— Par Selim Lander —
En prélude au festival de jazz de Tropiques Atrium qui se déroulera du 26 novembre au 3 décembre en divers lieux de la Martinique, trois films sont projetés à Madiana à raison d’une seule séance par film, les 20, 21 et 22 novembre. Autant dire qu’il ne faut pas se réveiller trop tard.
C’était donc le premier, hier, consacré à Janis Joplin, pas un biopic, mais un documentaire qui combine des captations de concerts (Monterey, Woodstock…), les extraits d’un talk show, des bouts de lettres qu’elle adressait à ses parents, des bouts de film la montrant avec ses musiciens, des témoignages de proches, sa sœur, des musiciens… Autant dire immédiatement que ce film d’Amy Berg intitulé simplement Janis est un chef d’œuvre du genre. Cela tient avant tout, évidemment, à la personnalité de J. Joplin (1943-1970), à sa musique, à sa voix, à son destin météorique, à sa fin tragique.


On ne saurait voir en Martinique ce film sur la Corse sans être sensible aux ressemblances et aux différences entre les deux îles. Ressemblances : le sentiment d’une minorité de la population de vivre en pays colonial avec la rancœur, le besoin de révolte que cela suscite immanquablement chez les personnes concernées… et l’incompréhension du reste de la population. Différences : la Martinique n’a pas la culture de la Corse basée sur un machisme exacerbé, un sentiment dévoyé de l’honneur, la vendetta, une accoutumance au crime organisé ; l’histoire des luttes pour l’indépendance dans chacune des îles témoigne suffisamment dans ce sens.
On ne le dira jamais assez, le cinéma permet non seulement de voyager immobile, bien calé dans son fauteuil, mais encore il permet de se faire en une heure trente ou deux heures une idée bien plus précise sur le pays ainsi visité que si l’on devait supporter les inconvénients d’un long séjour. Car pour ce qui est des voyages organisés, qui croirait encore qu’ils font connaître quoi que ce soit ?



