Election au Brésil : le bolsonarisme, stade ultime de la « peuplecratie »

— Par Pierre Cilluffo Grimaldi, Sorbonne Université —

ANALYSE. Durant son mandat, Jair Bolsonaro n’a cessé de diffuser un discours populiste ancré dans une sorte de « post-vérité », notamment sur le dossier de l’Amazonie. 

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle brésilienne, qui se tiendra le 2 octobre (un second tour aura lieu si nécessaire le 30 octobre), deux candidats historiques, sur onze au total, se détachent nettement dans les sondages : le président sortant conservateur Jair Bolsonaro, et l’ex-président de gauche Lula (2003-2011). Ce dernier est en tête, malgré un climat politique complexe et risqué. L’enthousiasme domine chez la plupart des commentateurs occidentaux, qui espèrent la fin – dès ce dimanche si le candidat de gauche l’emporte au premier tour – de la morne époque du bolsonarisme.

Néanmoins, il convient de se montrer prudent, alors que les dernières tendances semblent indiquer un rapprochement des intentions de vote en faveur des deux principaux candidats. Bolsonaro, ancien capitaine d’artillerie nostalgique de la dictature militaire, entend bien mener une offensive non conventionnelle (fake news) et sans règles jusqu’à la fin de la campagne… Sans parler d’un risque de vote caché, comme durant le dernier scrutin national de 2018.

Ainsi, cette élection demeure bien plus ouverte qu’on le croit généralement – d’autant que la cristallisation ultime du vote se fait souvent, au Brésil comme ailleurs, dans les tout derniers jours de campagne. Pour remonter son retard, le sortant, qui affirme déjà que « les sondages mentent », va employer tous les ressorts de sa rhétorique populiste ancrée dans la « post-vérité » – un domaine dans lequel le clan bolsonariste est devenu maître.

La rhétorique de « l’expérience du réel »

Qu’est-ce que le bolsonarisme, du point de vue du discours ?

Dans leur excellent ouvrage Peuplecratie, la métamorphose de nos démocraties (2019), analysant notamment l’Italie de Matteo Salvini, les chercheurs Ilvo Diamanti et Marc Lazar ont avancé la notion de « peuplecratie ». Selon nous, le Brésil sous Bolsonaro est une peuplecratie à son stade ultime.

Qu’entendons-nous par là ? Laissons la parole aux créateurs de la notion :

« La peuplecratie résulte d’un double processus. D’une part, l’ascension des mouvements et partis populistes par effet de contamination, la modification des fondements de nos démocraties. Les populistes se réfèrent au peuple souverain qu’ils en viennent à idolâtrer et sacraliser. Dans le même temps, ils s’attaquent aux représentants politiques qualifiés par eux de traditionnels et se livrent à une occultation, voire à une critique radicale, des formes institutionnelles organisant cette même souveraineté populaire. Le peuple […] est systématiquement valorisé en tant qu’entité homogène, porteur de vérité et considéré comme fondamentalement bon, surtout par opposition aux élites supposées homogènes, toujours dénigrées, disqualifiées, détestées, haïes. Cet antagonisme – le peuple vertueux contre ces élites corrompues – a un effet explosif mesurable et amplifié par la caisse de résonance que constituent les réseaux sociaux. »

La peuplecratie se structure donc via le discours populiste, propagé notamment sur les réseaux sociaux.

Bolsonaro, au style direct et familier, essaye par une vraie proximité politique créée avec son cœur de cible électoral, de construire les frontières de la réalité, de produire une « fake news » aux apparences complètes d’authenticité. Cette rhétorique de « l’expérience du réel » est un élément central du populisme à la sauce Bolsonariste. À notre sens, la « rhétorique de l’expérience du réel » est un élément fondamental relativement oublié dans l’étude du populisme. Les valorisations successives de « l’expérience du réel » sont donc légion au sein du discours bolsonariste sur un sujet qui lui a valu bien des accusations : l’Amazonie.

Revenons sur certains extraits significatifs de ce discours :

En septembre 2019 devant l’Assemblée générale de l’ONU, quelques semaines après le buzz médiatique international du G7 de Biarritz sur l’Amazonie, déclenché notamment par Emmanuel Macron, une première réponse : « N’hésitez pas à venir au Brésil, c’est un pays très différent de ce que vous voyez à la télé et dans les journaux ». Une négation de la possibilité de médiation du réel sur l’Amazonie via les médias.

En février 2020, il s’en prend aux ONG écologistes avec une ironie malsaine :

« Si je pouvais, j’aimerais confiner ces écologistes au beau milieu de l’Amazonie pour qu’ils arrêtent d’embêter les peuples amazoniens depuis la ville. »

La provocation directe accompagne donc ce type de rhétorique dessinant une césure entre un « eux » et « nous », base du populisme.

En août 2020, Bolsonaro invite son auditoire à effectuer un vol au-dessus de l’Amazonie) entre les villes lointaines de Boa Vista et Manaus pour se rendre compte qu’aucune flamme n’était visible :

« Ils ne trouveront pas un seul foyer d’incendie, pas un seul hectare de déforestation. »

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