« Résistances, Rebellions, Révoltes et Révolutions, Océan Indien, Antilles, France (1750-­1850) »

Le Grand Séminaire d’Histoire des outre mers français (GSHOM)« Résistances, Rebellions, Révoltes et Révolutions, Océan Indien, Antilles, France (1750­1850) »

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GREHDIOM et CAGI-CRPLC (Université des Antilles et de la Guyane) IHRF (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), CRESOI (Université de La Réunion)

Ces dernières années ont vu les études sur la Révolution française se décentrer et prendre davantage en considération les événements qui dans l’Empire colonial français avaient constitué en soi une dynamique révolutionnaire, entraînant en retour dans la métropole un nouveau cycle de radicalisation. Ainsi les rapports entre la métropole et son empire ont pu être repensés dans une interaction féconde, donnant à comprendre la façon dont le débat sur les colonies, sur le statut des personnes, esclaves, libres de couleur, colons, marins et soldats, sur la politique extérieure de la France, se trouvaient au centre de la décennie 1789-1799. Créé à l’initiative de Sudel Fuma (CRESOI) en septembre 2011 lors du colloque organisé à La Sorbonne par L’Institut d’Histoire de la Révolution française, en partenariat avec l’Université des Antilles et de la Guyane (GREDHIOM et CAGI-CRPLC), « Les Colonies, la Révolution française, la loi »1, ce projet de recherche pluriannuel a pour ambition de travailler à dresser la typologie des formes, modalités et stratégies des résistances, soulèvements, révoltes, et révolutions de tous types qui ont pu dans l’espace de l’Outre-mer français incarner autant de formes de contestation face à des situations de domination coloniale diverses et variées.

Inspiré par la thèse monumentale de Jean Nicolas sur la rébellion française entre 1660 et 1789, l’objectif serait de pouvoir construire une typologie des manifestations qui, de la rixe, au soulèvement révolutionnaire ont pu marquer l’empire colonial français. Une telle étude ne serait toutefois que partielle si elle n’englobait pas celle des formes et modalités des répressions de tous types (sociale, idéologique, législative, judiciaire, économique, militaire) mises en œuvre tant par la puissance coloniale elle-même que par des groupes locaux en amont ou en aval des contestations multiples de la domination coloniale évoquées ci-dessus, ainsi que celles des « réponses » apportées par les résistants, contestateurs, rebelles ou révoltés à ces modes divers de répression. En prenant l’éventail large de la contestation, le projet n’entend pas circonvenir la remise en cause de l’autorité aux seuls affrontements maîtres/esclaves, mais suppose une richesse de tensions de tous types, engageant des acteurs les plus divers qu’il s’agit de remettre en perspective puis en relation pour comprendre la complexité des sociétés coloniales dans leur fonctionnement propre, puis dans leurs relations avec la métropole. Densité des conflits, violences ou non, présence de femmes, rôle des autorités, récits croisés, sorties des crises sont autant de perspectives de recherches à prendre en considération.

Fédéré par l’Université des Antilles et de la Guyane, l’Université de La Réunion, et l’Université Paris 1, ce projet a pour vocation de repérer dans les archives les récits, les mémoires, la façon dont une autorité est remise en cause, la manière dont une contestation de l’ordre se construit puis devient conscience de lutte dans un espace qui irait des années 1750 aux années 1850, ce qui permettrait d’englober les conditions de la traite d’Ancien régime, le bouleversement révolutionnaire puis la Restauration jusqu’à la seconde abolition.

Typologies des stratégies de résistances, des conflits et des répressions, chronologies des affrontements, structure des documents archivistiques, mémoire des récits et effets de réels induits, expériences croisées et histoires connectée des conflits entre espace caribéen et îles du sud de l’Océan Indien, réuniront donc pour plusieurs Journées de séminaires pluriannuels les chercheurs de La Réunion, des Antilles-Guyane, et de L’IHRF.

1 Actes à paraître en 2014 aux Presses universitaires de Rennes (PUR) sous la direction de F. Régent, J.-F. Niort et P. Serna.

