Catégorie : En librairie

Corto Maltese. « Et nous reparlerons des gentilshommes de fortune »

— Par Michaël Mélinard —

cortomaltesse20 ans après la mort de son créateur Hugo Pratt, Corto Maltese revient pour une nouvelle aventure concoctée par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero. Retour sur la vie du plus célèbre marin de bande dessinée que ses voyages ont confronté aux soubresauts du siècle.
Les héros sont éternels. Ainsi, Corto Maltese dont on ignore s’il est bel et bien mort, ressuscite, 20 ans après la disparition de son créateur Hugo Pratt, sous la houlette de deux auteurs espagnols, le scénariste Juan Diaz Canales et le dessinateur Ruben Pellejero dans « Sous le soleil de minuit ».
Ce personnage de marin solitaire, instantanément identifiable, dépasse largement le cadre de la bande dessinée. Il est devenu un mythe littéraire qui lui vaut nombre d’ouvrages, d’adaptations cinématographiques et même quelques chansons. Visage anguleux, créole à l’oreille gauche, redingote bleu nuit, casquette de marin, Corto Maltese cultive certes sa liberté et son indépendance. Mais il ne s’interdit pas, au gré de ses nombreuses rencontres, de s’engager pour des causes.
Pratt lui a fait vivre 29 aventures (dont une partie fut publiée dans « Pif » entre 1970 et 1973), réunies en 12 albums depuis sa création en 1967.

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Dinaw Mengestu, d’un lieu à l’autre

tous_nos_nomsLe jeune romancier retrace dans ses livres le parcours des déracinés pour lesquels l’exil est une nécessité.

Classé parmi les dix meilleurs romans de l’année par le New York Times
Élu « livre de l’année » par le quotidien britannique The Independent
Isaac, jeune étudiant Africain, fuit la guerre civile de son pays et s’exile aux États-Unis dans le cadre d’un programme d’échange. Dans l’Amérique post-raciale des années 1970, il est accueilli par Helen, une assistante sociale qui le prend rapidement sous son aile. Très vite, une idylle s’installe, troublée par les secrets du passé d’Isaac – les actes qu’il a commis dans son pays, ce qu’il a laissé derrière lui et qui reste inachevé.
Ni Helen, Américaine du Midwest qui, en tombant amoureuse de lui, voit ses préjugés voler en éclats et tente de s’élever contre les inégalités raciales qui persistent dans sa propre communauté, ni le lecteur ne connaissent le vrai nom d’Isaac : il l’a laissé derrière lui, en Ouganda, avec les promesses d’une révolution réprimée dans le sang par la future dictature, abandonnant aussi son ami le plus cher, qui n’a pas hésité à tout sacrifier pour assurer sa liberté.

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C’est la rentrée des classes littéraires

— Par Muriel Steinmetz —

rentree_litteraireUne nouvelle maquette, surgissement de l’exofiction, et malgré tout, pas mal d’ouvertures sur le monde tel qu’il va mal.

En cette rentrée, le rendez-vous des livres change de visage avec une nouvelle maquette. Désormais, la fiction et l’essai cohabitent dans un même espace. Ces changements coïncident avec une rentrée littéraire foisonnante même s’il y a moins de titres que l’année passée (589 titres, contre 607 en 2014). La baisse est particulièrement notable pour les premiers romans, 68 contre 75 l’an dernier et 90 dans les années fastes. Prudence ? Frilosité ? Pour la fiction francophone, se côtoient valeurs sûres et découvertes.

On peut discerner quelques tendances. La première, qu’on appelle aujourd’hui l’exofiction, définit le roman en brouillant (ou du moins en remaniant) la frontière entre fiction et biographie, voire en utilisant des personnages plus ou moins célèbres ou en s’inspirant de récits historiques d’époques diverses. Laurent Binet, par exemple, s’empare de la figure de Barthes, Yasmina Khadra de celle de Kadhafi, Bernard Chambaz de Poutine, Simon Liberati d’Eva Ionesco… D’autres vont même jusqu’au roman « sans fiction ».

