Vivre sa vie de mauvais genre jusqu’au bout

— Par Marina Da Silva —
Au Théâtre du Rond-Point, dans un dispositif qui casse le cadre de la représentation, Claude Degliame incarne la figure d’Aglaé, prostituée depuis toujours, qui regarde sa vie et les spectateurs en face. Troublant et puissant.

Elle nous reçoit comme si on entrait chez elle. Des tabourets clairsemés mais savamment agencés pour créer des espaces d’intimité. Lumières de cabaret. Un bar garni de bouteilles d’alcools forts. Elle est debout, verticale. Nuisette de satin noir qui laisse transparaître son corps fin et mûr comme un fruit gorgé de vie. Bottines sur bas qui moulent des jambes fines. Les cheveux en pétard. Une paire de lunettes décorées d’un palmier et d’un flamand rose recouvrent des yeux que l’on imagine félins, comme le visage. Elle nous salue et se présente. Aglaé. « Je suis fière d’avoir fait ce que je fais ». Oui, elle a toujours été pute. Et elle a aimé çà. Comme on aime la vie tout simplement. Elle a commencé un peu par hasard à douze ans. Avec les copains de ses frères qui lui donnaient des pièces. Elle ne l’aurait pas fait pour rien. Puis elle a continué. Pour le meilleur comme pour le pire. Du HLM familial de Sarcelles, à la Madeleine et à l’avenue Foch. Elle a bien essayé de travailler comme caissière un moment mais finalement elle préfère le contact avec le client dans la rue. Aglaé ne s’appelle pas Aglaé mais son histoire est entièrement vraie. Elle a été enregistrée, par un hasard qui fait bien les choses, par Jean-Michel Rabeux et Claude Degliame qui l’ont rencontrée dans une chambre d’hôpital à Marseille. Elle s’y faisait soigner pour un cancer qui ne lui laissera pas de rémission. A plus de soixante-dix ans, Aglaé ne regrette rien de sa vie sur un fil. Elle assume ses choix. Son parcours de vie. Trois hommes qu’elle a aimés véritablement, dont le père de son fils, trop tôt disparu. Et puis tous les autres. Princes ou mendiants. Amants d’une nuit ou de quinze ans. Avec leurs vertus et leurs vices. Ne reculant devant aucune demande : «Ma spécialité, c’étaient les spécialités». Elle lisait beaucoup et tout le temps. Freud, Dolto, d’Ormesson et Simenon qu’elle adore. Elle faisait des citations qui épataient ses clients : « On est adulte quand on a pardonné à ses parents ».
«Ça me plaît de plaire, pas de les faire bander, ça c’est facile. »

Elle a aussi goûté à la prison, raconte-t-elle, sans rentrer dans les détails. Et surtout elle a fait ce métier longtemps, en « indépendante », en échappant aux réseaux et au proxénétisme qu’elle a en détestation. Elle a fait ce métier jusqu’au bout. «Ça me plaît de plaire, pas de les faire bander, ça c’est facile. De plaire encore à mon âge.»…

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Aglaé, texte et mise en scène : Jean-Michel Rabeux. Avec : Claude Degliame. Jusqu’au 29 janvier au Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin-D.-Roosevelt, Paris 8e.Tél. : 01-44-95-98-21.

Les 4 et 5 mai 2017 au Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque.