L’affaire Pinto : Une quête de justice et de restitution des terres ancestrales

— Par Jean Samblé  et Sabrina Solar —

Depuis plusieurs décennies, l’affaire Pinto déchire les hauteurs des Trois-Îlets en Martinique, révélant un conflit complexe mêlant héritage, spéculation immobilière frauduleuse et tensions sociales profondes. Au cœur de cette saga juridique et sociale se trouve Hervé Pinto, descendant direct de Félix Grat, qui s’efforce de récupérer les terres ancestrales héritées de son arrière-grand-père, acquises en 1874. Cependant, malgré deux décisions de justice favorables en 2007 et en 2011, le litige persiste, exacerbé par les transactions illégales sur le terrain et les tentatives d’appropriation frauduleuse orchestrées par Hermès Toussaint Ezana, également descendant de Félix Grat.

La parcelle en question, d’une superficie de 16,8 hectares, est devenue le centre d’intérêt de diverses manœuvres frauduleuses. En effet, Ezana revendique de manière frauduleuse la propriété de la terre et entreprend la vente de parcelles à des tiers sans le consentement des héritiers légitimes. Cette situation a entraîné la création de lotissements et de villas sur la propriété contestée, plongeant la communauté dans un conflit aux multiples ramifications.

Sur le plan juridique, la cause de Pinto est solide. Les décisions de justice ont confirmé la légitimité de sa propriété, mais les actes de fraude immobilière continuent de compliquer la situation. Les acquéreurs des parcelles, se basant sur leur bonne foi, réclament leurs droits de propriété, ignorant ou rejetant les décisions de justice en faveur de Pinto et des autres co-héritiers.

Cependant, les experts en droit immobilier soulignent que les ventes effectuées sur une propriété contestée et les actes notariés entachés de fraude peuvent être annulés rétroactivement en vertu du Code civil. Cette nullité des ventes de biens d’autrui offre une base juridique solide pour la réclamation des terres ancestrales.

La mobilisation populaire en faveur de Pinto s’est manifestée à travers des manifestations pacifiques devant l’hôtel de la Collectivité territoriale de Martinique. Ces manifestations témoignent de la solidarité envers Pinto et de la quête de justice. Malgré quelques tensions avec les forces de l’ordre, le mouvement reste non violent, réclamant la libération de Pinto et dénonçant les complicités dans les fraudes immobilières.

Pour faire avancer sa cause, l’avocat de Pinto, Maître Dominique Monotuka, a déposé une plainte contre les responsables des transactions frauduleuses, dénonçant une violation des droits constitutionnels. Cette action juridique s’ajoute à la mobilisation sociale pour rétablir la vérité et restituer les terres à leurs légitimes propriétaires, défendant ainsi les droits fondamentaux face à l’injustice et à la spoliation.

En parallèle, la Martinique se trouve confrontée à une crise immobilière sans précédent, comme en témoigne le récent rapport de l’Insee révélant que l’île détient le triste record du nombre de logements vacants, avec un taux de 16,1%. Parmi les principales causes évoquées figurent l’indivision et l’âge du bâti. L’indivision, en particulier, est pointée du doigt comme la première cause de ce taux élevé de logements vacants.

De nombreuses personnes possèdent des logements mais n’ont pas les moyens de les rénover, notamment en raison de leur âge avancé et de leurs faibles revenus. En outre, de nombreux logements sont des résidences secondaires, n’étant occupés que quelques semaines par an. Enfin, la lourde taxation sur la location de logements dissuade certains propriétaires de mettre leurs biens en location, contribuant ainsi au nombre élevé de logements vacants.

Le Groupement d’Intérêt Public (GIP) Indivision, mis en place en Martinique dans le cadre de la loi Letchimy votée en 2018, est un outil destiné à résoudre les nombreux problèmes de succession qui persistent dans l’île. Cette structure, fruit d’une collaboration entre la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), l’État et la chambre des notaires, vise à faciliter la sortie de l’indivision, une situation où plusieurs personnes détiennent conjointement la propriété d’un bien sans en avoir la jouissance exclusive.

Après dix mois de préparation depuis la signature de la convention, la première assemblée générale du GIP a eu lieu récemment pour définir le plan d’action de cet outil opérationnel. Selon Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la CTM, le GIP représente une avancée significative dans la résolution des problèmes de succession en Martinique, impliquant une coopération entre divers acteurs institutionnels et privés.

Le GIP Indivision vise à accélérer le processus de règlement des successions en mettant en œuvre les dispositions légales établies dans la loi Letchimy. Les notaires jouent un rôle central dans ce processus, en aidant à régulariser les actes et à faciliter la transmission des biens immobiliers bloqués par l’indivision.

Il faut souligner l’importance de la collaboration de tous les acteurs pour garantir le succès du GIP et être sûr que la résolution des problèmes d’indivision profitera à l’ensemble de la société martiniquaise en libérant des biens fonciers pour des utilisations diverses telles que la vente, la construction, les prêts ou la transmission aux générations futures.

La mise en place du GIP Indivision intervient à un moment crucial, alors que près de la moitié du foncier privé en Martinique est bloquée en raison de problèmes de succession. L’objectif est de rendre le GIP pleinement opérationnel le plus rapidement possible offrant ainsi une solution concrète à un problème complexe qui entrave le développement économique et social de l’île.

L’affaire Pinto met en lumière les défis persistants de la restitution des terres ancestrales, confrontant les intérêts privés aux droits légitimes. Mais au-delà des tribunaux, c’est dans la solidarité et la mobilisation citoyenne que se trouve l’espoir de rétablir l’équité et la justice pour tous.