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Toni Morrison, le retour de la Prix Nobel de littérature

— Par Laëtitia Favro —toni_morrison_delivrances
La Prix Nobel de littérature 1993 revient, à 84 ans, avec Délivrances qui raconte l’histoire d’une fille rejetée par sa mère à cause de la noirceur de sa peau.
S’ils dépeignent la communauté noire américaine des prémices du XXe siècle à nos jours, les romans de Toni Morrison ne se répètent jamais. Auréolée d’un Pulitzer, du prix Nobel de littérature en 1993 et, plus récemment, de la médaille présidentielle de la Liberté décernée par Barack Obama, la papesse de la littérature afro-américaine traite pour la première fois dans Délivrances de l’Amérique d’aujourd’hui et surprend encore, à 84 ans, par le mordant de sa prose et la vigueur de ses idées.
Cette peau noire, si sombre qu’elle en paraît bleutée, Lula Ann Bridewell l’a d’abord vécue comme une malédiction, abandonnée à la naissance par son père, rejetée par sa mère, Sweetness, de carnation plus claire. Devenue adulte, celle qui se fait désormais appeler « Bride » est une femme d’affaires courtisée : à la tête d’une entreprise de cosmétiques florissante, elle collectionne les conquêtes, roule en Jaguar et ne s’habille plus que de blanc pour accroître le magnétisme de sa beauté hors du commun.

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Denis Lachaud, la révolution en 2037

— Par Sophie Joubert —

denis_lachaud_ca_iraCe roman d’anticipation explore les nouvelles formes de contestation, 
entre intime et collectif.

Ah ! ça ira… de Denis Lachaud. Actes Sud. 432 pages, 21,80 euros. Ah ! ça ira… commence comme un épisode de la série américaine 24 Heures chrono. Rapide et efficace. Un groupuscule dont les membres se nomment Robespierre, Marat et Saint-Just enlève le président (fictif) de la République française. Leur objectif : « rendre sa dignité au peuple ». Déshabillé, séquestré, l’homme est jugé devant un tribunal révolutionnaire et reconnu coupable. Il est retrouvé mort dans un coffre de voiture. L’assassinat a eu lieu hors champ. Comme les hommes de 1793, les membres de ­Ventôse veulent, en coupant la tête 
de l’État, fonder « la possibilité d’une autre histoire ». Mais l’opération est un échec. Le groupe est mis en sommeil et Antoine, alias Saint-Just, arrêté par la DGSI et emprisonné. Fin du suspense et de l’acte I. Avant le basculement dans l’anticipation.

Le livre fait écho à un environnement multipolaire et aux communications rapides

À travers le destin de quelques personnages, Denis ­Lachaud a voulu embrasser tous les mouvements d’émancipation, de la Révolution française aux printemps arabes en passant par la Résistance et les mobilisations citoyennes de par le monde.

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« Les Désenfantées » de Nathalie M’Dela-Mounier

les_desenfanteesThéâtre

En collaboration avec Aminata Dramane Traoré

Alors que de jeunes migrants tentent en vain de gagner l’Europe depuis une plage africaine, deux femmes guettent les appels téléphoniques de leurs enfants respectifs séduits par un ailleurs qu’elles n’imaginaient pas. Amadou a en tête de rejoindre les djihadistes au nord du Mali ; Alice a pris la route de la Syrie où ils recrutent également.

Du déni à la colère, au-delà des efforts que font ces mères – qui n’ont apparemment rien en commun – pour que leurs enfants reviennent et pour comprendre les causes de leur départ, elles mesurent ce qui les rapproche toutes les deux. Non dénuées d’humour, repoussant déterminisme et fatalisme, elles nous font aussi percevoir comment ce qui se passe à un endroit de la terre peut affecter l’autre partie.

En donnant la parole aux mères et en interrogeant le système sous un angle inhabituel, cette pièce nous invite à réaliser notre communauté de destin. Elle souligne la nécessité de remonter à la source des événements qui tissent puis déchirent les vies de femmes et d’hommes refusant de n’être que les jouets cassés d’un monde chaotique.

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Haïti est une blessure et une jouissance que je traine avec moi

— Entretien réalisé par 
Muriel Steinmetz —

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Un fort alcool de contrebande
La Nuit des terrasses, de Makenzy Orcel. Éditions La Contre Allée, 62 pages, 9 euros. recueil De bars en bars à Port-au-Prince l’auteur dans une langue de la rue réinventée au grè de ses errances redevient poète pour aller à la rencontre de ses frères de terrasses avec la force et la tendresse des chants populaires.

