Que cache l’assistance sexuelle aux handicapés ?

Cette proposition renforce l’ordre établi 
par la domination masculine

— Par Anne-Cécile Mailfert 
et Julie Muret, porte-parole, 
et Claire Serre-Combe, 
militante d’Osez le féminisme. —

La société prend enfin conscience que les personnes handicapées, tout comme les valides, ont une sexualité et une vie affective. Mais le débat se focalise sur des cas individuels extrêmes, souvent des hommes, avec plusieurs handicaps physiques et/ou moteurs lourds, qui ne sont pas forcément représentatifs de la situation des personnes handicapées. Celui qu’on donne à voir en ce moment sur nos écrans de cinéma : The Session, de Ben Lewin, ou le documentaire Sexe, amour et handicap, de Jean-Michel Carré, ou encore Hasta la Vista, de Gilles De Schrijver, mettent en scène des personnages masculins lourdement handicapés, à la recherche d’une sexualité qu’ils estiment ne pouvoir trouver que dans le recours à une tierce personne, de préférence prostituée. Ils popularisent l’idée que la sexualité des personnes handicapées est forcément impossible autrement.

Cette sexualité est bien souvent taboue. Les professionnels se sentent mal à l’aise face à cette question, l’éducation à la sexualité est encore moins faite qu’ailleurs, les familles acceptent mal que leur enfant handicapé grandisse et s’émancipe également dans sa vie affective et sexuelle. Leur intimité dans les établissements spécialisés n’est pas respectée.

En quoi l’assistance sexuelle constituerait-elle donc un progrès pour les personnes handicapées ? Légaliser et organiser un service d’assistance sexuelle permettraient aux personnes handicapées d’avoir « un rapport sexuel » certes, mais ce n’est pas leur permettre d’aller à la rencontre de l’autre. C’est leur offrir un simulacre de relation, un cinq à sept obligatoire, une probable frustration qui exclut toute possibilité de relation suivie. Ne serait-ce pas plutôt une manière de se débarrasser de la question de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées, et surtout de décider à leur place du genre de relations dont ils (et elles) auraient envie ou besoin ?

C’est proposer aux personnes handicapées une sexualité au rabais qui fait peu de cas de leurs désirs, de leurs choix de partenaires, de leurs orientations sexuelles, comme si cette sexualité ne pouvait s’accomplir que dans un cadre défini et caricatural. Au final, l’assistance sexuelle stigmatise un peu plus les personnes handicapées, et n’apporte aucune réponse au vrai problème qui est celui du regard que la société porte sur ces personnes.

Dans les pays où cette activité est autorisée, comme la Suisse, la demande est quasi exclusivement masculine. Les hommes hadicapés auraient-ils des besoins sexuels spécifiques, différents de ceux des femmes handicapées ? Là encore, la sexualité masculine est toujours vue comme étant irrépressible, dictée par des « besoins », et les désirs des femmes, jamais pris en compte. Un groupe, souvent des femmes, devrait donc répondre à une demande d’un rapport sexuel émanant d’un homme, pas par désir mais généralement par sacrifice ou moyennant salaire. Avec l’assistance sexuelle, l’éternelle assignation faite aux femmes d’être disponibles sexuellement pour satisfaire les hommes renforce donc cet ordre établi par la domination masculine.

Derrière ce terme politiquement correct se cache une tout autre réalité : celle de la prostitution. Car il est bien question ici de rétribuer une personne pour qu’elle ait un rapport sexuel avec une autre personne. Et peu importe la manière dont est rétribuée cette personne (en direct par le « bénéficiaire » du « service », par une relation de salariat au sein d’une association ou par la Sécurité sociale), la seule dimension pécuniaire fait de l’assistance sexuelle une forme de prostitution, où le manque de désir du ou de la « prestataire » est compensé par de l’argent, où le consentement est effacé par une transaction marchande.

Or, puisqu’il faut encore le rappeler, tout acte sexuel non désiré est une violence, et l’organisation d’un service sexuel aux personnes handicapées (et pourquoi pas âgées ?) fait de l’État un proxénète. La vie sexuelle des personnes handicapées ne peut donc se construire au détriment de l’égalité femmes-hommes.

http://www.humanite.fr/tribunes/cette-proposition-renforce-l-ordre-etabli-par-la-d-518516