L’insignifiance à ciel ouvert

— Par André Lucrèce. Écrivain, Docteur en sociologie —-

eris_discordeLa crise qui affecte l’UAG depuis plusieurs mois m’a emmené essentiellement à écouter, à m’informer et à comprendre, ceci en toute sérénité, surtout devant la circulation sociale des émotions qu’elle a générées.
Je voudrais ici réagir à la lecture de deux lettres qui me paraissent significatives des états d’esprit qui prévalent dans cette crise. Il s’agit de la lettre de la Présidente de l’UAG au Président de la Région Guadeloupe et de celle de ce même Président, adressée à Madame Geneviève Fioraso, Secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
Dans sa lettre, M. Lurel, qui visiblement a la chair sensible et amère, se dit « blessé » par la lettre de la Présidente de l’UAG, lettre que j’ai lue attentivement et qui ne contient l’ombre des propos soi-disant « diffamatoires et grossièrement mensongers » qu’il évoque, son objectif étant manifestement de mettre la Présidente de l’UAG en difficulté.
Il se garde bien en revanche d’évoquer sa propre responsabilité. Car c’est bien lui qui, visiblement étranger aux considérations de tact, invite la Présidente de l’UAG à participer à une séance plénière du Conseil régional de la Guadeloupe en concédant à la Présidente cinq (5) minutes ! Oui cinq (5) minutes ! afin d’intervenir sur l’évolution institutionnelle de l’UAG, ce à quoi la Présidente s’est poliment refusée. La manœuvre est grossière et la tartufferie avérée : elles consistent à provoquer, par une invitation marquée du sceau de la goujaterie, pour ensuite jouer pathétiquement à l’homme « blessé ». La diatribe contre la Présidente, et la rhétorique du lynchage qui suivra ne laissent guère de doute sur le fait que le Président du CR de Guadeloupe confondait allègrement le Tribunal de Basse Terre et la salle des plénières du CR domiciliés dans la même ville.
Autrement dit, au lieu de convertir Eris, la déesse de la Discorde, à l’entente sur l’essentiel pour créer cette université des Antilles qui s’impose aujourd’hui, Monsieur Lurel, ébouriffant ses plumes, s’en va chercher une querelle sans objet. Une querelle où, de manière irresponsable, il brandit la menace d’un séparatisme universitaire avec le risque d’un appauvrissement qualitatif de l’université, au moment même où ses amis socialistes exhortent les universités, par la loi dite ESR, à se regrouper afin de renforcer le système français d’enseignement supérieur.
Mais sa lettre révèle autre chose.
Monsieur Lurel, qui butine chaotiquement dans le culot et dans l’outrance, pense son Conseil régional comme un lieu de toute-puissance qui pourrait faire et défaire la gouvernance de l’université et, pendant qu’il y est, nommer peut-être aussi les doyens des différents départements de cette université. M. Lurel sait bien pourtant que le Conseil régional, qui a la responsabilité des lycées, ne nomme ni les proviseurs, ni les proviseurs adjoints.
Dans son aveuglement, il écrit par ailleurs à la Secrétaire d’État cette phrase succulente : « Je déplore le fait que la présidente actuelle de l’établissement négocie directement avec votre ministère des points clés relatifs à la future université des Antilles. » Mais avec qui voulez-vous que la Présidente dialogue en priorité, s’agissant d’un projet concernant l’université, sinon avec son autorité de tutelle qui a pouvoir de décision ? Cela pourtant, Monsieur Lurel ne l’entend pas. Plus exactement, il ne veut rien entendre et rien lire non plus lorsque la Présidente de l’UAG termine sa lettre par ces mots : « C’est bien volontiers que je reste disponible pour toute rencontre et échange avec vous… »
Drapé dans sa dignité d’archonte, signant sa lettre de l’insignifiante mention « Ancien ministre des Outre-mer », fonction dans laquelle il n’a guère brillé d’ailleurs, mais dont il est sorti visiblement affublé des ors qui lui montent à la tête, M. Lurel s’adonne à une agitation aussi médiocre qu’infertile pour des raisons qui visiblement sont bassement politiciennes.