Makenzy Orcel est né en 1983 dans le quartier pauvre de Martissant, à Port-au-Prince. Son roman les Immortelles (Zulma, 2012), texte forgé dans une langue de la rue réinventée, à la fois crue et poétique, donnait voix aux prostituées de la capitale haïtienne dont tant sont mortes écrasées sous les décombres du terrible tremblement de terre qui a ravagé l’île en janvier 2010. Makenzy Orcel nous confiait l’avoir écrit dans la rue, après le séisme, derrière une vieille voiture abandonnée, à côté du cadavre d’une femme enceinte. Avec la Nuit des terrasses, le romancier redevient poète. Il trinque à la convivialité, invite à sortir la tête de son verre pour célébrer à plusieurs, présents et absents, « l’heure ivre », « la lumière pintée », car « boire nous sort du temps ».

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Dans la maison du père, danser au risque du péril

— Par Sophie Joubert —

dans_la_maison_du_pereDans la maison du père, de Yanick Lahens. Coll. «SW Poche», Sabine Wespieser éditeur, 9 euros. Le premier roman de la Haïtienne Yanick Lahens [première parution en 2000] suit l’émancipation par la danse d’une jeune fille de bonne famille.

Dans la maison du père est un roman doublement initiatique. Au sens classique, parce qu’il suit la formation d’Alice Bien-aimé, une jeune mulâtresse de la bonne société haïtienne. D’une manière plus souterraine, parce qu’il pénètre au cœur des cérémonies vaudoues, interdites par un décret de Toussaint Louverture, le 4 janvier 1800. C’est dans une villa de Port-au-Prince, à l’insu de ses parents, qu’Alice découvre cette danse du diable qui libère les corps et les esprits.

Un corps et une île 
en pleine ébullition

Alice Bienaimé est véritablement née d’une image, à l’âge de treize ans. Portée par un air de ragtime à la mode, l’adolescente esquisse quelques pas de danse, aussitôt réprimés par une violente gifle de son père, Anténor le Sévère. Ce traumatisme originel est le cœur du très beau roman de Yanick Lahens, raconté à la première personne par la petite fille devenue une vieille femme.

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Pour une insurrection poétique permanente

poesie_sauveuse_du_monde— Par Marie-José Sirach  —

La poésie sauvera le monde, de Jean-Pierre Siméon. Éditions Le Passeur, 86 pages, 15 euros. Directeur du Printemps des poètes, Jean-Pierre Siméon signe un pamphlet nerveux et enthousiaste. Pour la poésie.

C’est le livre d’un homme en révolte, comme on dirait, en colère. Jean-Pierre Siméon, poète, ose la poésie, le poème, la langue. Un livre comme un cri, Urgent crier !, proclamait André Benedetto, un cri pour dire haut et fort, sans détours ni faux-semblants, que « la poésie sauvera le monde ».

« Le poème demande un effort (…) : le silence, la lenteur, la patience », écrit-il. Affirmer cela aujourd’hui, dans nos sociétés où l’imaginaire est piétiné sur l’autel de l’image, où la langue est aseptisée, lissée jusqu’à la vider de son sens (de son sang), c’est nager à contre-courant des flots et du flux, de ces torrents d’images et de mots-mensonges qui prétendent parler du réel… Or « tout poème est un grain de sable dans les rouages de la grande machine à reproduire le réel », poursuit-il, quand tout concourt, par le truchement du divertissement, de la domination du conceptuel dans l’art, « à une lecture passive du monde ».

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De la poésie de toutes les couleurs

ce_qui_est_ecritCe qui est écrit change à chaque instant, anthologie poétique. Le Castor Astral, 315 pages, 12 euros.