Trois pièces jouées en ce moment dans deux salles du quartier Montparnasse à Paris, le Théâtre de Poche et le Guichet.
Au cœur de la « Ville-Pays » dirigée par un « général dissident », se trouve un bar nommé Tram 83, hanté par des demoiselles aguicheuses, « biscottes », « canetons » et des clients en mal de sexe, « creseurs » échappés pour un bref moment de l’enfer des mines de diamants ou trafiquants et autres « touristes à but lucratif ». Pas d’intrigue véritable dans cette pièce mais un fil conducteur : Lucien, un client, venu de « l’arrière pays », souhaite publier un livre dénonçant la pourriture qui règne partout dans le pays. Il en est fortement dissuadé par Cercueil, complice d’un pouvoir corrompu, tandis que l’un des « touristes », suisse, s’engage au contraire à le publier.
Il n’est pas trop tard pour signaler un numéro d’Africultures (trimestriel), numéro double, qui fournit un panorama très complet de la création théâtrale aux Antilles françaises, même s’il ne rend pas compte, par la force des choses, des développements les plus récents puisqu’il fut publié au début de cette décennie. Cette réserve n’empêche pas qu’il constitue encore un instrument extrêmement précieux pour connaître les acteurs du théâtre antillais, toutes les personnes interrogées étant encore en activité. En effet, les entretiens avec ces personnalités du monde théâtral ne sont pas les morceaux les moins intéressants de cette publication qui, davantage qu’un numéro de revue, a toutes les apparences d’un ouvrage collectif (dirigé par Sylvie Chalaye et Stéphanie Bérard).
Barcelone est une ville à la mode, particulièrement chez les Français. Les touristes qui viennent ici en cohortes aiment arpenter les Ramblas, errer dans les rues étroites du Barri Gótic, s’étonner devant les édifices construits par l’architecte Gaudi. Ils sont bien peu nombreux, pourtant, ceux qui ayant escaladé les pentes du parc Monjuic pour contempler la ville d’en haut ont l’idée de pénétrer à l’intérieur du Palais National qui clôt la perspective depuis la place d’Espagne. On y accède à partir de cette même place par l’avenue de la reine Marie-Christine, un ensemble monumental qui fait se succéder deux gigantesques tours vénitiennes, une vaste fontaine, quatre colonnes géantes, enfin une cascade artificielle. L’avenue est flanquée de part et d’autre par les bâtiments de la foire de Barcelone qui furent construits à l’occasion de l’exposition universelle de 1929, de même que le palais qui en constitue le couronnement et qui abrite désormais le Musée National d’Art de Catalogne.
Dans un billet précédent nous émettions l’hypothèse qu’Ibsen est le plus grand dramaturge du XIXe siècle, toutes langues confondues. Ce n’est pas Une Maison de poupée, reconnue comme l’une de ses meilleures pièces, qui nous fera changer d’avis, surtout dans l’interprétation qu’en donnent Florence Le Corre (Nora) et Philippe Calvario
Emma Dante est déjà venue en Avignon en 2014 avec Sorelle Macaluso. Elle disait alors : « Pour moi le théâtre consiste pour l’artiste à mettre en scène sa propre réflexion sur le présent – sa propre vision du monde contemporain et du monde dans lequel il vit. Un théâtre social signifie révéler les malaises et les problèmes que les gens ont tendance à refouler ».
Un spectacle inclassable entre cirque (acrobatie) et performance dans un décor qui évoque une vague ou une dune de couleur grise uniforme, fait de grandes plaques d’isorel que l’on peut soulever, déplacer, dévoiler des trou d’où surgiront des mains, des bras ou des jambes, des corps… ou de simples accessoires comme un pot de fleur. Dans l’une des séquences de cette pièce proprement extraordinaire qui fait appel autant à des mythologies anciennes que modernes, un astronaute vêtu d’une combinaison blanche immaculée, avec un énorme casque-hublot et le bruit amplifié de sa respiration, surgit de derrière la dune (?) et se dirige vers un point précis où il se met à creuser, déterre quelque pierres et finalement extrait un homme entièrement nu. Lorsque l’astronaute se débarrasse de sa combinaison pour apparaître le buste découvert, on s’apercevra qu’elle est du sexe féminin. Les corps se montrent en effet très souvent nus. Peut-être une réminiscence des Grecs anciens qui pratiquaient les sports ainsi, puisque The Great Tamer vient de la Grèce. Les corps sont d’ailleurs beaux comme des académies.
Voilà une M.E.S. (de Claire Guyot) qui dépoussière joliment une pièce du répertoire classique sans jamais la trahir. Le titre est trompeur, de même que le résumé dans le catalogue du OFF qui évoque une « version cinématographique du chef d’œuvre de Molière » alors que ce Misanthrope se joue fort honnêtement sur les planches sans le truchement d’une caméra ni de micros. Quant à l’aspect « politique », il correspond tout au plus à un prologue (muet) et à la première scène pendant lesquels Alceste et Philinte travaillent côte à côte sur un bureau, l’un à signer des parapheurs, l’autre à corriger un texte sur un ordinateur portable. Car c’est surtout en cela que la M.E.S. est moderne, grâce aux costumes et à une utilisation très astucieuse des instruments qui ont envahi notre vie quotidienne, tablettes et téléphones mobiles. Par exemple Philinte n’a pas besoin d’être présent dans la même pièce qu’Alceste. Il peut dialoguer avec lui grâce au téléphone d’Éliante en position haut-parleur. De même le valet de Célimène est-il commodément remplacé par un interphone.
Dans un très beau décor de Pierre-André Wetz, Olivier Py a adapté son roman Les Parisiens (2016), fresque foisonnante dont les multiples personnages font partie à un titre ou à un autre au groupe des « importants » dans la capitale de la France, ceux qui comptent, ceux que, en d’autres temps, on aurait appelé des « notables » mais le terme est trop restrictif car il y a des prostitué(e)s et autres gigolos dans le monde décrit par Py. Cette satire des gens de pouvoirs et de leurs favoris ne manque pas d’intérêt ; on sent que l’auteur sait de quoi il parle même s’il grossit évidemment les choses. Py a retenu pour son adaptation vingt-trois personnages sur les quatre-vingt de son roman et un fil conducteur, la nomination d’un nouveau directeur à l’Opéra de Paris.


— Par Selim Lander —
