Catégorie : Littératures

Pour une « littérature-monde » en français

Le manifeste de quarante-quatre écrivains en faveur d’une langue française qui serait « libérée de son pacte exclusif avec la nation »

 

Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, décernés le même automne à des écrivains d’outre-France. Simple hasard d’une rentrée éditoriale concentrant par exception les talents venus de la « périphérie », simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ? Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne. Copernicienne, parce qu’elle révèle ce que le milieu littéraire savait déjà sans l’admettre : le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n’est plus le centre. Le centre jusqu’ici, même si de moins en moins, avait eu cette capacité d’absorption qui contraignait les auteurs venus d’ailleurs à se dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son histoire nationale : le centre, nous disent les prix d’automne, est désormais partout, aux quatre coins du monde.

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«La littérature-monde en français : un bien commun en danger»

litterature-mondePar  LAURE GARCIA et CLAIRE JULLIARD

ALAIN MABANCKOU et DANIEL PICOULY auscultent l’état de la francophonie, non seulement en tant qu’institution mais aussi comme langue commune. Le concept, inventé par le géographe Onésime Reclus en réponse à l’affaiblissement de l’empire colonial français, retrouve de son universalité grâce au manifeste pour une «littérature-monde».

Un manifeste (1) signé par quarante-quatre écrivains en faveur d’une «littérature-monde» plutôt que «francophone» a donné le coup d’envoi d’une polémique qui ne cesse de rebondir. Parlez-nous de la naissance de ce manifeste.

 

Alain Mabanckou  : L’idée a germé en Afrique, au moment de l’édition 2006 du festival Etonnants voyageurs de Bamako, au Mali. Avec Michel Le Bris, Abdourahmane Waberi et Jean Rouaud, nous avons discuté du paysage littéraire d’expression française et avons jeté les bases de ce qui allait être le Manifeste des 44 écrivains pour une «littérature-monde». Un an plus tôt, à l’occasion du salon du livre, j’avais évoqué dans Le Magazine littéraire et Le Monde ce que j’entendais par «littérature francophone», un ensemble vaste et éclaté et dont les tentacules s’étendent sur cinq continents, la littérature française étant une littérature nationale.

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« Avé l’assent » (suite) : Ecrire est un art de rencontres

  par Marius Gottin

 

 

 

par Marius Gottin

 

 

Ecrire est un art de rencontres, tout à fait le genre d’évidences que rappelait le philosophe Alain (si ma mémoire restitue fidèlement ce que j’ai retenu de mes lectures d’avant mai 68, un petit livre de moins de 200 pages et qui devait s’appeler « Propos sur le bonheur ») et qui me permet d’écrire que passer des feux de la scène à l’abat jour d’une table d’écriture n’est point chose aisée. Même si l’on se dit que les comédiens sont les plus à même de bien écrire sur le théâtre voire même des pièces de théâtre, que les…cuisiniers par exemple. Rien n’est plus faux. Ecrire relève de la magie, de l’esbroufe, de la technique aussi et pour revenir aux cuisiniers, les meilleurs sont souvent des artistes et l’Art…

 

« La trilogie des cœurs plastiques » est un beau texte, une vraie pièce de théâtre, la première écrite par Frédéric Schulz Richard, comédien qui connaît la chanson du théâtre pour l’avoir interprétée avec talent et qu’il nous restitue en la circonstance avec une écriture en abîme où le vrai le dispute au faux à tous moments, avec questions dramatiques, résolutions de conflits et autre climax final, pour nous conter une énième histoire d’amour impossible, amour difficile qu’ils sont quatre à jouer sur la scène du Moulin de Goult, sous la direction savoureuse et tout en finesse de Petra.

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« Avé l’assent » (1), par Marius Gottin

Le Lubéron Sud


Le Luberon est l’une des quatre montagnes sacrées de l’arrière pays d’Avignon ; le Mont Ventoux en est la plus haute, j’ai oublié le nom des deux autres mais je sais que le Luberon étend entre Forcalquier et Cavaillon ses 100 kms de montagnes bleues, comme un lézard et que c’est bien parce que les parisiens n’arrivaient pas à prononcer correctement le « e » neutre de Luberon qu’ils ont à un moment de leur fréquentation rapprochée de la région, eu l’idée d’écrire « Lubéron ».