Programme de la 1re Journée du GSHOM (Université de La Réunion, 12 novembre 2012)

Résumés des interventions

Pierre SERNA : « Ce que les mots veulent dire au XVIIIe siècle : désobéissance, insurrection, révolte, révolution dans les dictionnaires des Lumières et des Révolutions » Avant d’être une réalité politique et une série d’événements inscrits dans un nouveau régime d’historicité, la révolte et la révolution sont des mots qui ont un sens différents selon qu’on les emploie au début du XVIIIe siècle ou bien au milieu ou à la fin de ce siècle. Or les études lexicométriques, la linguistique historique ou le linguistic turn ont justement sensibilisé les historiens au sens des mots que les contemporains utilisaient dans le sens précis de leur contexte. C’est dans cette perspective que l’on se propose d’étudier en guise de préliminaire à ce grand séminaire, ce qu’une série de mots veulent dire et comment leur sens évolue tout au long du siècle, de la Grande Révolution d’Angleterre en 1688 à la réédition du dictionnaire de l’Académie française (qui n’existe plus à cette époque), à la fin du Directoire en 1798. Que veulent dire les mots « Révolte », « Insurrection », « Sédition », « Désobéissance », et surtout « Révolution » ? Comment sont-ils utilisés, comment sont-ils illustrés et comment la politique des mots révèle-t-elle une sensibilité de plus en plus exacerbée ? De quels outils dispose l’historien de la Révolution française, des révolutions atlantiques et des espaces à l’Est de l’Afrique pour comprendre les origines sémantiques de la Révolution ? La révolution des mots a-t-elle préparé la Révolution ? A-t-elle préparé l’immense passage à l’acte que constitue la révolte contre le monde ancien dans l’espoir d’un monde nouveau ?

Jean François NIORT : « Les Blancs face au pouvoir central et local dans les colonies : exemple des Antilles françaises, XVIIIe-XIXe siècles » Cette communication tentera d’évoquer les rôles divers qu’ont pu jouer les Blancs (soit créoles, soit « européens ») dans les formes de résistances coloniales au pouvoir central métropolitain (et à ses représentants locaux) mais aussi au pouvoir local des colons, et les oppositions internes qui ont pu voir le jour au sein de leur classe à cette occasion, notamment à travers le rapport souvent conflictuel avec les normes juridiques nationales officiellement applicables (tant celles du Code Noir que de la législation du XIXe siècle), qu’elles soient plus dures ou au contraires plus douces que les normes et pratiques locales.

Frédéric RÉGENT : « L’influence du paradigme de résistance dans l’historiographie de l’esclavage » L’historiographie de l’esclavage se caractérise par des rapports sociaux qui se fonderaient sur le paradigme de la résistance. Ce paradigme a fortement influencé l’historiographie et la production historique. Son influence a écarté du champ des études de nombreux aspects de la vie des sociétés esclavagistes comme celle des libres non propriétaires d’esclaves ou les rapports entre esclaves et maîtres se situant en dehors de la sphère de la confrontation. Il faut s’interroger sur l’aspect opératoire du paradigme de la résistance. En effet, si tout esclave aspire à la liberté, chaque esclave développe une stratégie individuelle ou familiale pour y parvenir (stratégie de l’« échappement »), qui ne constitue pas forcément un « acte de résistance » à l’esclavage en tant que système. C’est lors de la Révolution française que s’organisent les premières formes collectives et conscientes de lutte contre l’esclavage en ce sens global chez les esclaves et ce en interaction avec la circulation des idées philanthropiques dans les colonies, et de surcroît dans le cadre de conflits politiques. D’ailleurs les luttes des esclaves se nourrissent des écrits des abolitionnistes et réciproquement, dans le long combat aboutissant à l’abolition définitive de l’esclavage en 1848.

Yerri URBAN : « Marronnage et nationalité : le destin singulier des Boni 1836-1892 » Les deux guerres Boni (1765-1777 et 1789-1793), qui se sont déroulées au Surinam, sont connues des historiens du marronnage : alors que les autorités coloniales néerlandaises se sont résignées à signer la paix avec les groupes marrons les plus nombreux dans les années 1760, elles refusent de la proposer à un petit groupe qu’elles pensent vaincre facilement. Mais, de ce petit groupe dirigé par un chef de guerre nommé Boni, les forces armées coloniales ne viendront jamais à bout. Cette épopée militaire s’achèvera par le massacre des Boni par un autre peuple marron, qui a conclu la paix avec les Pays-Bas : les Ndjuka. Les Boni (ou Aluku) continueront néanmoins d’exister en tant que peuple marron. Aujourd’hui, ils sont dans une situation singulière par rapport aux autres Marrons des Guyanes, liés au Surinam : ce sont les seuls rattachés à la France, ce sont les seuls à avoir tous la nationalité française tout en étant reconnus, de manière quasi-informelle mais bien réelle, en tant que peuple. Comment en est-on arrivé là? C’est ce que tentera d’expliquer cette communication.

Prosper EVE : « L’utilité de résister à Bourbon : nouvelles interprétations » Dans l’historiographie, le marronnage a été le plus souvent abordé sous un angle économique. L’esclave étant défini par le droit comme un bien meuble, il est essentiellement deux bras. Or, si l’esclave souffre parce qu’il a perdu sa liberté, parce qu’il a été désocialisé, déshumanisé, dépersonnalisé, désexualisé, décivilisé, il souffre aussi parce qu’il a perdu ses ancêtres. Le plus gros drame est pour lui la « désancestrisation ». S’il rompt le ban, c’est pour boire à la coupe de sa culture et mettre en place une lignée d’ancêtres. Les derniers travaux que j’ai menés sur ce thème insistent sur la dimension culturelle de cet acte de résistance des esclaves de Bourbon.

