« 3 fous parlent dans la rue » et « Plein Emploi »

— Par Roland Sabra —

Amateur : nom. 1) Personne qui aime, cultive, recherche (certaines choses).
2) Personne qui cultive un art, 
une science pour son seul plaisir.
Le Robert

« 3 fous parlent dans la rue »

En mai-juin, revient la saison du théâtre amateur, ce théâtre qui prend son essor au début du XXe siècle comme ne témoigne la création en 1907 de  la Fédération nationale des compagnies de théâtre amateur (FNCTA). S’il existe plusieurs dizaines de troupes en Martinique, elles sont des milliers dans l’hexagone avec une concentration particulière dans le département des Deux-Sèvres, dans lequel une enquête de 2018 recensait 174 troupes et 100.000 spectateurs par an1.

Le 2 juin, à l’Espace Camille Darsière, Élie Pennont présentait, comme restitution, une partie du travail qu’il dirige dans le cadre de l’Atelier Théâtre du SERMAC. Comme il le fait souvent il a puisé dans le riche catalogue de l’écrivaine martiniquaise Francine Narèce pour en extraire « 3 fous parlent dans la rue ». On rappellera avoir vu il n’a pas si longtemps mémoire, « Chimamanda », ou « Pour 2 francs ou le massacre des ouvriers de la canne au François ». Le talent de Francine Narèce s’articule autour d’un souci d’extraire de la catégorie des faits divers des évènements, et de mettre en valeur la dimension sociale et politique dont ils sont porteurs de façon non-dite, cachée. Elle  a souvent puisé dans son histoire familiale des morceaux de vie et les a transposés en récits de théâtre. Dans « 3 fous parlent dans la rue » Elle part d’une tentative de séduction forcée par un géreur d’habitation d’une femme, sa propre mère, à laquelle son père va s’opposer et le payer d’un prix fort, à savoir l’exclusion, la mise à la rue. Elle généralise le propos en traitant du droit de cuissage que s’attribuaient les géreurs et des viols perpétrés dans l’univers « habitationnaire ». Elle souligne aussi que « La Rue », « L’Errance » si elles sont proches de l’enfer, de la déraison, recèlent aussi des fleurs sauvages aux parfums poétiques insoupçonnés. L’auteure s’est attachée à retrouver mot pour mot les poèmes que récitait l’une de ces exclues, croisée dans son enfance. Du coup il semble que le titre de la pièce retenue par Francine Narèce soit en décalage par rapport à ce qu’elle restitue. En quoi sont-ils « fous » ces trois là ? Si folie il y a, n’est-elle pas plutôt du coté du système « Habitation » ?

La forme théâtrale choisie par Élie Pennont est à la hauteur des comédiens retenus, dans un jeu de scène et des protocoles théâtraux délicieusement surannés comme les trois coups annonçant le début de la représentation ou la tombée de rideau pour souligner la découpe en trois actes de la pièce.

Certains travaux de l’atelier ont déjà été présentés, faisant salle comble à chaque fois, d’autres sont annoncés. A suivre sans faute…

« Plein Emploi »

Le 3 juin, une autre forme de théâtre plus ou moins semi-amateur, plus ou moins semi-professionnel, se présentait au public de Tropique-Atrium avec une pièce d’un auteur à succès, Stéphane Titeca, connu dans le registre du théâtre de boulevard qui, est souvent défini comme le fait le Larousse comme « un genre de théâtre conventionnel, qui vise uniquement à plaire, par des effets faciles. » Pendant longtemps, le théâtre de boulevard jugé peu intellectuel a souffert d’une mauvaise image. Aujourd’hui, ici comme ailleurs, le public est friand de ces pièces de théâtre. Le comédien Eric Delor, ici comme metteur en scène, est suffisamment fin pour avoir choisi une pièce qui sous ses habits de  parodie, de bouffonnerie, de clownerie, évoque, entre autres, un thème social douloureux bien connu en Martinique, celui du papillonnage des hommes, de l’irresponsabilité des pères. De certains hommes, de certains pères.

Il est l’(ir)responsable de l’entreprise qu’il a créée, « Plein Emploi », financée par des fonds publics, dont la mission affichée est la ré-insertion de chômeurs de longue durée. Il n’est pas à la hauteur de la tâche. Il puise dans la caisse, trafique les comptes, les bilans. La pièce va révéler que ce comportement de prédateur s’étend à tous les aspects de sa vie et notamment sa vie amoureuse.

Ils sont quatre sur scène, deux habitués des plateaux martiniquais, Rita Ravier et Virgil Venance, et deux découvertes, en tout cas pour votre serviteur, Fiona Soutif et Marc Julien Louka , qui révèlent une forte potentialité. Le surjeu est la règle, conforme au propos et acceptée par le public qui en redemandera tout au long du spectacle. Rita Ravier s’en donne à cœur joie. Elle explose sur le plateau, clownesque, talentueuse, elle fait un véritable numéro, révélant une dimension de « seule-en-scène », que certains ne lui connaissait pas. Marc Julien Louka, sur un autre registre, lui donne une réplique à la hauteur et la jeune Fiona Soutif fait preuve d’un talent qui ne demande qu’a s’affirmer. Si Virgil Venance, est apparu un peu en retrait, peut-être était-ce dû à un rôle de personnage peu flatteur. Les lenteurs du début, les temps-morts entre les répliques, les placements parfois incertains disparaissent très vite, effacés par le soutien indéfectible et enthousiaste du public, ravi de la farce à laquelle il assiste.

Il faut souhaiter que ce travail se rode et voyage en communes.