Étiquette : Michèle Bigot

« Le début de quelque chose », mise en scène de Myriam Marzouki

 D’après un texte de Hughes Jallon

— Par Michèle Bigot —

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L’intention est belle ; cette idée de touristes occidentaux isolés du monde dans un village de vacances pour CSP+, et n’ayant d’autre objectif que de tenir à distance le stress, la fatigue et les ennuis du monde moderne, pendant qu’à la porte de l’hôtel gronde la révolution a de quoi enchanter. Le soleil, la détente, le « lâcher-prise », et toute une organisation visant à vider les esprits et à laisser vivre les corps dans leur plus entière sensualité ; on sent bien que tout cela prête à une satire féroce des poncifs d’aujourd’hui qui préconisent le bonheur, quand l’heure est justement aux grandes inquiétudes, quand menace la panique et les bouleversements de l’ordre établi.

En somme, il y a de quoi refaire  La noce chez les petits bourgeois.

Alors pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Il faut croire que la magie du théâtre (comme le bonheur) se manifeste surtout quand elle s’en va.

Le drame s’ouvre et se clôt sur une scène de chasse apocalyptique, rendue par une image vidéo d’ombres et de couleurs en furie, pendant qu’une voix off, soutenue par un son saturé suggère la poursuite et la mise à mort des bêtes sauvages, des hommes sauvages ?

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« Re : Walden », création dramaturgique de J.-F. Peyret, d’après le livre de H.D. Thoreau Walden ou la vie dans les bois, Tinel de la chartreuse de Villeneuve lès Avignon

 — Par Michèle Bigot—

 re_waldenC’est en 1848 que Thoreau produit ce texte inclassable, brisant les catégories du récit, de l’essai philosophique et du journal intime. Il y relate sa vie quotidienne dans les bois,(2 ans, 2 mois et 2 jours) près de l’étang de Walden où il a construit lui-même sa cabane.

D’emblée le spectateur, confronté à ce tissu de méditations, observations, narration, s’interroge sur le titre et surtout sur son préfixe problématique. Le « re » vaut-il pour une reprise, une réponse, une réactivation ? C’est sans doute tout cela et surtout une réviviscence que nous propose J.-F. Peyret. Car son écriture théâtrale, faite d’une combinaison d’images fortes, de jeux de lumière, de magie numérique, le tout harmonisé par un concert de voix nous offre une relecture et une réactualisation de ce texte. Ce spectacle total étaye son rythme original sur une musique et un dispositif électro-acoustique dont la modernité est comme un défi à l’idéologie écologiste de Thoreau.

Une écriture dramatique des plus contemporaines et un travail intense et minutieux des multiples dimensions du spectacle théâtral soutiennent donc cette relecture.

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« Par les villages », Peter Handke, mis en scène par Stanislas Nordey

 — Par Michèle Bigot —-

 par_les_villagesSur le vaste plateau de la cour d’honneur, l’espace scénique est dessiné par une ceinture ouverte constituée d’une rangée de baraques de chantier : le tout forme une muraille bleue. Devant, seul en scène, l’écrivain. Sa voix s’élève parmi les cris des martinets déclarant l’arrivée de la nuit sur le palais. Ainsi commence le drame des perdants.

Grégor, L’écrivain revient au village natal ; il est le protagoniste autour duquel vont évoluer les autres personnages, satellites de cet astre solitaire : sa femme (Jeanne Balibar, figée dans un corps qui n’est qu’organe de la parole), sa sœur ( Emmanuelle Béart, jouant avec passion , de tout son corps), son frère (Laurent Sauvage) humilié et pourtant habité pourtant par une force qui transcende sa condition d’humiliés. Et autour de ce drame familial de l’héritage, qui déchaîne la violence des sentiments unissant et déchirant la fratrie, se déroule le ballet des compagnons ouvriers, avec Hans (S.Nordey) leur porte-voix, qui dit la geste du monde ouvrier.

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« Projet Luciole », Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents blancs

 

—Par Michèle Bigot —-

projet_lucioleExpérimenté sous forme réduite en 2012 à Avignon, Projet Luciole revient cette année en grand format.

En 1975, Pier Paolo Pasolini écrit pour la presse italienne un texte dans lequel il dénonce la disparition des lucioles ; autant dire que pour lui, l’embrigadement de masse engendré par l’industrie culturelle et la télévision tue dans l’œuf toute lueur de contre-pouvoir ; un nouveau fascisme, pire que le précédent tue toute pensée. La grosse lumière du consensus télévisuel aveugle et paralyse la pensée. En cela il fait suite à W.Benjamin qui stigmatisait déjà cette forme irréversible de destruction.

A ces penseurs du pessimisme moderne, G. Didi-Huberman répond en 2009 (Survivance des lucioles) qu’on peut « organiser le pessimisme » et qu’il faut pour cela associer modernité et archaïsme, briser le consensus en fracturant le langage.

Et c’est à une telle entreprise que se livre Nicolas Truong dans sa création théâtrale, soulevé par un enthousiasme communicatif, une énergie de la pensée, qui font de son pessimisme la plus acérée des armes pour envisager l’avenir. La parole des philosophes d’aujourd’hui se mêle heureusement à celle des penseurs d’hier.

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Recension du roman de Yann Garvoz :Plantation Massa-Lanmaux

 

par Michèle Bigot*,

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

–Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.). Celui-là incarne une figure de maître débonnaire et hypocrite, surtout versé dans un scientisme mathématique (nouveau d’Alembert exploitant les données du calcul infinitésimal) qui fait bon ménage avec le clergé tant que celui-ci protège ses intérêts d’esclavagiste.

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« Plantation Massa-Lanmaux », de Yann Garvoz

par Michèle Bigot

Recension du roman

 

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

 

Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

 

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.).

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