Le Luberon peut s’enorgueillir de ses cigales, de son vin rosé, de ses maisons de pierre, de ses ocres et de ses poteries qui donnent de délicates petites choses sur le marché d’Apt le samedi matin et puis quelque part vers l’aube de l’été, entre Gargas, Viens, Saignon, Bonnieux, le moulin de Goult, Roussillon pour sa seizième édition, Les Soirées d’été en Luberon.

Imaginez vous tout d’abord un couple qui s’aime d’amour tendre autant qu’ils aiment les mots de…René Char par exemple, cela se passe bien avant la célébration du centenaire de sa naissance, qui a une telle envie de donner à entendre sa poésie, à découvrir son monde qu’ils, lui c’est un fou furieux de théâtre, Michel Richard, elle plus douce mais tout aussi obstinée qu’elle est articulée dans sa démarche, Petra Schulz, décident de créer une manifestation qui fait qu’en 1992, le Théâtre Légendes à venir propose les soirées de Gargas.

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Amatya Sen :“La notion de guerre des civilisations s’est insinuée dans l’inconscient collectif.”

Identités, cultures, religions : Prix Nobel et professeur d’économie à Harvard, Amartya Sen tord le cou aux bons sentiments. Une pensée libre et originale.

L’Indien Amartya Sen a aujourd’hui 73 ans et compte parmi les intellectuels les plus brillants de notre époque, les plus éclectiques aussi. Peut-être est-ce pour cela qu’il reste étrangement méconnu en France, parce qu’il est difficile à classer, d’abord dans sa discipline reine, l’économie, pour laquelle il a obtenu le Nobel en 1998. Enseignant à Harvard et à Cambridge, il a depuis longtemps affirmé un regard original, s’inscrivant dans la théorie économique dominante tout en la contestant de l’intérieur par ses travaux sur la pauvreté, l’équité et le bien-être. Mais Amartya Sen pourrait tout aussi justement être présenté comme philosophe, historien, sociologue et analyste politique, sans qu’il perde jamais en cohérence.
Deux ouvrages fraîchement parus permettent de le découvrir ou le redécouvrir. L’Inde, Histoire, culture et identité, voyage érudit et captivant à travers un sous-continent où, comme le résume Sen, « l’hétérodoxie a toujours été l’état naturel des choses et a engendré une tradition de dialogues et de confrontations extrêmement féconde entre islam, hindouisme, bouddhisme et christianisme ».

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Le Surmoi poétique d’Aimé Césaire

— Par Guillaume SURENA —

 

 

Aimé CÉSAIRE est l’homme public le plus important de l’histoire du 20e siècle martiniquais : il réalise à la fois l’aspiration profonde du peuple à l’assimilation et installe en son sein le ferment contraire, l’anti-assimilationnisme, le sentiment national martiniquais. Son influence dépasse la Martinique; sa démarche a aussi contribué’ à la prise de conscience nationale en Guadeloupe et en Guyane.

 

La cohabitation dans l’esprit public de ces deux tendances correspond a une potentialité de la vie psychique : le clivage.

 

C’est Sigmund FREUD, l’un des plus grand novateur scientifique de tous les temps, avec GALLILEE et DARWIN, qui, à la fin de sa vie, en 1938, a théorise’ ce fait clinique passionnant déjà repéré depuis les débuts de l’aventure psychanalytique : le Moi, au lieu de refouler purement et simplement comme sa faiblesse le poussait à le faire jusqu ‘alors va se cliver pour à la fois reconnaître la réalité désagréable et la nier. Un tel Moi capable de cette double opération simultanément est un Moi fort, qu’il faut bien appeler Surmoi, Uber-Ich… en allemand.