Sudel FUMA : « Les postures de résistances des esclaves de Bourbon au XVIIIe et XIXe » A Bourbon, comme dans la plupart des colonies françaises ou anglaises, les populations asservies pendant la période de l’esclavage ont manifesté sous différentes formes leurs résistances à l’Etat colonial. Les révoltes ou tentatives de révoltes, les incendies de propriétés, les suicides, les empoisonnements sont des formes de refus de l’esclavage. L’étude des différentes expressions des résistances tout au long de l’histoire de l’esclavage interpelle toutefois l’historien. En effet, l’opposition aux colons esclavagistes n’a pas empêché l’essor des colonies de plantations… Peut-on dire que les esclaves ont accepté passivement la condition servile ? Y aurait-il des postures de résistances qui échappent à la vigilance de l’Etat colonial ? Quelles sont-elles ? Ont-elles contribué à la « libération » des populations asservies ?

2e Journées du GSHOM :

« Les résistances politiques à l’esclavage dans l’espace colonial français(1750-1850) : essai de théorisation (définitions, typologies, comparaisons) »

Guadeloupe, 3-8 février 2014

Dans le prolongement du thème général du Séminaire et des apports de sa première Journée, tenue le 12 novembre 2012 à l’Université de La Réunion à l’initiative de Sudel Fuma (cf. le résumé précédent), il s’agira cette fois-ci de centrer l’analyse sur la dimension proprement politique des résistances à l’esclavage, à travers des études de cas et des comparaisons, effectuées au sein de l’espace colonial français entre 1750 et 18502, en proposant des modélisations théoriques (essais de définitions, de typologies), à partir des éléments de réflexion suivants. On partira en effet d’une acception plus restrictive du terme de « résistance », qui avait jusqu’alors acquis un sens conceptuel et paradigmatique excessif dans l’historiographie de l’esclavage colonial -c’est-à-dire en le réservant précisément à des actes réfléchis et organisés d’opposition au principe et au système esclavagistes en tant que tels -, mais en mettant systématiquement ce mot au pluriel pour en souligner la polyvalence des formes. Dans cette perspective de recherche, les réflexions s’orienteront donc simultanément dans deux directions :

1°. A partir de quel moment la dimension politique d’un acte ou d’un mouvement de résistance à l’esclavage prend-t-elle naissance ? Comment en rendre compte de manière à la fois objective et subjective, à travers le niveau de conscience et de signification qu’en ont ou qu’en projettent les acteurs, entendus au sens large, c’est-à-dire non seulement ceux qui mènent la résistance et ceux qui y participent, mais aussi ceux envers qui elle s’exprime (les colons, les administrateurs locaux et le pouvoir central), ainsi que ceux qui en exercent la répression (notamment militaire et judiciaire) ? Il convient également, dans ce cadre, de s’interroger sur la complexité des motivations et des objectifs poursuivis par les différents acteurs de ces résistances politiques à l’esclavage, incluant non

seulement l’appréhension des stratégies à la fois individuelles et collectives qu’ils mettent en place, mais aussi l’analyse des effets de concurrence ou au contraire de synergie qui peuvent en découler, renforçant ou au contraire affaiblissant le mouvement de résistance concerné.

2°. Quelles ont été les différentes formes de ces résistances politiques à l’esclavage ? Créations de communautés marronnes (comme celles de La Réunion ou celle des Boni en Guyane), révoltes serviles (comme celle de Saint-Leu en 1811), rébellions contre le gouvernement central et ses forces armées (comme en Guadeloupe en 1801-1802), ou carrément révolutions, c’est-dire, en quelque sorte, des révoltes et rébellions victorieuses (comme finalement à Saint-Domingue, conduisant à l’indépendance de la colonie en 1804), mais aussi organisation de « partis » plus ou moins officiels, utilisation de la presse, militantisme politique, présentation aux élections… Dans ce cadre, quelles ont été les stratégies, les discours, les valeurs mises en avant lors de ces mouvements ? Quelle a été l’influence des idéaux et principes révolutionnaires issus de la philosophie politique des Lumières sur ces mouvements, notamment dans le cadre général des droits de l’Homme et du citoyen et des libertés publiques qui en découlent, et plus particulièrement du droit de citoyenneté, du droit de résistance à l’oppression (1789) et de son corollaire, le droit à l’insurrection (1793) ?

