Covid-19 : l’épuisement au CHU de Fort-de-France troisième vague

— Par Marion Lecas, correspondante du journal La Croix, à Fort-de-France —

La Martinique est frappée par une nouvelle reprise de l’épidémie. Depuis un an, le CHU est sous pression continue, même lorsque le virus ralentit.

Les grandes montures des lunettes de Claude-Emmanuelle ne suffisent pas à cacher ses traits tirés. « J’attends la fin du mois avec impatience, non plus pour la paie, mais pour savoir si oui ou non nous aurons des congés », souffle l’infirmière du service réanimation du centre hospitalier de Fort-de-France. Afin d’affronter la recrudescence de l’épidémie, les vacances du personnel ont été annulées jusqu’à la fin avril… au moins. Il s’agit de la phase la plus brutale et meurtrière qu’ait connue l’île : 68 décès au 18 avril, contre seulement quatorze un an auparavant, lors de la première vague du Covid-19.

Passé la porte battante des soins intensifs, dans l’aile flambant neuve de l’hôpital, les électrocardiogrammes s’emballent. Le calme est brisé par les « dépêchez-vous » et les bruits de brancards qu’on déplace. Les soignants s’engouffrent dans les chambres et en ressortent la mine souvent défaite. « On perd des patients bien plus jeunes qu’avant », note Claude-Emmanuelle. Le directeur général du CHU, Benjamin Garel, fait état de transferts « presque immédiats » en réanimation : « Ils nous parviennent dans des états déjà très dégradés », décrit-il. La quasi-totalité des hospitalisations est due au variant anglais, dont l’introduction en Martinique coïncide avec la réouverture des frontières cet hiver.

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« Les gens n’allaient pas se faire tester »

Si les causes de la reprise épidémique sont compliquées à déterminer, les soupçons se portent essentiellement sur le carnaval, qui a eu lieu mi-février. Des Martiniquais – jusqu’à 1 500 dans certaines villes – avaient alors bravé l’interdit, se retrouvant dans les rues et sans masque pour y danser et défiler. « On a su qu’il y aurait de graves conséquences », rapporte l’infectiologue André Cabié. Il se remémore un fait étonnant : au début de cette troisième vague, la réalité des soignants a devancé les indicateurs, c’est-à-dire que les entrées à l’hôpital de malades graves se sont multipliées très rapidement, alors que les indicateurs de l’ARS restaient stables. « En fait, nous nous sommes rendu compte que les gens n’allaient pas se faire tester », explique-t-il. Sur les réseaux sociaux circulaient des appels à ne pas se faire dépister, afin que les chiffres n’augmentent pas et que le confinement soit évité. Les soignants du CHU, eux, réclamaient au préfet de nouvelles mesures drastiques : elles n’arrivèrent que le 17 avril, « deux ou trois semaines trop tard », regrette Benjamin Garel, qui conçoit toutefois que d’autres facteurs, socio-économiques notamment, entrent en ligne de compte.

« Ça redescend, non ? »

Après un pic lundi 19 avril, où seuls deux lits de réanimation Covid restaient inoccupés, sur 35 au total, les soignants veulent désormais croire à une accalmie. La même interrogation rythme les pauses café : « Ça redescend, non ? », s’enquiert un fumeur en blouse blanche. On pourrait penser les soignants habitués, depuis un an, mais les profils de chaque vague varient tant qu’ils doivent continuellement redoubler d’efforts. D’abord, le CHU a manqué de masques et d’équipement, plus encore qu’en métropole. Ensuite, simultanément au coronavirus, il a fallu affronter une épidémie de dengue comme on n’en avait plus vu depuis des années. « Beaucoup de nos soignants sont tombés malades », se rappelle Odile Akrong, responsable de la coordination des soins. Quand la propagation du virus a ralenti, la tension hospitalière n’est pas retombée, soutenue par le rattrapage des soins déprogrammés, un enjeu crucial dans ce département français au taux de recours aux soins le plus faible et où « certains se laissent mourir d’une hernie », commente Benjamin Garel.

Déconfinement : l’espoir en terrasse pour les restaurateurs

Depuis quatre semaines, à nouveau, 50 % des soins ont été déprogrammés. D’autant plus que, le CHU de Martinique possédant les équipements parmi les plus avancés des Caraïbes, il prend en charge les patients des territoires alentour, les Guyanais notamment, très touchés en ce moment. Exténués, les soignants sont près de la rupture. Le taux d’absentéisme atteint 14 % dans le service de réanimation. Même la petite salle de repos, habituellement remplie de rires, semble devenue triste. L’espoir, désormais, se trouve dans les vaccins et l’immunité collective, mais la campagne tarde à démarrer au sein même du CHU. Si 75 % des médecins sont vaccinés, ce taux n’atteint même pas 10 % parmi le personnel paramédical.

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Dans les Antilles-Guyane, une situation préoccupante

Le variant brésilien représente plus de 80 % des cas positifs en Guyane. La troisième vague a débuté alors que seulement 2,5 % de la population a reçu les deux doses de vaccin. Les Guyanais, à leur arrivée en métropole et/ou dans les Antilles, doivent effectuer un test PCR et respecter dix jours d’isolement.

Plus de 90 % des individus positifs en Guadeloupe sont porteurs du variant…

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