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Amartya Sen : pour une identité multiple

 

 

Le prix Nobel d’économie 1998 est l’un des plus grands penseurs actuels. Il publie aujourd’hui deux nouveaux livres, « Identité et violence » et « L’Inde. Histoire, culture et identité », chez Odile Jacob. L’occasion pour nous d’aborder ces thèmes brûlants d’actualité en sa compagnie.

 

Prix Nobel d’économie en 1998, Amartya Sen, 73 ans, est plus qu’un grand expert international. C’est un penseur d’envergure, dont l’oeuvre se situe au carrefour de l’économie, de la philosophie, des sciences sociales et de la théorie politique. Sa démarche constante est de mettre l’accent sur les conditions morales, humaines et sociales des mécanismes économiques. Il n’a cessé d’insister sur le fait que « l’économie est une science morale » et que le développement est le point de départ de la liberté. Son originalité est aussi d’avoir toujours en vue les aspects pratiques de la vie politique : avoir le droit de voter ne sert à rien sans l’éducation nécessaire pour comprendre les choix proposés et sans les moyens de transport pour se rendre au bureau de vote…

Attentif à tous les aspects de la mondialisation, il en est lui-même une incarnation.

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Mémoires des esclavages et voltige des langues

— Par Edouard Glissant —

A l’heure où la France célèbre pour la deuxième fois, le 10 mai, les  » Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions « , l’écrivain Edouard Glissant, chargé par le premier ministre, Dominique de Villepin, d’ » une mission de préfiguration d’un centre national consacré à la traite, à l’esclavage et à leurs abolitions « , publie Mémoire des esclavages, chez Gallimard. Un ouvrage dans lequel il présente le projet qui lui a été confié, et repère les traces de cette histoire douloureuse.  » Le Monde des livres  » en publie un extrait.

La même douleur de l’arrachement, et la même totale spoliation. L’Africain déporté est dépouillé de ses langues, de ses dieux, de ses outils, de ses instruments quotidiens, de son savoir, de sa mesure du temps, de son imaginaire des paysages, tout cela s’est englouti et a été digéré dans le ventre du bateau négrier et, par opposition au migrant armé venu du nord-ouest de l’Europe, et qui entreprend tout de suite de forger les instruments de sa domination (qui sera le capitalisme industriel puis technologique et financier), ou ensuite au migrant domestique ou familial, venu d’Italie ou de Chine ou de la péninsule Ibérique, d’Ecosse ou d’Irlande, les régions pauvres des îles Britanniques, avec ses poêles et ses fourneaux, les portraits de tout son clan, et qui fait commerce (c’est le capitalisme marchand, soumis au premier), l’Africain est le migrant nu, et qui n’a plus même à nourrir l’espoir d’un retour au pays natal, sauf dans les obstinations suicidaires des Ibos.

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Littérature, identité et nationalisme

bjorn_larssonRéaction au manifeste : Björn Larsson

Littérature, identité et nationalisme

Le lundi 2 avril 2007

Par Björn Larsson, écrivain et professeur de français à l’université de Lund en Suède.

 

Chaque année, vers le mois d’octobre, la tension monte dans les ambassades étrangères à Stockholm et en particulier dans les services culturels. Quel est le pays qui cette fois-ci aura la gloire de recevoir le prix Nobel de littérature ? Ceux qui croient avoir un candidat en lice achètent déjà du Champagne et préparent les listes d’invitations pour les réceptions à venir. Il faut dire que certains pays auront dépensé beaucoup d’énergie et d’argent à essayer d’influencer — sans aucun doute inutilement — le choix de l’Académie. Peu d’écrivains refusent d’ailleurs une invitation à venir en Suède donner des conférences, frais payés… par leur propre pays.

Une fois le lauréat annoncé par le secrétaire permanent de l’Académie suédoise, les cris d’enthousiasme et de déception s’étalent dans les médias. Certains se plaignent – les Français souvent plus que d’autres – que l’Académie a manqué de jugement en négligeant tel écrivain national. D’autres protestent parce que celui ou celle – plus rarement – qui a été choisi n’est pas le meilleur écrivain du pays, c’est-à-dire que l’écrivain en question n’est pas le meilleur représentant de la littérature nationale.