Cent un poètes pour un ouvrage qui est en même temps un manifeste de diversité et d’éclectisme.
C e qui est écrit change à chaque instant, c’est le titre de l’anthologie qui paraît ces jours-ci au Castor Astral. Il s’agit d’une citation du poète suédois Tomas Tranströmer, auteur vedette de la maison. Cent un poètes y sont présents sous forme d’extraits de leurs œuvres, véritable pot-pourri de ce que la maison d’édition s’honore d’avoir publié depuis sa création en 1975. La majorité des écrivains sont francophones, mais on trouve aussi des voix venues de l’étranger (Chine, Flandres, Pays basque, Angleterre, Colombie, États-Unis, Irlande, Italie, Norvège, Jamaïque, Suède, Russie, Allemagne…). Les choix de Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba sont très divers. Ils embrassent aussi les auteurs de la Beat Generation et ceux du Manifeste électrique (1971) et du Manifeste froid (1973), ainsi que les participants aux revues Chorus (Franck Venaille, Daniel Biga et Pierre Tilman) et Exit (Patrice Delbourg, Daniel Fano, Yves Martin, Marc Villard), sans omettre les changements formalistes sans cesse à l’œuvre dans la sphère poétique.

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La légende du Super Mama Djombo

— Par Sophie Joubert —
les_grands_s-prudhomme« Les Grands », de Sylvain Prudhomme, un roman qui raconte l’histoire 
de la Guinée-Bissau à travers 
un groupe de musiciens mythique, vient de recevoir le Prix de la porte dorée*.

Le Super Mama Djombo est né peu après l’indépendance de la Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest, frontalier du Sénégal et de la Guinée Conakry, qui s’est libéré en 1974 de la domination portugaise. La formation a connu son âge d’or entre 1977 et 1981, portant la fierté nationale lors de mémorables tournées à l’étranger où elle a notamment chanté la gloire d’Amilcar Cabral, le Commandante, figure de la libération du pays. Le Super Mama Djombo existe toujours, certains membres ont disparu, d’autres se sont exilés en France ou au Portugal. Mélangeant réalité et fiction, Sylvain Prudhomme s’est approprié les noms des musiciens pour en faire des héros de roman. Seul le personnage principal, Couto, grand patron de la guitare, « mélange d’ancienne gloire grisonnante et de branleur impénitent », est inventé. Les Grands commence aujourd’hui, en avril 2012, à la veille d’un coup d’État bien réel qui a secoué le pays.

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« Bouki fait gombo » : histoire d’une plantation en Louisiane

— Par Michel Herland —

BoukiFaitGomboNous avons présenté ailleurs le mémorial de l’esclavage inauguré récemment sur le site de la Plantation Whitney en Louisiane[i]. Ibrahima Seck, son directeur scientifique, a consacré à l’histoire de la plantation un livre intitulé Bouki fait Gombo[ii]. Si le sous-titre est explicite, il n’en est pas de même du titre, compréhensible seulement pour qui connaît le proverbe entier (Bouki fait Gombo, lapin mangé li), proverbe dans lequel l’auteur propose de voir la description imagée de l’exploitation telle qu’elle existait en particulier dans les sociétés esclavagistes. Le brave bouc qui prépare à manger[iii], ce serait l’esclave et le lapin qui s’en régale serait le maître.

Cette interprétation proposée par I. Seck dans l’Introduction à son livre paraît néanmoins sujette à caution car le proverbe – dans ses diverses variantes et depuis ses lointaines origines au Sénégal où la hyène se trouve opposée au lapin – met traditionnellement en scène la ruse et non la force. Or c’est cette dernière qui est à la base de la société esclavagiste. Lafcadio Hearn, qui donne ce proverbe dans son Petit Dictionnaire des proverbes créoles, note qu’il résume un grand nombre de contes mettant en scène Compé Bouki épis Compé Lapin[iv].

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Tchicaya U Tam’si, sa vie, son œuvre et sa mémoire

—Entretien réalisé par Muriel Steinmetz —

tchicaya_u_tamsiRencontre avec Boniface Mongo-Mboussa, biographe du poète congolais, grande voix de l’Afrique et ancien compagnon de Lumumba, 
qui a contribué à la publication du deuxième tome de ses œuvres complètes.

Gallimard sort, dans sa collection « Continents noirs », la trilogie romanesque du Congolais Tchicaya U Tam’si (1931-1988). Boniface Mongo-Mboussa qui, il y a un an, publiait une biographie de ce grand poète de l’Afrique, en a composé la postface. Il répond à nos questions.

