Le vif saisit le mort

Réparer les vivants d’après Maylis de Kérangal

Par Selim Lander

Comment raconter le don d’organe ? Maylis de Kérangal en a fait un roman à succès (dix prix dont celui du magazine Lire) et Katell Quillévéré a tiré un film. La question des dons d’organes fait en France l’objet de débats surréalistes. Qu’y a-t-il en effet à débattre ? D’un côté, une personne qui se trouve soit en état de mort cérébrale, soit en train d’agoniser. Bref elle est ou bien déjà morte (qu’est-ce qu’un corps sans conscience ?) ou bien en train de mourir. Dans les deux cas ses organes ne lui servent plus à rien. De l’autre  côté, des personnes mal vivantes mais qui pourraient vivre normalement – ou bien mieux – si on leur greffait l’organe chez elles défaillant. La situation appelle une solution évidente : si le corps du mort peut encore servir à quelqu’un, à quelques-uns, qu’il le fasse ! La question du consentement – que ce soit le sien au préalable ou celui de ses proches – est sans fondement. Faut-il rappeler que la non-assistance à personnes à danger est un crime puni par la loi[i] ? En France, cependant, la logique est une chose et la politique en est une autre. Si bien qu’il a fallu des années de discussion au sein du Comité national d’éthique et de nos assemblées pour aboutir très récemment à une réforme de la loi : désormais, le consentement n’est plus requis mais les médecins doivent suivre la volonté du mort s’il a déclaré au préalable qu’il refusait que ses organes soient utilisés pour sauver – ou améliorer notablement – des vies, ou à défaut suivre la volonté de ses proches s’ils font opposition. Surréaliste ? Qui le niera ?

Ouf ! Dans le film, les parents du grand ado en état de mort cérébrale ne font pas opposition – après quelques larmes bien compréhensibles. Apparaît alors une dame, mère de deux jeunes hommes, laquelle a de (très) graves problèmes cardiaques, au point qu’elle peut « s’éteindre » à tout instant. Le cœur de l’adolescent ira donc à la dame et tout est bien qui finit bien !

Le film raconte cette belle fable honnêtement… même si on peut suspecter qu’il enjolive un peu la réalité (pour une peinture plus réaliste du milieu médical, on renvoie au film Hippocrate). Quoi qu’il en soit, Réparer les vivants emporte l’adhésion grâce à quelques belles séquences : le prologue, avant l’accident qui privera l’ado de sa conscience, qui le montre avec deux camarades en train de surfer dans une mer hivernale, grise comme on ne saurait le concevoir ici ; la scène de l’accident vue à travers la conscience du conducteur à demi endormi, la route se transformant en une énorme vague qui engloutit la voiture ; la scène où l’ado à bicyclette séduit celle qui devient sa « petite amie » ; enfin sur l’autre versant, celui du vif (de la vive en l’occurrence), la scène où la maman cardiaque retrouve son ex-amante, pianiste virtuose.

Parmi les séquences fortes du film, on mentionnera également celles filmées en « salle d’op », qui peuvent séduire les spectateurs fans des séries hospitalières ou ceux désireux de se faire une idée de leur probable avenir (à moins que ce ne soit déjà leur passé).

Programmation Tropiques Atrium à Madiana.

[i] Suivant ce principe, dans son ouvrage Lettres sur le Justice sociale à un ami de l’humanité, Michel Herland suggère de mettre en accusation le gouvernement français devant les tribunaux pour n’avoir pas rendu automatique le don d’organes.