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« Vénus et Adam » de Alain Foix

Roman inclassable et iconoclaste

 Alain Foix, guadeloupéen, est écrivain, docteur en philosophie, directeur artistique, documentariste et consultant. Journaliste et critique de spectacles, il est également auteur d’un grand nombre d’articles et de courts essais, notamment sur l’art et le spectacle, directeur artistique et d’établissements artistiques et culturels il a notamment dirigé la scène nationale de la Guadeloupe de 1988 à 1991. Il s’est vu décerné le Premier prix Beaumarchais/ Etc_Caraïbe d’écriture théâtrale de la Caraïbe pour Vénus et Adam (2005) et Prix de la meilleure émission créole au Festival Vues d’Afrique de Montréal (1989) etc. Fort-de-France a eu la chance d’être le lieu l’an dernier  d’une création mondiale d’Antoine Bourseiller : la mise en scène de Pas de prison pour le vent une pièce écrite par Alain Foix. Il publie aujourd’hui aux Editions Galaade, Vénus et Adam.

 

 

 

Résumé du livre

21 septembre 2001. Alors que la planète regarde les ruines fumantes des Twin Towers, le corps d’un enfant noir sans tête, ni bras, ni jambes, petit tronc recouvert d’un short orange, est retrouvé dans la Tamise. Dépêchés sur place, l’inspecteur Ling, expérimenté et méthodique, est Jean Windeman, journaliste se rêvant écrivain, tentent de lever l’énigme de l’origine du petit garçon baptisé Adam par Scotland Yard.

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Un numéro d’ »Esprit » sur les Antilles

février 2007

Antilles : la République ignorée

Lire le sommaire détaillé de la revue

 

par Selim Lander

Le numéro de la revue Esprit de février 2007 consacre un dossier aux Antillais de France et d’outre-mer. Le titre : « Antilles : la République ignorée » est trompeur. On pourrait croire en effet que le dossier apporte des informations sur la manière dont le droit de la République est trop souvent bafoué aux Antilles, sur le paternalisme gouvernemental, sur les consignes passées aux préfets pour qu’ils ferment les yeux sur les pratiques des édiles locaux, sans parler de ce privilège hérité de l’époque coloniale qui fait que tous les fonctionnaires en poste dans les « DOM-TOM », donc en particulier aux Antilles, sont rémunérés davantage, pour un même travail, que leurs homologues métropolitains. Il n’en est rien. La plupart des contributions insistent plutôt sur les discriminations « négatives » dont les Antillais sont les victimes, à l’origine des revendications mémorielles qui se sont faites jour récemment et auxquelles a voulu rendre justice la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, qualifiant l’esclavage et la traite négrière comme des crimes contre l’humanité.

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L’aventure ambiguë d’une certaine Créolité

— par  Rafael Lucas —

« La boulimie de reconnaissance littéraire a transformé les majors créoles en apprentis sorciers, ou en apprentis quimboiseurs. Et c’est dommage. On peut regretter que les réels talents littéraires des écrivains créolistes aient été pervertis par les liaisons dangereuses avec l’idéologie. »


Le mouvement de la Créolité, popularisé en France métropolitaine par un manifeste de trois auteurs martiniquais publié en 1989 (Éloge de la Créolité) (1) et par un large succès éditorial, prétend redéfinir l’identité créole et codifier une nouvelle démarche littéraire. Or, qu’il s’agisse du contenu du manifeste ou de la stratégie pratiquée, il est facile d’observer chez les défenseurs de ce courant un ensemble confus de contradictions et de simplifications, qui est dû à au moins trois facteurs : l’obsession de la reconnaissance littéraire de la métropole française dont ils dénoncent la politique d’assimilation coloniale, l’attitude totalitaire parfaitement visible derrière le discours culturel, et une manipulation hâtive du concept de métissage, phénomène dont les Antilles représenteraient le modèle idéal… Notre propos ici n’est pas de mettre en question l’énorme travail de création et de novation de ce mouvement, mais de montrer comment la créativité des écrivains et l’élaboration de leurs œuvres ont été perverties par les diktats idéologiques et par un certain galimatias, ou « manger-cochon », théorique.