Paraît enfin ce second volume des œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si auquel vous avez grandement contribué. Vous avez en outre écrit sa biographie, le Viol de la lune. Vie et œuvre d’un maudit (Vents d’ailleurs)…

Boniface Mongo-Mboussa Il s’est éteint en avril 1988. Deux ans après, la revue Europe lui rendait hommage. Il y a eu deux colloques. L’un à Brazzaville (Congo), en avril 1992, et l’autre à Yaoundé (Cameroun), un an après. En 1998, ses anciens collègues de l’Unesco ont publié un bel ouvrage, Tchicaya, notre ami. Il convient d’ajouter la biographie de Joël Planque, Tchicaya U Tam’si, le Rimbaud noir, sans oublier l’essai de Pierre-Henri Kalinarczyk, où il compare sa poésie à celles de René Char et d’Aimé Césaire à travers le thème du pays natal.

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Simone Schwarz-Bart et Philipp Meyer lauréats du prix Littérature Monde

ancetre_en_solitudeCes prix récompensent un ouvrage écrit en français ainsi qu’un roman traduit – prix Littérature Monde étranger – et chacun d’eux est doté de 3.000 euros par l’AFD, en charge de la politique publique française d’aide au développement au plan mondial.
« L’ancêtre en solitude » est cosigné par Simone et André Schwarz-Bart, décédé en 2006, car il est le fruit de la réflexion commune du couple qui avait imaginé d’écrire ensemble un vaste cycle romanesque retraçant l’histoire des Antilles. Leur projet s’était heurté à l’incompréhension de nombre d’intellectuels antillais.
Simone Schwarz-Bart est notamment l’auteure de « Pluie et vent sur Télumée Miracle » (1972), considéré comme un classique de la littérature caribéenne, tandis que son époux avait été récompensé par le Goncourt en 1959 pour « Le dernier des Justes« .

L’Ancêtre en Solitude s’inscrit dans la lignée des grands romans guadeloupéens écrits à quatre mains par Simone et André Schwarz-Bart : Un plat de porc aux bananes vertes (1967) et La Mulâtresse Solitude (1972). André Schwarz-Bart a obtenu en 1959 le prix Goncourt pour Le Dernier des Justes.

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« Nouvel an chinois », de Koffi Kwahulé, Lauréat du Prix Mokanda 2015

koffi_kwahuleOn ne sait jamais trop quand défilera le carnaval chinois dans le quartier de Saint-Ambroise. C’est en tout cas l’hiver, un jour de janvier ou février. Un jour comme tous les autres pour Ézéchiel qui, depuis la mort de son père, occupe les longues journées qu’il ne passe plus au lycée en fantasmes flamboyants et débridés. Ézéchiel qui, de questions sans réponses en désirs sans fond, s’épuise à comprendre un monde qui se dérobe. Tandis que l’insaisissable Melsa Coën prend peu à peu, dans ses rêveries, la place d’une mère absente à tous comme à elle-même. Seule sa sœur maintient le lien comme elle peut, continuant pour Ézéchiel le récit de sa vie au loin, perchée « dans une cabane dans les arbres ».

C’est pourtant ce jour-là, au son des gongs et des cymbales, que choisit le funeste Demontfaucon, alias Nosferatu, pour revenir prêcher sa haine…

Dans ce roman écrit dans l’énergie syncopée de l’improvisation, tout commence par le rythme, dans le grand balancement du désir et de la répulsion qui porte les personnages de cette nouvelle dramaturgie urbaine.

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Luz, page après page, poursuit sa thérapie par le crayon

— Par Audrey Loussouarn —
luz_catharsisAlors qu’il vient d’annoncer son départ de Charlie Hebdo, le dessinateur publie un livre, « Catharsis », où il couche sur papier son quotidien, fait de noirceur et de reconstruction. On le voit reprendre goût à la vie et au dessin, deux éléments hantés par le deuil de ses amis disparus dans l’attentat du 7 janvier.

Catharsis. Le titre du livre que publie Luz est si lourd de sens (1). D’ailleurs, dès la première page, il l’annonce : depuis l’attentat du 7 janvier, le dessin l’avait « quitté », comme il dit, mais revient « petit à petit », « à la fois plus sombre et plus léger ». Ce « revenant », Luz apprend à le réapprivoiser, durement, au prix de l’omniprésence de nombreux traumatismes.

