subversif était interdit. Le documentaire « Black Echos III. Bamboo » le montre accompagné de quelques -uns de ses musiciens dans les rues de Trinidad, juché sur un plateau mobile sans doute dans des improvisations avec des musiciens de rue, soufflant dans des sortes de raras, frappant sur des bidons vides, tapant sur des bambous de toutes longueurs dans un concert de rue festif, débridé et joyeux. Rares sont les femmes qui participent aux réjouissances. La prestation d’Etinne Charles se termine sur une reprise de Bob Marley « Rédemption » qui emporte un fois de plus le public.

Le quatrième set à été celui de Somi, de son vrai nom Laura Kabasomi Kakoma . La nouvelle « Nina Simone comme la surnomme The Hugffinton Post et bien d’autres journaux, porte en elle et des ses actes la dualité de sa socialisation. Née à Champaign, dans l’Illinois, alors que son père achevait des études postdoctorales à l’Université d’Urbana – Champaign elle déménage à l’age de trois ans vers Ndola, en Zambie, alors que son père travaillait pour l’Organisation mondiale de la santé. À la fin des années 1980, lorsque son père est devenu professeur à l’Université de l’Illinois, elle retourne à Champaign, y passe le reste de son enfance, suit des études d’anthropologie africaine en parallèle avec une formation aux métiers des arts ! Sur la scène de l’Apoloosa Aréna elle donne un aperçu de ce dualisme fructueux en développant un son original et hybride qu’elle baptise « New African Jazz » sous le regard attentif de son mentor de longue date, le trompettiste sud-africain Hugh Masekela. Somi, c’est une voix qu’on oublie pas après l’avoir entendue. Un exemple parmi d’autres. Vers la fin du concert ( c’en est un!) elle propose le célèbre « Genger Me Slowly » extrait de son album « The Lagos Music Salon, » nommé ainsi, car il a été enregistré à Lagos durant un congé sabbatique de 18 mois en terre nigériane. Elle y appelle sous la forme d’un pur écrin jazzy avec la douceur et la subtilité d’une femme amoureuse un chéri qu’elle porte en son cœur. La demande des organisateurs du BJF de terminer sur un morceau connu du grand public a elle aussi été faite à Somi, ce par quoi elle rendra hommage à Fela Kutti.

Enfin et pour terminer il y eu Sly Johnson dans une vraie prestation scénique avec ce talent varié divers, inclassable immense qui l’habite, loin somme toute de ce tropisme de DJ qu’il ne renie pas et continue d’entretenir. Caméléon est bien évidemment le qualificatif qui l’habille au plus près de la peau. Il colle à son époque transfrontalière, rock, funk, jazz, rapp, soul, electro, etc. Transgressif, il cultive cette part d’enfant rebelle à toute soumission, à toute inféodation. Son seul dieu est l’éclectisme, la multi diversité qu’il bénie, célèbre et honore à l’intérieur même de ses compositions. Artiste protéiforme, de choriste à soliste, d’auteur à chanteur interprète, il affûte son style en multipliant les ouvertures impossibles, les rencontres improbables et se donne sur scène avec une infinie générosité. Il est aidé dans cette démarche par un groupe de musiciens professionnels de grande qualité, avec somme toute peu d’improvisations dans le déroulé du show réglé comme du papier à musique, bien sûr ! Le moment d’émotion intense partagée, avec « Mother » composé d’un trait par une nuit d’intenses souvenirs affectifs liés au décès de sa mère est comme un psaume lancé dans l’indicible assourdissant d’une douleur qui insiste dans un balancement entre supplication et action de grâce. Seul sur l’immense plateau, déserté par ses musiciens, dans le bruissement du vent des arbres de l’Apolloosa, il entame, human-beat-boxeur, un chant d’amour adressé aux étoiles, à une étoile, à son étoile, à celle qui toujours veille sur lui.

Revenu parmi ce public qu’il n’a pas quitté et qui manifeste son attachement, son enthousiasme,il l’invite à se lever, à venir danser au plus près de la scène. Comment résister ?

Fort-de-France le 16/08/19

R.S.

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