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érotisme et engagement

par Manuel NORVAT

 

L’extase de Sainte-Thérèse, Le Bernin

Quels rapports se tissent dans la littérature caribéenne entre écriture militante et écriture érotique ? Autrement dit, quelles relations s’établissent dans cet espace de création entre désir et engagement ? Lorsque Suzanne Césaire parle de « littérature de pâmoison » dans Tropiques contre les productions littéraires doudouistes à la Daniel Thaly (« Je suis né dans une île amoureuse du vent où l’air à des odeurs de sucre et de vanille…) nous sommes hélas en présence d’un certain manichéisme faisant fit que la dite « littérature de  pâmoison » a participé à sa manière à un inventaire du réel, en l’occurrence antillais. Mais l’on pourrait insister aussi sur cette mise à distance quasi dédaigneuse de la pâmoison (métonymie du désir pour l’occasion) de la part de nombreux écrivains dits engagés — non pas au sens créole du terme lié à un pacte avec l’univers diabolique, mais pleinement dans l’acception politique du terme. La question se pose donc de savoir s’il faut brûler « la littérature de pâmoison » au bénéfice des révolutions ?

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La France vue du Sénégal… par un Sénégalais

—Par Fadel Dia —

, 11 janvier 2007


Introduction
C’est une vérité connue, mais que nous avons souvent tendance à oublier : les rapports du pouvoir s’expriment sur le plan linguistique autant que sur le plan politique, économique ou social. Le dominant est, entre autres choses, celui qui a la parole, tandis que le dominé doit sans cesse la conquérir. Quand le second doit se battre non seulement pour avoir la parole mais aussi et surtout pour être écouté (c’est-à-dire pris au sérieux) et entendu (c’est-à-dire au moins compris, à défaut d’être approuvé), le premier est investi d’une « autorité » symbolique qui lui donne à peu près toute légitimité à dire à peu près tout ce qu’il veut sur à peu près tous les sujets, et sa parole jouit d’une « légitimité », d’un « intérêt » et d’un « crédit » quasi « naturel ». C’est ainsi par exemple que, parallèlement à la domination militaire, politique et économique que la France coloniale a exercé et exerce sur l’Afrique noire, s’est mis en place un ordre symbolique qui répercute la division sociale du travail sur le terrain linguistique, en instituant les Français Blancs dans le rôle de sujet ou d’agent d’énonciation, tandis que les Africains Noirs sont relégués soit au rang d’objet, soit à celui de destinataire des discours [1].

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Wolé Soyinka : « Le Tigre ne proclame pas sa tigritude »

Entretien avec Wole Soyinka

Berlin, juin 2006. L’ambiance est électrique dans les rues de la capitale allemande. Les terrasses des cafés sont emplies de gaillards en shorts qui boivent des bières en vociférant devant les écrans où des footballeurs noirs et blancs s’affrontent. Assis seul à une table en retrait, un vieil Africain au port altier de roi yoruba et à la diction very british dénote. Wole Soyinka médite. Il a l’air de débarquer d’une autre planète. Comme il le dit lui-même: « le vis un tiers du temps aux États-Unis et en Europe, un tiers au Nigeria et un tiers dans les airs. L’endroit que j’appelle la maison, c’est Abeokuta, au Nigeria. Ma ville natale. » Le Nobel de littérature 1986 (premier Africain à obtenir cette distinction) est venu pour recevoir un prix décerné par la jeunesse berlinoise et se fiche pas mal de la Coupe du monde où pourtant les joueurs africains font figure de stars. « Pour moi, dit-il, le fait que l’Afrique soit connue dans le monde grâce au football me rend aussi triste que de la savoir célèbre à cause des guerres civiles.

