— par Janine Bailly —
Sur les tréteaux foyalais, trois figures de femmes ont pris corps et vie en ce mois de janvier, si différentes dans leur singularité, et pourtant si proches dans leur combat pour être au monde : il y eut l’Antigone, de Sorj Chalandon, à ressusciter dans Beyrouth soumise à la fureur guerrière des hommes, sœur de l’Antigone antique qui, bravant la volonté du roi Créon, de ses mains grattait la terre pour donner à son frère Polynice une digne sépulture. Puis vint la Médée Kali de Laurent Gaudé, figure triangulaire revisitant les mythes, faite de Méduse à la chevelure de serpents qui pétrifie les hommes, de Kali la déesse meurtrière aux multiples bras, de Médée enfin, amante, épouse et mère assassine, qui par son crime fait expier à Jason sa trahison, qui revient chercher les corps de ses enfants et de ses mains nettoie compulsivement le marbre du tombeau. La troisième, mais non la moindre, se nomme Jaz, qui nous ramène à des temps plus universels.
L’écriture dramatique de Koffi Kwahulé a pu être qualifiée de déambulatoire, et c’est bien la déambulation de la femme violée que nous suivons sur scène, dans la représentation de la pièce Jaz, que nous proposent pour quelques soirs, au théâtre Aimé Césaire, Jandira Bauer et ses acteurs.

Après avoir mis en scène La Trilogie du revoir en 2015 à l’ENSATT, A. Françon revient à Botho Strauss avec sa pièce la plus déconcertante : Le temps et la chambre. A. Françon avoue sa prédilection pour ces auteurs de langue allemande que sont Botho Strauss et Peter Handke. Cependant, avec Le temps et la chambre, l’entreprise relève de la gageure. C’est qu’on a affaire à un texte à l’agencement très paradoxal. On peut le qualifier de récit, à condition qu’on accepte de débarrasser le récit de toute intrigue et de toute linéarité. Il reste certes des personnages : deux hommes servent de centre à la première partie, Julius (Jacques Weber) et Olaf (Gilles Privat), tous deux âgés, complices dans leur scepticisme, qui observent le spectacle de la rue et assistent à l’irruption des passants qu’ils ont observés dans l’espace de leur chambre. Au centre de la seconde partie Marie Steuber, qu’on a déjà vue apparaître en première partie, entourée successivement d’hommes avec qui elle dialogue de façon plus ou moins orageuse. In fine , le spectateur pourra recomposer une histoire, qui lui aura été livrée à l’état de fragments, dans un montage kaléidoscopique.
— Par Roland Sabra —
Réalisé par Lisa Azuelo ; avec Sveva Alviti, Jean-Paul Rouve, Ricardo Scarmacio, Nicolas Duvauchelle.

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Le festival des petites formes, deuxième du nom, proposé par Tropiques Atrium Scène Nationale, met heureusement en lumière(s) les artistes antillais, que leur voix emprunte, pour se faire entendre, la forme théâtrale, la forme poétique ou la forme musicale. Et les femmes y ont cette année plus que droit de cité, une place de choix !
L’histoire se déroule dans les bas-fonds du New York des années 50, dans le milieu italo-américain des dockers du quartier de Red Hook. La tragédie qui va s’y dérouler, on peut la contempler depuis le pont de Brooklyn. Vu du haut, tout ce petit monde s’agite fébrilement, se débat aux prises avec la misère et le chômage qui rôde. Vus du pont, les personnages n’échappent pas à leur destin. La machine infernale se met en train dans la vie d’Eddie Carbone. Eddie est sicilien, docker endurci à la tâche. C’est un homme généreux, accueillant : il a élevé avec amour Catherine, la nièce de sa femme Béatrice. Mais Catherine devient une femme et il sent qu’elle s’échappe. Arrivent chez lui des cousins de Sicile, Marco le taiseux et Rodolpho le chanteur, émigrés clandestins qu’il se fait fort d’abriter et de cacher aux services de l’immigration. Que pensez-vous qu’il se passât ? Comme dirait Voltaire …..
L’histoire naît d’une rencontre fortuite au milieu de la nuit dans un relais d’autoroute, près d’Yverdon, avec le serveur de la buvette.
Les portraits, créés par Elise Vigier et Marcial Di Fonzo BO à la Comédie de Caen sont des créations itinérantes, portées par un ou deux acteurs, parfois accompagnés d’un musicien.
Au Théâtre du Rond-Point, dans un dispositif qui casse le cadre de la représentation, Claude Degliame incarne la figure d’Aglaé, prostituée depuis toujours, qui regarde sa vie et les spectateurs en face. Troublant et puissant.
— Par Christian Antourel —
Jandira de Jesus Bauer précise dans un entretien à Madinin’Art le pourquoi et le comment de la pièce de Koffi Kwahulé qu’elle monte ici en Martinique pour la première fois.
Lire est un acte solitaire, où celui qui lit se crée, au-delà des mots et des pages, ses propres représentations, qui puisent dans son vécu, mais aussi dans ce que déjà il sait ou pressent de ce qui va lui être dit. Le texte ne s’imprime par sur un esprit vierge, mais il vient compléter, corriger, ou confirmer, débusquer aussi ce qui y dort. Être spectateur est au contraire un acte qui se partage, fait vibrer chacun à l’unisson des autres, et qui offre, sur les mots de l’écrivain, les images, les gestes, les couleurs et les sons choisis par une compagnie d’acteurs. Et le miracle a une fois encore eu lieu ce jeudi soir, au théâtre Aimé Césaire, où le silence quasiment recueilli de la salle, les rires bienvenus aux traits d’humour, destinés à relâcher un peu la tension générée par la gravité du propos, les vibrations enfin d’un public conquis, ont salué le travail de la Compagnie Les Asphodèles.


Sait-on vraiment de quoi l’on parle quand il s’agit d’amour ? C’est cette épineuse question que dissèquent en duo Emma la Clown et Catherine Dolto sur la scène du théâtre de Belleville.
Il y a d’abord le titre « l’Aliénation noire » . Aliénation, ici est a entendre dans son acception hégélienne « action de devenir autre que soi, de se saisir dans ce qui est autre que l’esprit » avec cet implicite d’un « soi » qui serait vrai, qui relèverait de l’authentique. Idée d’un retour aux sources… qui sera un des fils conducteurs de la pièce. « Noire » est tout autant polysémique. La formule « est noir tout ce qui n’est pas blanc » le clame haut et fort. Pierre Soulages avec « l’outrenoir » de ses tableaux mono-pigmentaires en souligne l’infinie richesse. Le texte de François Dô, théâtralisé par ses soins, s’inscrit dans ce champ mille fois labourés de l’identité, mais il le fait au nom d’une singularité propre : l’histoire de trois générations de Martiniquais dans un avant, un pendant et un après le BUMIDOM. ( Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer ) qui organisera la migration de populations réduites au chômage aux Antilles par la crise sucrière des années 60 vers les urgents besoins de main d’œuvre de la métropole.
Choffroy délire après l’accident. Que faisait le boeuf sur la route ? De quoi est mort son père alors qu’il roulait seulement à 50km/h ? Qui était cet homme que Choffroy affirme avoir vu ? Pourquoi assène t-il qu’une voiture a roulé sur son père ? Aurait-il été assassiné ?