2 Ces secondes Journées du GSHOM seront centrées sur la période révolutionnaire (1789-1805) et abolitionniste (1830-1850), s’interrogeant notamment sur la conscience et l’action politiques des libres de couleur et des « nouveaux libres » lors de ces deux périodes. En revanche quelques perspectives comparatives avec d’autres périodes, hors champ temporel du Séminaire, seront tracées (Antiquité, Second Empire, France occupée).

PROGRAMME GÉNÉRAL

« Semaine de la liberté générale »

A l’occasion du 220e anniversaire du décret d’abolition de l’esclavage de 1794

Lundi 3 février (Fac SJE -Fouillole) Matin (9h) Mot de bienvenue du Doyen Jean-Gabriel Montauban Présentation du GSHOM et de la Première Journée (nov. 2012 à La Réunion) (Sudel Fuma) Présentation des 2e Journées (Jean-François Niort)

Josette FALLOPE (UNIVERSITÉ D’ABIDJAN) : « Les stratégies de résistances au système esclavagiste (Guadeloupe, XVIIIe-XIXe siècles) »

Frédéric RÉGENT (GSHOM, IHRF, UNIVERSITÉ PARIS 1) : « Le concept de résistance dans l’historiographie de l’esclavage colonial français »

Fred RENO (CAGI-CRPLC, UAG PÔLE GUADELOUPE, FOUILLOLE / FAC. SJE) : « La dimension politique d’un acte de résistance »

Arnaud CLERMIDY (Agrégé d’Histoire, Prépa Lettres, Lycée Gerville Réache de Basse-Terre) : « Résister, collaborer ou s’accommoder dans l’historiographie de l’esclavage colonial et de la France occupée (1940-1944) »

Après-midi (14h30)

Dominique MIGNOT (CREDDI-LEAD, UAG PÔLE GUADELOUPE, FOUILLOLE / FAC. SJE) : « La dimension politique des résistances à l’esclavage sous l’Antiquité »

Olivier PLUEN (Centre de recherche Versailles Saint-Quentin Institutions Publiques (VIP) / UAG PÔLE GUADELOUPE, FOUILLOLE / FAC. SJE) : « Actualité juridique de l’esclavage en France : l’introduction du crime de réduction en esclavage dans le droit pénal français, lecture d’un parcours législatif »

Brigitte FACORAT (CAGI-CRPLC, UAG PÔLE GUADELOUPE, FOUILLOLE / FAC. SJE) : « Actualité juridique de l’esclavage en France : la question des réparations »

Mardi 4 février (Centre Sonis, Ville des Abymes / Cap Excellence)

Journée commémorative

220e anniversaire du décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises du 4 février 1794 (16 pluviôse an II)

Dans la journée (à partir de 9h)

Allocutions officielles (collectivités partenaires, Rectorat, CCI-IG …)

Tables rondes successives :

1°. Le contexte de l’abolition de 1794

2°. L’esprit et la lettre du décret du 16 pluviôse an II

3°. L’impact théorique et pratique du décret et sa postérité (1794-1802-1848)

4°. Actualité juridique et philosophique de l’Abolition de 1794 et de sa commémoration

Avec la participation de :

-Fredrik Thomasson (Université d’Uppsala, Suède) -Jacques Adélaïde-Merlande (UAG, ICFC, Président de la SHG) -Sudel Fuma (GSHOM, CRESOI, Université de La Réunion) -Bernard Gainot (IHRF, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) -Pierre Serna (GSHOM, IHRF, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) -Frédéric Régent (GSHOM, IHRF, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) -Erik Noël (AIHP, UAG Pôle Martinique) -Yerri Urban (GSHOM, CRPLC, UAG Pôle Guyane) -Hubert Jabot (Avocat au Barreau de la Guadeloupe, Président de la LDH-G) -Jacky Dahomay (Agrégé de Philosophie) -René Bélénus (Docteur en Histoire, SHG) -Luc Reinette (CIPN ET CNGR) -Jean-François Niort (GSHOM, CAGI-CRPLC, UAG Pôle Guadeloupe, Fouillole / Fac SJE) -Dominique Mignot (CREDDI-LEAD, UAG Pôle Guadeloupe, Fouillole / Fac SJE) -Didier Destouches (CAGI-CRPLC, UAG Pôle Guadeloupe, Fouillole / Fac SJE) -Brigitte Facorat (CAGI-CRPLC, UAG Pôle Guadeloupe, Fouillole / Fac SJE) -Olivier Pluen (UAG Pôle Guadeloupe, Fouillole / Fac SJE)

En soirée (18h)

Conférence dans le cadre des « 4emes Rencontres Mémorial ACTe » (Région Guadeloupe) :

« L’Abolition de 1794 : regards croisés des outre mers »