Un régime autoritaire soutenu par le crime s’installe en Haïti

— Par François Bonnet —

Massacres, kidnappings, assassinats d’opposants : Haïti sombre sous les coups d’une alliance entre le pouvoir et les bandes criminelles. Washington vient de sanctionner deux proches du président Jovenel Moïse qui construit un appareil répressif à sa main. Les institutions du pays sont à l’arrêt et les manifestations se multiplient.

Les États-Unis, faiseurs de roi et principal acteur politique en Haïti, se sont enfin décidés à bouger. Depuis 2016, Washington soutenait contre vents et marées le président Jovenel Moïse et son clan, malgré l’effondrement du pays. Cette fois, l’avertissement est sévère. Le 10 décembre, le département américain du trésor a annoncé prendre des sanctions contre trois personnages clés, deux officiels du régime et un chef de gang. Tombant sous le coup du Magnitski Act, leurs avoirs aux États-Unis sont gelés et ils sont interdits de visas.

C’est une décision importante car elle frappe au cœur de ce qu’est devenue la présidence de Jovenel Moïse : une alliance d’un pouvoir autoritaire avec les gangs criminels pour terroriser la population et éteindre les mobilisations sociales qui n’ont pas cessé depuis plus de deux ans (lire notre reportage).

Ces sanctions concernent l’un des plus grands massacres survenu le 13 novembre 2018 à La Saline, un quartier bidonville de la capitale Port-au-Prince. Ce jour-là, 71 personnes sont tuées à la machette, à coups de hache ou par armes à feu. Onze femmes sont victimes de viols collectifs, des dizaines de personnes sont blessées. Des enfants sont tués. Une partie des corps sont jetés dans une décharge d’ordures, les autres sont brûlés et démembrés. 400 habitations sont détruites.

La population de La Saline fournissait des bataillons de manifestants dans les mouvements de protestation. Il fallait la punir et la terroriser. De nombreuses enquêtes, du Bureau des droits de l’homme de la mission des Nations unies et d’associations haïtiennes de défense des droits humains, sont aujourd’hui confirmées par le département du trésor américain.

Dans son rapport (à lire ici), le Trésor US explique que « l’architecte » de ce massacre est le « représentant départemental du président Jovenel Moïse », un certain Joseph Pierre Richard Duplan. La « planification » et l’organisation de la tuerie sont faites par le directeur général du ministère de l’intérieur et des collectivités locales, Fednel Monchéry. Son exécution est menée avec l’aide des bandes armées par Jimmy Cherizier, un ancien officier de la police nationale haïtienne devenu depuis l’un des principaux chefs de gang à Port-au-Prince.

La note du département du trésor reprend l’essentiel des conclusions des précédents rapports que le pouvoir dénonçait comme étant des « mensonges et manipulations ». Duplan et Monchéry ont fourni des armes à feu, des véhicules et des uniformes de la police aux membres des gangs.

Cherizier a organisé par la suite d’autres tueries dans différents quartiers de Port-au-Prince. Il y a gagné le surnom de « Commandant Barbecue » et est aujourd’hui à la tête d’une alliance des neuf principaux gangs de la capitale qui s’est baptisée « le G9 ». En novembre 2020, Jimmy Cherizier avait conduit durant quatre jours une série d’assassinats et d’incendies dans un autre quartier populaire, Bel Air.

« La violence généralisée et la criminalité croissante des gangs armés en Haïti sont renforcées par un système judiciaire qui ne poursuit pas les responsables d’attaques contre des civils », note le Trésor américain. Malgré les pressions multiples, de la communauté internationale et des ONG haïtiennes, l’enquête sur le massacre de La Saline n’a jamais aboutie.

Washington, qui jusqu’alors le niait ou le taisait, l’écrit cette fois explicitement : « Ces gangs, avec le soutien de certains politiciens haïtiens, répriment la dissidence politique dans les quartiers de Port-au-Prince connus pour participer à des manifestations antigouvernementales. Ils reçoivent de l’argent, une protection politique et suffisamment d’armes à feu pour les rendre mieux armés que la Police nationale haïtienne (PNH). »

Cela fait au moins deux ans que tout Port-au-Prince le sait. La « macoutisation » du pouvoir est en route, s’inquiétait depuis longtemps l’écrivain Lyonel Trouillot, en référence aux « tontons-macoutes », ces miliciens du dictateur Duvalier qui organisèrent la terreur tout au long de son règne.

L’annonce américaine de sanctions a été faite le 10 décembre, date de la journée internationale des droits de l’homme qui a eu un retentissement particulier en Haïti. Des milliers de personnes ont en effet défilé contre l’insécurité générale et les gangs criminels dans plusieurs villes du pays.

À Port-au-Prince, c’est une « Marche pour la vie » qui a été organisée par à peu près tout ce que la capitale compte d’associations. Deux jours plus tôt, la traditionnelle procession religieuse de l’Immaculée conception avait réuni des milliers de personnes et s’était elle aussi transformée en « marche contre l’insécurité, le kidnapping, la peur et pour l’espérance »…

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