Il n’est point besoin d’être géologue pour s’apercevoir qu’il traîne avec lui un inexplicable limon, propre à fertiliser un chauvinisme anachronique, lequel l’amène à s’en prendre injustement à une femme d’honneur qui ne fait que remplir, avec un courage et une opiniâtreté qui lui valent d’ailleurs l’estime de l’opinion, la mission pour laquelle on l’a élue.
Obsédé par la gouvernance, il écrit – et il semble y tenir obstinément – qu’il faut acter « le principe de l’alternance entre les deux pôles à chaque renouvellement de présidence. » C’est son obsession. On peut la lui concéder, mais alors, pourquoi ne pas attendre que la présidente actuelle termine son mandat, comme l’a décidé d’ailleurs la Secrétaire d’État ? Non. Il ne veut rien savoir, et il en fait une affaire de principe : l’origine des présidents à venir prime sur la compétence.
Je fais néanmoins ici remarquer que depuis des années, les ministres des Outre-mer, ainsi qu’on les désigne, ont été successivement Mme Penchard, M. Lurel lui-même et Mme Pau-Langevin, tous d’origine guadeloupéenne, sans que cela n’ait provoqué aucun émoi en Martinique. Car tout cela est, en réalité, dérisoire.
Dans la frénésie inventive des arguments, j’entends celui-ci avec intérêt et curiosité : la présidente élue de l’UAG ne pourrait demeurer à son poste du fait de la disparition de la Guyane du champ de la nouvelle université des Antilles. Mon imagination, toute aussi inventive, m’a poussé à envisager le cas de figure suivant : soit un président de région élu par une population résidant sur un territoire. Deux entités de ce territoire – mettons par exemple Saint Barthélémy et Saint Martin – sortent du champ de compétence du président de région parce qu’elles ont choisi d’être érigées en collectivités d’outre-mer. Faut-il remettre en question l’élection du président de région et mettre fin à son mandat ? Je laisse les lecteurs mesurer à quel point certains ont la mémoire courte.
Quant à faire porter la responsabilité de la crise actuelle de l’université, comme le suggère M. Lurel, à une présidente qui n’est aux affaires que depuis quelques mois, il y a là une évidente mauvaise foi. Je rappellerai que les deux rapports de la Cour des Comptes, le rapport du Sénat et le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration de l’Éducation Nationale et de la Recherche (IGAENR) font remonter les dysfonctionnements de cette université à une quinzaine d’années. Je rappellerai également que Mme Jacqueline Abaul, Présidente de l’UAG de 1998 à 2001, avait tenté de mettre bon ordre à ces dysfonctionnements et qu’on avait pratiqué à son égard l’exclusion par l’hommage en la nommant en juillet 2001 Rectrice de l’Académie de Caen.
M. Lurel, comme d’autres, a donc opportunément la mémoire courte.
Irascible devant sa propre impuissance – mais n’est-il pas le champion de assimilationnisme tardif – il chute dans l’insignifiance tragique. Tragique, car des milliers de parents en Guadeloupe et en Martinique, qui n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants accomplir leurs études à 7000 kilomètres, attendent et espèrent pouvoir disposer d’une université crédible et pérenne qui n’a de sens que si elle repose sur une saine collaboration entre les deux îles. Monsieur Lurel n’y contribue nullement.
Heureusement, par delà ces folles dérives, nos entendements, aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe où sont nombreux ceux qui ne partagent pas le point de vue de M. Lurel, possèdent cet admirable discernement qui nous amène à comprendre que ce n’est qu’ensemble que nous pourrons peut être, par un sursaut salutaire, réenchanter le monde d’une jeunesse qui nous le demande avec insistance.
André LUCRECE
Écrivain
Docteur en sociologie