Au fil des pages de ce journal intime illustré, qui sortira demain en librairie, le lecteur prend l’ampleur d’une telle entreprise. C’est grâce à cette « troisième épaule » que, « pour la première fois de (sa) vie », il n’avait « pas peur d’une page blanche », disait-il à Libération hier.

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« N’appartenir », de Karim Miské

n_appartenirRécit d’un parcours atypique, d’une blessure encore vive, de souvenirs d’enfance, N’appartenir raconte une histoire universelle, nourrie des lectures d’Arendt, Sartre, Balzac, Orwell, Manchette, des musiques de Johnny Rotten, Patti Smith, Janis Joplin, Jimi Hendrix. De celles et ceux qui ont dit la réalité écorchée, dissimulée et emmurée dans l’hypocrisie et le mensonge de toutes les sociétés.

« Au commencement, il y a la honte. […] Et puis un jour, boum ! La vérité. »
Un uppercut, voilà ce que nous expédie Karim Miské !
Né d’un père mauritanien, diplomate et musulman, d’une mère française, assistante sociale, professeure, athée et féministe, Karim Miské est une bizarrerie aux yeux des autres. Sans cesse ballotté entre une identité et une autre, il essaiera d’ « appartenir » à toutes pour finalement n’en accepter aucune. Mais son miroir et les autres lui renverront toujours l’image du bâtard, du paria.

Documentaires, scénarii, livres, tous ses travaux tourneront indéfiniment autour de thème de l’ « appartenance ». Perdu entre différents mondes, Arabe, Blanc, Chrétien, Athée, Musulman, Noir, communiste ; entre plusieurs pays, la France, la Mauritanie, et même l’Albanie d’Hoxha pour laquelle s’est passionnée sa mère, Karim Miské s’est trouvé un refuge, un navire qui l’aide à traverser la vie : la littérature.

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Kamel Daoud, prix Goncourt du premier roman : « Une réussite exceptionnelle »

kamel_daoudL’écrivain algérien Kamel Daoud, visé par une fatwa dans son pays d’origine, a reçu mardi le Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête. Bernard Pivot évoquait en octobre dernier […] ce roman virtuose, à la fois un complément et une suite à L’étranger d’Albert Camus. Relisez sa chronique.

L’assassin a un nom : Meursault. Mais sa victime n’en a pas. L’écrivain se contente de l’appeler l’Arabe. Sur une plage d’Alger, Meursault a tué l’Arabe de cinq balles de revolver. L’Étranger, paru en 1942, n’a plus cessé d’être lu et relu. C’est le roman le plus célèbre, le plus emblématique, le plus commenté d’Albert Camus. Il commence par une phrase légendaire : « Aujourd’hui, maman est morte. » Meursault ne pleurera pas à l’enterrement de sa mère et c’est principalement à cause de cette froideur, de cette insensibilité qu’il sera condamné à mort. Il a refusé de paraître ce qu’il n’est pas, autrement dit de mentir. Il regrette moins son crime que l’ennui qu’il éprouve à en répondre. Voilà une attitude intolérable qui sera punie, au nom du peuple français, par « la tête tranchée sur une place publique. 

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La vie de Raphaël Elizé est désormais un roman

« Rendez-vous avec l’heure qui blesse » aux Editions Continents noirs, Gallimard. 195 pages. 17.90 euros.

Gaston-Paul Effa, écrivain et professeur de philosophie, a écrit un roman dans lequel il se glisse dans la peau de Raphaël Elizé.

Il manque toujours au premier maire noir de métropole et maire de Sablé, une réelle reconnaissance nationale. Peut-être l’ouvrage de Gaston-Paul Effa y contribuera-t-il.

«Mon grand-père disait que pour les Noirs la peau est un mystère insondable, et il le disait sans chercher à savoir si nous comprenions, ou si, à Lamentin, on se souciait de la peau des esclaves, la mer, seule, évoquait quelque chose pour nous puisqu’elle n’était jamais bien loin, qu’elle nous nourrissait, qu’elle n’aurait jamais fini de charrier nos expériences originelles. Ce que voulait dire mon grand-père, c’était peut-être que la peau d’autrui et sans doute la sienne, et aussi la mienne aujourd’hui, sont un détroit où l’on ne peut que se perdre.»
Martiniquais d’origine modeste, vétérinaire rejeté puis admiré, Raphaël Élizé, le narrateur, a été le premier maire noir d’une ville de France métropolitaine. L’occupation allemande, au cours de la Seconde Guerre mondiale, mit malheureusement fin à son mandat pour des préjugés de couleur.

