Une performance de Jacques-Olivier Ensfelder, entourée d’artifices inutiles

"La nuit juste avant les forêts" à Fort-de-France

 Modifié le 02-02-2014

j-o_ensfelderJacques-Olivier Ensfelder ( photo) fait montre d’un grand talent dans «La nuit juste avant les forêts ». Il portait en lui ce texte comme on garde un mystère. Depuis de longues années. Au fond du cœur. Étranger à lui-même et si proche, comme un enfant qui vous déchire de trop vous ressembler. Il porte le texte qui souvent l’emporte. C’est une bataille douce et douloureuse qu’il livre sur scène, dans une chorégraphie amoureuse avec les mots, les sonorités, les registres de langage, la musicalité de la phrase. Les scansions, les découpes qu’il opère dans le texte, se construisent comme témoignages de fidélité et de reconnaissance, comme preuves d’amour à l’auteur trop tôt disparu. Seul en scène il convoque la multitude des rencontres éphémères, des amoures sans lendemains, des déceptions d’une demande infinie dont l’objet toujours se dérobe à ne pouvoir être nommé. Sec et nerveux, violent et précis le phrasé épouse et enlace le propos, lui accorde des plages de repos, de calme précaire sur fond d’inquiétude sans cesse renaissante. Le doute qui le travaille, passe l’espace de la scène, dans le jeu qu’il met en place avec les lumières, dans ce cache-cache d’ombres et de clarté, entre chien et loup, entre absence et présence. Il en fait un partenaire d’autant plus présent qu’elles sont belles ces lumières qui semblent un clin d’œil bien involontaire à quelque scénographe cher au regretté Patrice Chéreau.

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 En un mot comme en cent : Jacques Olivier Ensfelder lui sait lire Bernard Marie Koltès.

 Ce n’est pas toujours le cas de la mise en scène. Il y a d’abord cette calamiteuse entrée en matière. Le narrateur est sur l’avant-scène coté cour déguisé en travelo paumé et décati tandis qu’une bande son déverse ses décibels sur le public attaqué violemment par les spots lumineux qu’il reçoit en plein visage. D’emblée le spectateur comprend qu’il sera convoqué sur le registre du dérangement, de l’étrangeté, posée comme avant propos incontournable. Le voilà prémuni, vacciné, averti qu’il s’agit sans doute d’une histoire de travelo, qui donc a priori ne le concerne pas ! C’est une bêtise vaguement racoleuse et contre-productive. Il aurait été préférable de laisser s’installer progressivement, au fur et à mesure de la découverte du texte ce sentiment d’altérité familière, laisser advenir lentement l’inquiétude que peut provoquer de l’émergence, la reconnaissance de l’étranger en nous-même. L’identification au personnage, l’entrée dans le texte aurait été plus facile et surtout c’eut été fidèle à la construction koltésienne d’un récit qui débute par la recherche d’une banale chambre d’hotel par un individu banal et dont on ne découvrira que plus tard ce qu’il peut avoir de complaisance, d’affinité revendiquées avec la « marginalité » . Ce début est vraiment raté. Et puis il y a cette ballerine, totalement incongrue qui débarque, qui arrive comme un cheveu sur la soupe, traverse le plateau en demi-pointes, disparaît un long moment et réapparait sans plus de fondement réel. C’est parait-il un choix de mise en scène voulu. Assumé on n’en doute pas mais en tout cas incapable d’être expliqué et encore moins justifié, que ce soit par le texte ou le contexte ! Un moment de grâce dans un monde de brutes? La mise en scène a-t-elle puisé cette platitude dans un trésor de réserve? Il semblerait car, cerise sur le gâteau, il y a l’apparition d’un maitre chien, de son animal, dont on a perçu les aboiements au cours du spectacle, pour un combat final totalement superflu avec le narrateur.

 La scénographie est faite de bric et de broc. Si le muret sur lequel le comédien se déplace comme sur le fil d’un rasoir est en adéquation avec le propos, on regrettera la médiocre figuration, en contre-bas de la scène, d’une rivière, ou d’un égout de mauvais goût avec des sacs poubelle de plastique noir froissés juste pour imiter les vagues, qui barre toute l’avant-scène et qui fait injure au beau travail, qu’il faut souligner encore une fois, des lumières en fond de scène. Mais il s’agirait en l’occurence de faire valoir une opposition entre l’ici et l’ailleurs (le lieu de l’exil), entre le bas populeux et crasseux  (le canal Levassor) et le haut select et classieux ( un lustre bourgeois façon 19ème)! Quand on vous dit que la mise en scène possède un trésor de réserve…

 Fort-de-France

Le 31/0102014

Roland.Sabra.

« La nuit juste avant les forêts »

De Bernard-Marie Koltes

Cie les Enfants de la Mer

Mise en scène : Jose Exelis

Collaboration artistique : Hervé Deluge

Avec Jacques-Olivier Ensfelder

Création Lumière : Valéry Pétris

Jeudi 30 et Vendredi 31 Janvier  2014

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