Lucas Chancel: «10% de la population mondiale contribue à la moitié du problème climatique»

C’est la sortie événement de ce jeudi 27 octobre, « Le Grand livre du climat », dirigé par la jeune Suédoise Greta Thunberg, initiatrice des grèves pour le climat. Un ouvrage qui rassemble les contributions d’une centaine d’experts, dont le Français Lucas Chancel, économiste et co-directeur du laboratoire sur les inégalités mondiales. Entretien.

RFI : Le Grand livre du climat sous la direction de Greta Thunberg, est un ouvrage choral, un état de la science climatique. Comment est-ce que ce projet est né ?

Lucas Chancel : Les éditeurs et Greta Thunberg ont voulu rassembler des contributions d’un ensemble d’experts, de scientifiques, d’acteurs du climat pour avoir un panorama le plus large possible de cette question afin d’informer pour accélérer. Parce qu’on ne va vraiment pas assez vite, par rapport à l’accélération du climat qui commence à s’emballer, on le voit un peu partout dans le monde.

L’idée qui sous-tend un peu ce projet – notamment pour ce qui est des passages écrits par Greta Thunberg – c’est la transmission du savoir. Y a-t-il un manque aujourd’hui ? les sociétés mondiales ne sont-elles pas assez informées des phénomènes liés au réchauffement climatique ?

On a besoin de continuer à comprendre les problèmes, les points de blocage. On a donc besoin de plus de travail, de plus de recherche pour continuer à voir où est-ce qu’on peut déverrouiller ces blocages. Je pense notamment que l’un des vrais verrous aujourd’hui, c’est sur la question de la justice dans la transition. Par ailleurs, il y a aussi énormément de choses qu’on sait déjà et parfois, il y a aussi une forme d’aveuglement face à des informations qui sont déjà existantes. Mais le fait d’avoir ce moment où on va pouvoir en rediscuter, c’est aussi important. En gros, plus on va parler de ce problème-là dans les médias, dans nos discussions, plus on va avoir des outils pour avancer. Comment on avance collectivement à travers des politiques publiques ? Le livre met aussi l’accent sur ce point-là.

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Justement, la contribution que vous cosignez avec Thomas Piketty s’intitule « Pas de transition sans redistribution ». Elle part d’un constat, de la répartition des richesses. Les inégalités en matière d’émissions de CO2 sont criantes aujourd’hui ?

Effectivement, tous les humains contribuent au changement climatique aujourd’hui, mais pas de la même manière. Vous avez 10% de la population mondiale qui contribue à peu près à la moitié du problème climatique. Et la question est : comment est-ce qu’on arrive à embarquer dans la transition l’essentielle de la population ? On va tous devoir faire des efforts, mais on voit aussi que ces efforts ne vont pas devoir être faits par tous de la même manière. Et par ailleurs, il y a aussi des pollueurs qui sont très contraints dans leurs capacités d’agir ; là, je pense aux classes populaires, à une partie des classes moyennes, pour qui il n’est pas évident de transformer son système de chauffage, et aujourd’hui, il nous semble qu’on ne met pas assez le paquet d’aides pour aider ces ménages-là. Comment est-ce que dans les années qui viennent, on permet à la société d’accélérer sur ces questions, en utilisant davantage les marges de manœuvre des plus aisés, c’est-à-dire via des outils qu’on connait assez classiques, la fiscalité notamment.

Est-ce qu’on en prend la route ? Est-ce qu’il y a des projets pertinents aujourd’hui qui sont mis en place ?

Les Canadiens ont mis en place il y a une quinzaine d’années une taxe carbone dont une grande partie des recettes sont redistribuées aux classes populaires et aux classes moyennes. Je pense que c’est ce que nous enseigne un peu ce regard un peu large sur ce qui se passe au-delà de nos frontières : quand on ne prend pas assez en compte ce besoin de justice dans la transition, eh bien, ça ne marche pas. Aujourd’hui, on a vraiment intérêt à le faire davantage. Ça peut vouloir dire une tarification progressive de l’énergie prenant mieux en compte les besoins, les contraintes des ménages : on va réduire ainsi le prix de l’énergie à des niveaux de base, correspondant aux contraintes des uns, puis on va augmenter ce prix-là pour des consommations qui seraient au-delà des consommations d’énergies absolument nécessaires.

Source : Rfi