Homo homini lupus Ti nonm ka fè gro séléra

« 24 contes des Antilles »

 d’Olivier Larizza

Castor poche – Flammarion. 2004


Par Pierre PINALIE

Voilà encore un ouvrage profondément créole réalisé par un auteur « venant d’ailleurs ». Il y là 24 contes très courts qui sont comme autant de perles formant un joli collier de type « grains d’or ». C’est en effet une farandole où le coq et le ravet, le crapaud et la tortue, Compère Lapin et Compère Tigre, Ti-Jean et le Roi se succèdent et diffusent l’esprit de la culture créole et la traditionnelle morale qui surnage dans les étonnants proverbes si fréquents dans le dialogue des Anciens.

Le mépris des puissants

Tant l’infidélité que la vengeance se voient dénoncés dans ces courtes histoires où apparaît le machisme des maris dominants, le dangereux entêtement des humains et la positive importance de la patience. Et tous les messages retransmis par l’auteur sont présentés dans une langue élégante et légère qui restitue très académiquement la philosophie et la vision du monde de la Créolité. Pour saupoudrer le style harmonieusement structuré, tout un lexique local se glisse une cinquantaine de fois dans les phrases aisément pénétrables, et syntaxiquement construites. C’est ainsi qu’il nous est rappelé que le mépris des autres quand on se croit trop puissant est la preuve d’une vision prétentieuse qui ne peut que déboucher sur l’échec et la condamnation des autres.

Effectivement, on pourrait espérer que les leçons contenues dans ces écrits s’inscrivent dans la culture des lecteurs et les poussent vers une conduite plus honnête et plus généreuse. Mais il semblerait, malheureusement, que ce ne soit pas toujours le cas, en particulier chez certains Antillais qui, pourtant, rédigent souvent des recueils proverbiaux et des jugements hâtifs sur leurs contemporains. Et ce qui est dommage, c’est que ces individus qui n’en font qu’à leur tête, ne se retrouvent point recouverts de pustules comme Crapaud, même s’ils ont voulu comme ce dernier, s’unir avec Mademoiselle Anoli, désirable jeune fille.

Effectivement, même sous une apparence placide, la tortue est une bête hargneuse. Un des contes nous apprend que la carapace lisse et uniforme de cet animal a fini par se briser en plusieurs morceaux, en raison des moqueries cruelles que ce malotru avait décochées contre le bondieu chez qui il participait à une fête. Aidé par Commère Araignée pour redescendre du banquet céleste, notre chenapan va aussi se gausser de celle qui lui permet de rentrer chez lui, et c’est cette triste mentalité d’agressif qui va lui coûter une chute, et la destruction méritée de son exosquelette. Il est donc bien dommage que les punitions soient plus présentes dans le conte que dans la réalité.

Il est, par contre, assez rassurant de découvrir que la vie peut modifier des traits de caractère et améliorer les façons d’agir. En effet, Mamzelle Sauterelle qui, dans le passé, n’était guère appréciée et qui, par son impolitesse et sa paresse, avait provoqué la méfiance des autres, va se voir récompensée pour une bonne action réalisée grâce aux fourmis. Aussi est-ce pourquoi, peut-être, peut-on espérer voir, dans la réalité sociale, des êtres humains tendre vers le bien après une vie consacrée au mal. Le conte est donc une belle fable faite de beaux espoirs, même si dans le quotidien on bute davantage sur la crapulerie.

La scélératesse égoïste

La présence du Diable est la représentation du mal tel qu’il sévit dans la société, présent en permanence dans la tête de certains individus sans cœur, mal dans leur peau, lâches et menteurs et imbus de leur personne. Dans un conte, il nous est prouvé que la révélation du nom adopté par le Diable est un moyen pour le faire disparaître, ce qui nettoie le panorama. Et c’est bien dommage que, dans notre quotidien, le fait de donner le nom du Diable, même devant un tribunal, n’empêche pas ce dernier de montrer ses cornes un peu partout.

Il serait souhaitable, pour chacun d’avoir l’esprit de Compère Lapin qui sait, mieux que personne, se défendre et provoquer, par exemple, la noyade de Compère Tigre, lequel va disparaître à tout jamais, et cesser de dévorer tous les bénéfices possibles. De la même manière, Macaque, qui n’écoute que son ventre et qui ne pense qu’à son intérêt, se voit puni et va sortir d’un épineux avec le postérieur écorché, ce qui devrait être le sort de ces individus qui ne sont que des singes laids et insultants. Autour de nous, certains sont d’une telle avarice qu’on souhaiterait qu’ils se noient comme Compère Tigre qui a pris le reflet de la lune dans l’eau pour une gigantesque pièce d’or.

Mais notre destin n’est pas toujours positif, de la même manière que l’on peut voir Compère Lapin se faire tuer à cause de la malignité de Macaque, compère trop malin. Cependant, même Compère Lapin peut sombrer dans la méchanceté et se déguiser en zombi pour engloutir des bananes pelées. Et c’est heureusement une petite souris qui va mettre le feu au zombi, lapin travesti, et lui faire payer, par le feu, sa scélératesse égoïste.

Belle série de contes fascinants, l’ouvrage d’Olivier Larizza est une claire leçon donnée aux humains que nous sommes sur les multiples aspects de la personnalité, de la conscience et du comportement. Nul n’est parfait, mais certains sont pires que les autres, et c’est pourquoi il est indispensable de se protéger et de dénoncer les scélérats soit séniles, soit névrosés, toujours agressifs et méprisables.

Pierre PINALIE