— par Janine Bailly —
Comment mettre en scène, sans figurer le monstre, cette fable cruelle d’Agota Kristof ? Comment donner son universalité à cette histoire, qui ne serait située ni dans le temps ni dans l’espace ? Et comment rendre compte de ce noir pessimisme, de cette vision désenchantée — ou trop lucide ? — d’une société victime de ses propres démons ?
Tel est bien le défi relevé aujourd’hui par Guillaume Malasné et sa troupe de comédiens. Défi relevé avec originalité, dans un spectacle total et singulier, qui émeut, questionne, invite à la discussion et à la controverse, chacun s’efforçant de donner une identité, une figure à ce monstre ambivalent, quand sa créatrice elle-même l’a laissé dans son anonymat — d’origine peut-être mythologique ? Car il est le Bien et le Mal, ce monstre ambigu, dont le dos gris, tout d’abord surface malodorante, se fait jardin de fleurs au parfum enivrant, figuration de quelque paradis artificiel. Un parfum qui ne tarde pas à subjuguer la presque totalité d’un village, à l’exception du jeune Nob, bras armé de l’Homme Vénérable, ce “chef de tribu” qui avouera avant de disparaître et son erreur et sa défaite consommée.