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Homo homini lupus Ti nonm ka fè gro séléra

« 24 contes des Antilles »

 d’Olivier Larizza

Castor poche – Flammarion. 2004


Par Pierre PINALIE

Voilà encore un ouvrage profondément créole réalisé par un auteur « venant d’ailleurs ». Il y là 24 contes très courts qui sont comme autant de perles formant un joli collier de type « grains d’or ». C’est en effet une farandole où le coq et le ravet, le crapaud et la tortue, Compère Lapin et Compère Tigre, Ti-Jean et le Roi se succèdent et diffusent l’esprit de la culture créole et la traditionnelle morale qui surnage dans les étonnants proverbes si fréquents dans le dialogue des Anciens.

Le mépris des puissants

Tant l’infidélité que la vengeance se voient dénoncés dans ces courtes histoires où apparaît le machisme des maris dominants, le dangereux entêtement des humains et la positive importance de la patience. Et tous les messages retransmis par l’auteur sont présentés dans une langue élégante et légère qui restitue très académiquement la philosophie et la vision du monde de la Créolité. Pour saupoudrer le style harmonieusement structuré, tout un lexique local se glisse une cinquantaine de fois dans les phrases aisément pénétrables, et syntaxiquement construites.

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L’Éthique selon Edgar Morin

 

Edgar Morin, La Méthode 6 – Éthique, Paris : Seuil, 2004.

 par Michel Herland

 

On ne présente pas Edgar Morin, personnalité éminente de l’intelligentsia française, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages parmi lesquels quelques essais sociologiques qui ont fait date (Les Stars, 1957, La Rumeur d’Orléans, 1969) et surtout une somme, La Méthode (1981-2004) dont le projet, fort ambitieux, ne vise pas moins qu’à changer notre regard sur le monde, sans rien dissimuler de sa complexité, grâce à une démarche systémique. En passant, malgré tout, peut-être un peu vite sur l’objection d’ordre épistémologique qui se présente d’emblée : Comment une telle méthode considère-t-elle la distinction qui existe inévitablement entre l’objet réel, éminemment complexe en effet, et l’objet de la connaissance, le « modèle », nécessairement simplificateur (1) ?  La reconnaissance de « la différence entre la réalité empirique et la forme théorique » (2) étant le point de départ de la démarche scientifique, toute tentative pour la tirer du côté du concret comporte donc un risque du point de vue de sa pertinence.

 Dans le 6ème et dernier volume de la Méthode (3), Edgar Morin (E.M.)

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« Histoire pour toi » d’Arlette Rosa-Lameynardie

par Pierre PINALIE —

Embarquement pour Cythère


« Histoire pour toi » d’Arlette Rosa-Lameynardie (Hatier – Monde Noir)


Il est très étonnant que ce livre, publié en 2002, n’ait pas vraiment bénéficié d’un accueil très positif dans le monde de la créolité. Et pourtant, l’ouvrage écrit par une judéo-droit-de-l’Hommiste est profondément créole, tant dans l’esprit que dans la forme. L’auteur qui est, en effet, ancrée sur la terre martiniquaise depuis 45 ans, ne semble pas penser à partir d’autres racines, et baigne au contraire dans le monde du conte vers lequel glisse en permanence le scénario qu’elle développe dans un style clair et simple à la manière de Marguerite Duras.

Le réel et le conte

Le héros de l’histoire est un petit garçon qui porte le nom très local de « Ti Boug », et ce n’est qu’une introduction à une belle onomastique traditionnelle, alors qu’on a sombré aujourd’hui dans une anglo-américanisation des prénoms. Il est préférable, par ailleurs, de connaître l’âme et les réactions d’un enfant pour accompagner le petit personnage dans ses actes, ses rêves et ses réactions.

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Un supplément d’âme

 

par Pierre PINALIE — 


Installé à la Réunion, le Professeur Lambert-Félix Prudent a communiqué ses commentaires sur la langue créole dans une interview réalisée par un journal de l’île Maurice, pays où le créole est parlé parallèlement à l’anglais et au français. Dans son introduction, il pose clairement le problème de la Martinique où le créole, langue populaire, se trouve face au français qui jouit du prestige de l’école et de la littérature, et demeure la langue de l’administration et des affaires. Et dans la mesure où l’école est le lieu de la promotion sociale, la présence du créole dans l’enseignement est toujours vue comme une forme militante, ce qui motive la méfiance des parents partisans de la langue officielle, outil nécessaire pour l’avenir de leurs enfants.


