Passage au pays du Cahier d’Aimé Césaire

— Par Jean-José Alpha —

 

« Le Cahier du retour au pays natal » d’Aimé Césaire paru en 1939, alors que l’auteur âgé de 26 ans, est en plein questionnement identitaire face au racisme européen et états-unien autant que la misère qui sévit dans son pays de Martinique, a été présenté aux Martiniquais hier soir , le 17 mars 2013, par Jacques Martial, à l’habitation Clément dans le cadre de l’année du Centenaire du poète et homme politique considéré comme l’une des plus consciences du 20ème siècle.

 

L’arrivée de l’errant, personnage nomade porteur à bout de bras de la misère humaine, dans le lointain, au milieu du champ de canne prolongé par l’espace scénique, est saisissante ; elle place d’entrée les invités de Bernard Hayot, président de la Fondation Clément, dans un univers dérangeant que l’acteur metteur en scène utilise intelligemment.  Économie de gestes et de déplacements dans cet espace malheureusement placé en haut d’une colline donc ouvert à tout vent, qui, étrangement, s’est calmé au fur et à mesure de l’évolution du spectacle. Diction exemplaire et sonorisation adaptée aux exigences du lieu, en plus dans le registre de la tragédie lyrique, Jacques Martial donne à entendre surtout, la colère de Césaire face à l’oppression, au désespoir, aux frustrations et aux angoisses qui le submergent.

 

L’errant, manifestement devenu le guide, crie son indignation, « un homme qui crie n’est pas un ours qui danse »,  chante ses souvenirs, dénonce la politique coloniale qui asservit sans vergogne l’être antillais dominé et tétanisé. Les paroles de l’éclaireur, porteur de la révolte contre l’ordre colonial, appellent, le poing au dessus de la tête, à la lutte pour la dignité et pour la liberté des hommes et des consciences. Ses mots puissants et hypnotiques, captivent le public composé autant de « ceux qui n’ont pas de bouche » que de ceux qui, de plus en plus, s’engagent dans le processus de la justice sociale.

 

Le monologue d’Aimé Césaire portée et bonifiée depuis plusieurs années par l’acteur Jacques Martial, a été bien reçu par les Martiniquais figés par la sobriété de jeu du comédien, par la précision des lumières et le minimalisme et les risques du lieu qui généralement ne pardonnent pas.  Les spectateurs ont été émus par ce texte de référence de l’écriture césairienne. Ils ont compris, un peu mieux, la sédition du poète et de l’homme politique confronté au malheur du colonisé. Ils savent quelle colère animait le fondateur de la Négritude, dont l’exigence a toujours été la lucidité d’une authentique universalité humaine.

 

La fin de l’entretien théâtral serait toutefois plus abouti par le départ de l’errant vers d’autres lieux, d’autres auditoires, qui attendent ses mots et ses actes salvateurs. Le contenu de ses sacs étalé dans l’espace scénique, rassemblé, affirmerait le passage du personnage qui traverse le monde pour dispenser l’humanisme universel du poète. Sa trajectoire pénétrante ne s’arrêterait pas à cette seule rencontre ; elle se poursuivrait bien au delà de ce public debout qui ne doit pas avoir prise sur lui.

 

Le Cahier du retour au pays natal a trouvé en 1950 son prolongement logique par « le Discours sur le colonialisme ». Véritable acte d’accusation et de libération de l’idéologie mystifiante coloniale. Aimé Césaire a pu voir, en 2004, à l’Atrium, l’interprétation qu’en a faite l’excellent comédien sénégalais Younous Dialo invité du Salon du Livre de la Martinique. Le Dr Pierre Aliker et Aimé Césaire en furent bouleversés, nous aussi.

 

J. José ALPHA