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« Les grands écrivains sont souvent de grands théoriciens »

Théories de la littérature, Système du genre 
et verdicts sexuels.

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Entretien avec Didier Eribon, réalisé par Nicolas Dutent

Dans A la recherche du temps perdu, Proust développe une théorie de l’homosexualité, largement inspirée de la psychiatrie de l’époque. Or, non seulement elle ne s’applique pas à certains personnages dont on apprend qu’ils sont «homosexuels», mais Charlus lui-même ne cesse de tenir des propos qui la contredisent. La théorie est ainsi déconstruite au fur et à mesure qu’elle est construite. Il en va de même chez Genet, où l’on voit toutes les théorisations démenties par les pratiques réelles.
Pourtant, cette instabilité générale de la théorie reste prise dans les cadres fixés par les normes et les notions obsessionnellement rappelées du «masculin» et du «féminin». Il s’agit dès lors de comprendre comment les pratiques «subversives» et les discours «hérétiques» peuvent à la fois constituer d’importants «contre-discours» et «contre-conduites», tout en laissant intact le système du genre et de la sexualité, et donc en participant à sa perpétuation.
Comment penser dès lors la transformation sociale et politique, si ce n’est en portant le regard sur la reproduction de la structure qui s’opère à travers l’opposition toujours rejouée entre normes et contre-normes ?

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Michael Connelly «Suivre l’inspecteur Bosch depuis 20 ans me permet de mener une étude politique»

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« La jubilation du lecteur tient dans les errances et les impasses de l’enquête. Bosch est celui qui remet tout en question, tout le temps. Nul axiome ne lui résiste.»
Le Point

1992. Los Angeles est en proie aux émeutes et les pillages font rage quand Harry Bosch découvre, au détour d’une rue sombre, le cadavre d’Anneke Jespersen, une journaliste danoise. À l’époque, impossible pour l’inspecteur de s’attarder sur cette victime qui, finalement, n’en est qu’une parmi tant d’autres pour la police déployée dans la ville en feu. Vingt ans plus tard, au Bureau des Affaires non résolues, Bosch, qui n’a jamais oublié la jeune femme, a enfin l’occasion de lui rendre justice et de rouvrir le dossier du meurtre. Grâce à une douille recueillie sur la scène de crime et une boîte noire remplie d’archives, il remonte la trace d’un Beretta qui le met sur la piste d’individus prêts à tout pour cacher leur crime. Anneke faisait peut-être partie de ces journalistes qui dérangent quand ils fouillent d’un peu trop près ce que d’autres ont tout intérêt à laisser enfoui…

L’ouvrage a fait partie de la sélection Publishers Weekly des meilleurs livres de l’année 2012.

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« L’histoire de Poncia », de Conceição Evaristo

histoire_de_ponciaConceição Evaristo peut, à juste titre, être considérée comme l’une des plus importantes voix de la littérature afro-brésilienne, et plus particulièrement des femmes afro-descendantes au Brésil. Elle récupère une mémoire collective effacée par le discours colonial, et y mêle l’histoire non officielle et la mémoire individuelle. conceicao_evaristo
Née en 1946, deuxième enfant d’une famille de neuf, elle passe les premières années de sa vie dans une favela de Belo Horizonte (Minais Gerais). Avec le temps, bicoques en bois et habitants furent déplacés, l’avenue fut prolongée, de nouveaux immeubles virent le jour et les impasses et ruelles de l’enfance trouvèrent pour unique refuge la mémoire affective de la future écrivaine…
Malgré les difficultés, Conceição termine sa scolarité dans les écoles publiques et passe le concours d’institutrice en 1971.
Elle déménage quelques années plus tard à Rio de Janeiro, où elle fera toute sa carrière dans les écoles élémentaires publiques. Elle reprend ses études à 40 ans passés, et obtient un Doctorat en littérature comparée en 2011⋅
Elle commence à publier ses nouvelles et poèmes dans les années 1990, dans une anthologie annuelle de référence, Cadernos Negros, qui rassemble des textes d’écrivains afro-brésiliens⋅
L’histoire de Poncia, son premier roman, a été publié au Brésil en 2003 et a été traduit en anglais (américain) et espagnol.