Nouvelle identité

Lambert-Félix Prudent brosse un tableau clair de la situation, et rappelle alors qu’à partir de 1991 le créole est entré dans la formation des instituteurs, et qu’en 2001 a même été créé un concours de recrutement de professeurs de créole pour les collèges et les lycées. Il n’oublie évidemment pas de souligner que le créole n’est plus la langue première, et qu’il n’est plus présent dans la bouche des mamans penchées sur le berceau.

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« Pour en finir avec la repentance coloniale » de Daniel Lefeuvre,

De la repentance à l’Apartheid ?

par Olivier Pétré-Grenouilleau

29/09/06

 

Veut-on vraiment une France de l’Apartheid ? Si tel n’est pas le cas, alors cessons d’opposer les Français en fonction de leurs origines par l’intermédiaire d’un passé déformé. Rompons avec une repentance coloniale qui ressasse et divise au lieu de guérir. Tel est le diagnostic formulé par Daniel Lefeuvre dans son bel essai. Celui d’un historien ayant décidé de se jeter dans l’arène, non pas pour satisfaire à quelque sensationnalisme, mais afin de montrer, tout simplement, que les choses sont souvent plus complexes qu’on ne l’imagine, et cela en puisant dans son domaine de spécialité : l’étude des relations franco-algériennes.

Nullement  » nostalgique  » d’une période coloniale dont il ne connaît que trop les excès, Lefeuvre prend d’emblée pour cible les  » Repentants «  qui mènent  » combat sur les plateaux de télévision et dans la presse politiquement correcte « . Substituant les mots au réel, le juste au vrai, écrit-il, ils tendent à fonder l’idée d’un continuum colonial et raciste entre une France d’hier et celle d’aujourd’hui. Le tout afin de  » justifier une créance de la société «  à l’égard des anciens colonisés et de  » leurs descendants réels ou imaginaires « .

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« Soulever les pics montagneux de nos malheurs »

— par René Depestre —

Larges extraits du discours prononcé  à la Sorbonne, pour le cinquantenaire du Congrès des écrivains noirs

22/09/06

Il y a eu décolonisation des institutions impériales, décolonisation des mentalités colonialistes et racistes, mais ne reste-t-il pas encore à décoloniser les concepts mythologiques dévalorisant des négros, bicots, coolies, pêle-mêle indigènes des temps du mépris de la condition humaine ?

Un bilan des cinquante dernières années, avec l’automne 1956 pour point de repère, permet de constater que le racisme d’origine colonial est en net recul dans le monde. L’Apartheid a été démantelé dans l’Afrique du Sud de Nelson Mandela. On n’entend plus dans les médias parler des rites barbares par lesquels le KKK déshonorait, toute honte bue, l’histoire du Vieux Sud nord-américain. La notion même de race a perdu tout crédit anthropologique. Au pays de Walt Whitman, de William Du Bois et de Martin Luther King, des femmes et des hommes, issus des légendes atroces du coton, accèdent aujourd’hui aux plus hautes responsabilités. (…)

Sur le plan culturel, il n’est pas vrai qu’en France, ou en Occident en général, il existe dans les sphères du pouvoir une volonté d’occultation du passé colonial.

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Ti Jean et Monsieur le roi (Ti Jan é Misié li wa)

Contes de la Martinique

Christine Colombo, après avoir étudié doctement le conte créole, entreprend de démentir l’adage qui voudrait que « ce que l’on ne sait pas faire on l’enseigne! » En effet elle publie ces jours-ci un recueil de contes créoles « Ti Jean et Monsieur le roi (Ti Jan é Misié li wa) », travail de mémoire , travail de la nostaglie d’un temps qui n’est plus et qui pourtant demeure.

Elle a bien voulu répondre à quelques questions.

Roland Sabra : Comment êtes-vous venue à l’écriture?
Christine Colombo : J’ai commencé à écrire quand j’ai entrepris des études d’ethnologie à l’Université Marc Bloch, à Strasbourg. En effet, la préparation de la maîtrise exige la préparation de mémoires dans certaines UV, et un mémoire général. J’ai fait plusieurs études : un travail collectif sur une population de jeunes à Karspach, au Sud de l’Alsace, un petit mémoire sur le bananier. Le mémoire général avait pour sujet « le conte créole dans la culture martiniquaise ». Je me suis un peu éloignée du conte pour mon mémoire de DEA Traditions et changements, où j’ai étudié « Les immigrés antillais à Strasbourg », et je suis revenue au conte quand j’ai entrepris une thèse de doctorat « Ti Jean dans le conte créole martiniquais ».

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La bicyclette créole ou la voiture française


Un entretien avec l’écrivain antillais Raphaël Confiant, qui définit son paradoxe de romancier : vouloir faire vivre une langue et en écrire une autre

confiant_raphL’  » extrême Europe « , c’est aussi, pour la littérature française, ce qui vient d’autres horizons et, en particulier, des romanciers antillais. Depuis quelques années, deux noms se sont imposés en France, originaires de Martinique : ceux de Patrick Chamoiseau et de Raphaël Confiant, qui, outre leurs romans respectifs, ont signé ensemble deux essais sur la créolité (1). Raphaël Confiant, auteur de cinq romans en langue créole et de deux autres en français, dont Eau de café (2), paru l’an dernier, a bien voulu nous accorder un entretien lors de son passage à Paris, avant son intervention au Carrefour des littératures européennes.


René de Ceccatty : Pourquoi avez-vous commencé par publier en créole ?

Raphaël Confiant :_ Les créoles, en général, ont un rapport traumatique avec la langue française. Nous sommes des descendants de personnes qui ont été privées de leurs langues originelles (africaines) et qui ont été sommées d’inventer une nouvelle langue dans l’enfer esclavagiste.

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50e anniversaire du 1er Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs

Biographies


Intervenants au Congrès de 2006 pour le 50e anniversaire du 1er Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs (Programme de la matinée)

* M. René Depestre
* Mme Yandé Christiane Diop
* M. Henry Louis Gates, Jr.
* M. Edouard Glissant
* M. Jean-Robert Pitte
* M. Maurice Quénet
* M. Noureini Tidjani-Serpos
* M. Wole Soyinka

 

René Depestre

René Depestre est né en 1926 à Jacmel (Haïti). A dix-neuf ans, il publie ses premiers poèmes Etincelles. Opposant au régime du dictateur Lascot, il joue un rôle dans sa chute en 1946, mais est contraint à l’exil par la junte militaire qui prend le pouvoir.

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Cuba, totalitarisme tropical de Jacobo Machover

 Avec Cuba il faut être patient : même lorsqu’ils ont quitté l’île depuis longtemps, et c’est le cas de Jacobo Machover, les Cubains perdent rarement de vue un paramètre essentiel de leur histoire : la durée.

La durée est en effet devenue la caractéristique principale de Fidel Castro qui est en train de reléguer Franco, Kim il Sung et Yasser Arafat, au rang d’amateurs éclairés et d’intérimaires de passage .

C’est ce qui explique que Jacobo Machover ressente la nécessité de remonter plus de 50 ans en arrière pour démêler les fils embrouillés de ce “totalitarisme tropical”. La mystique castriste a en effet fixé le point de départ de son exégèse au 26 juillet 1953, date de l’assaut raté contre la caserne de Moncada à Santiago de Cuba.
En 160 pages, Machover tente donc à sa façon, et de manière assez convaincante, d’expliquer la formidable suite de méprises qui continue à perturber tout examen objectif de la situation cubaine.

Cuba est en effet un totalitarisme, mais d’un genre un peu particulier puisqu’il a réussi à habiller son implacable dictature d’habits festifs, romantiques, voires idéalistes (grâce entre autres à la légende du Che).

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