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Trois mois après « Charlie »

— Par Patrice Trapier —

f_c_p-13LE LIVRE DE LA SEMAINE – Dans sa livraison de printemps, le trimestriel France Culture Papiers propose des pistes de réflexion sur l’attentat à Charlie Hebdo, qui a fait 12 morts il y a trois mois.
À défaut d’écouter France Culture, on peut lire son mook trimestriel France Culture Papiers (FCP). Dans sa livraison de printemps, au milieu de quelques pépites (entretiens avec Richard Ford et Étienne Klein; archives de Le Corbusier et Geneviève de Gaulle-Anthonioz…), on y retrouve les échos d’une actualité tragique. Il y a trois mois (on peine à choisir d’écrire « seulement » ou « déjà » trois mois, les drames ont le pouvoir de brouiller la chronologie), les frères Kouachi faisaient irruption dans la rédaction de Charlie Hebdo. FCP propose des pistes de réflexion sur l’événement.

D’abord par un hommage à l’écrivain franco-tunisien ­Abdelwahab Meddeb, décédé en novembre 2014. Il avait créé en 1997 l’émission Cultures d’Islam avec un « s » qui était tout sauf une coquetterie. Son dialogue avec son ami Benjamin Stora commence par une évocation de leurs enfances respectives : « En vérité, Tunis n’est ni une ville française ni une ville arabe, c’est une ville juive », analyse Meddeb.

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« Les illusions du sang », de Georges Léno

les_illusions_du_sangAnn Rainville est une Américaine de Virginie. Férue de culture française, elle quittera son sud natal pour Paris, à la fi n des années mille neuf cent cinquante. Après son mariage avec un jeune Créole, elle partira s’établir en Martinique. Dans le milieu où elle tentera de s’immerger, le mode de vie clanique semble relever d’un principe fondateur ; aussi son union avec le fils d’une riche famille du cru sera-t-elle récusée comme « contre nature ». La notion pourrait être prise ici au sens que lui donne Montaigne : « On appelle contre nature ce qui est contre la coutume » ; au-delà de sa confrontation avec la virulence des normes sociales, la jeune étrangère s’inscrit dans le récit comme une sorte de révélateur d’un monde encore profondément marqué par l’économie de plantation, et les rapports aussi indéfectibles que dénaturés entre héritiers des colons et descendants des peuples razziés d’Afrique. La narration dévoile peu à peu cette tyrannie de l’histoire et des postures sociales qui en découlent ; elle croise plusieurs destins dans une trame dramatique sur laquelle passe comme un souffle de tragédie grecque où déferlent les haines et les passions.

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« Bobo 1er », de Frantz Succab

bobo_1erBobo n’est roi de personne. Il règne, cependant, sur un peuple imaginaire, dans un royaume sans trône, et se balade entre deux âges, entre deux mondes… Entre le « Short Message System » utilisé pour écrire à sa belle et son monde hâbleur de beloteurs de buvette, campagnards désargentés qui regardent le temps suivre son cours circulaire. Entre le monde du numérique et celui d’un autre temps, fleurant le souvenir d’odeurs encore terriennes et bien vivaces.

Un peu cofilme les peintres et les poètes, il se promène à la lisière de toutes les réalités, en se fabriquant une identité faite de bric et de broc. On devine les blessures de sa vie à travers sa gaucherie même, dans les interstices de son monologue baroque

Ce bougre-là n’est le roi de personne, mais comme il trouve que ça sonne bien, il s’est autoproclamé Bobo 1″. Juste parce qu’il aime les mots.

On redécouvre peu à peu I’humour et la grandeur des petites gens, la grâce et le burlesque de ces âmes méprisées par les élites…

Tu es mêlé, mon cher

Mêlé comme genmbo de chez chauve-souris, ouais : aujourd’hui tu montres tes ailes d’oiseau, demain tu montres ta tête et tes poils de rat et, Jinal de compte, tu
n’es personne.

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