L’habitation GRADIS  à Basse-Pointe change de nom

Une initiative de la Collectivité Territoriale de Martinique

Le Centre culturel de la Collectivité Territoriale de Martinique, sis Habitation Gradis à Basse Pointe, Rue Marcé Bedoin, a reçu le 7 août 2020 son nom de baptême, qui sera porté à son fronton, la dénomination officielle devenant : Centre culturel – Tiers-Lieu Antoine TANGAMEN dit « ZWAZO ».

Un choix en forme d’hommage, rendu à celui qui représente les descendants des Indiens de Martinique, à Basse-Pointe, ce « berceau de l’Indianité » ; hommage rendu aussi à tous « ces Martiniquais d’origine Indienne, dont les nombreux apports participent de la richesse de la culture martiniquaise ». La cérémonie de dénomination s’est déroulée en présence du président du Conseil exécutif de la CTM, Alfred Marie-Jeanne, du maire de Basse-Pointe, Marie-Thérèse Casimirus, de la Conseillère exécutive en charge du Patrimoine et de la Culture, Marie-Hélène Léotin, et des membres de la famille d’Antoine Tangamen. Était présente aussi au dévoilement de la plaque, l’Association culturelle Martinique Inde (ACMI).

Un reportage complet sera proposé dans le journal France Antilles du lundi 11 août 2020.

Le personnage élu

Antoine Tangamen dit « Zwazo » (1902-1992), fut l’un des derniers prêtres hindous pratiquant la langue tamoule (le Tamil, langue originaire du Sud de l’Inde). Il a grandi et passé toute sa vie sur l’habitation Gradis, où il a exercé différents métiers, avant d’en devenir le commandeur durant plus de trente ans. Il fut, dit encore la CTM, « un témoin indiscutable des mutations de la société d’habitation du XXe siècle ».

Prêtre particulièrement respecté dans la communauté indienne, il officiait dans les nombreux temples hindous de la Martinique. Il a aussi participé à la conservation et à la transmission des rites et des chants du pays d’origine de ses ascendants. 

L’Habitation Gradis 

L’habitation Gradis, ou habitation Prunes, est une ancienne habitation sucrière située sur la commune de Basse-Pointe. Jusqu’à l’abolition définitive de l’esclavage en 1848, la production était principalement assurée par des esclaves.

L’ancienne maison de maître abrite aujourd’hui le Centre culturel du Grand Nord, lieu d’apprentissage de l’art et du théâtre, en passant par la danse et la musique.

Antoine Tangamen fut commandeur sur l’habitation. Quel était le rôle du commandeur aux Antilles ?

Le mot «commandeur», dans cette acception propre aux Antilles, apparaît pour la première fois dans un texte du Révérend Père Jean-Baptiste du Tertre¹au 17°siècle : « Dans ce sens particulier […], mandare, manum dare, c’est proprement mettre en mains. Le commandeur est la main du maître, qui par cette délégation se trouve séparé de sa conscience. Le commandeur comble la distance entre l’habitant et sa terre, il est son substitut vis à vis de ceux qui la travaillent. Sa fonction [à l’époque esclavagiste] consiste à obtenir du travail de gens qui n’y sont incités par aucune motivation ».

Autres définitions postérieures : « Les commandeurs sont l’âme d’une habitation ; il dépend d’eux que les esclaves qu’ils dirigent aient un bon esprit et se conduisent bien : s’ils y travaillent avec succès, ils méritent des récompenses ; mais dans le cas contraire, le planteur peut s’en prendre hardiment à eux, car le dérangement de l’atelier ou son indolence ne sont que le fruit de l’incapacité ou des mauvaises manœuvres des commandeurs […]. Quand il n’y a point d’économe sur une habitation, le maître commandeur doit avoir la même portion d’autorité sur les autres esclaves, excepté, dans tous les cas, les domestiques qu’un planteur doit distinguer des autres esclaves, afin de leur inspirer un esprit de corps qui les lui attache et les éloigne des autres esclaves»  Dans la plantation martiniquaise post-esclavagiste, le commandeur gardait des prérogatives considérables. En plus de contrôler le travail fourni, il donnait un avis déterminant pour l’embauche des ouvriers agricoles. Or en ce temps-là, pour pouvoir manger, il fallait travailler ».

Pour en savoir davantage : 

Un ouvrage documenté de Gerry L’Étang et Victorien Permal est paru en 2018 aux « HC Éditions », à Paris : « Zwazo / récit de vie d’un prêtre hindou, commandeur d’habitation à la Martinique »

Les auteurs :

Gerry L’Étang, né en 1961 à Fort-de-France, est ethnologue à l’Université des Antilles (Martinique).

Victorien («Toto») Permal, fils d’un prêtre hindou de Guadeloupe, est né au Moule en 1950. Établi en Martinique depuis 1973, il y a été longtemps enquêteur.

La présentation, selon la quatrième de couverture :

Cet ouvrage est le récit de vie d’Antoine Tangamen, dit Zwazo (1902-1992). Sa compétence en matière d’hindouisme à la Martinique en fit l’interlocuteur principal de ceux qui s’intéressaient à cette religion. De ceux qui, ethnologues ou non, pressentaient qu’avec lui disparaîtrait tout un monde. Et surtout de ces dévots qui se pressaient la semaine devant sa porte pour le prier d’organiser leurs cérémonies. Car le dimanche, quand s’arrêtaient les tambours cultuels, l’homme dialoguait avec des dieux. Il a également vécu un siècle de reconfiguration hindoue, de condition indienne, de créolisation indienne dans un espace plantationnaire, une habitation du nord de l’île dont il fut un rouage essentiel : un commandeur, contremaître des récoltes de canne à sucre. Grand témoin d’un siècle et de ses mutations, il nous laisse ce document.

Lire des extraits, parus dans Présences de l’Inde dans le monde, ouvrage sous la direction de Gerry L’Etang (GEREC/Presses universitaires créoles/L’Harmattan, Paris, 1994)

De 1986 à 1990, Gerry L’Étang et Victorien Permal recueillirent le récit de vie d’Antoine Tangamen dit Zwazo. Dernier grand tamoulophone de Martinique, détenteur de la mémoire indienne et hindoue de l’île, ce maître du sacré est décédé en 1992. Les extraits qui suivent, traduits du créole, ont été publiés en 1994.

— Un site retrace une courte biographie ainsi que l’historique du nom Tanganem

« Deux univers auront coexisté en lui, Antoine Tangamen, l’univers de la plantation martiniquaise post-esclavagiste et l’univers cultuel. Il est l’interlocuteur incontournable de tous ceux qui s’intéressent à l’hindouisme martiniquais. Il a vécu un siècle de reconfiguration hindoue, de condition indienne dans un espace plantationnaire du nord de la Martinique ». 

Sur l’île, d’autres hommages à  Antoine Tangamen

Détenteur de la mémoire collective indo-martiniquaise, Antoine Tangamen a fait précédemment  l’objet de deux hommages en Martinique. Son nom a été donné à une salle du collège Jacqueline-Julius (autrefois nommé Godissard, du nom de ce quartier périphérique de la ville de Fort-de-France), et à une rue de Basse-Pointe, à l’entrée du quartier Tapis Vert.


  1. Né en 1610 à Calais, Jacques Du Tertre rejoint les ordres Dominicains à l’âge de 25 ans et y adopte le prénom de Jean-Baptiste après une vie déjà bien remplie : d’abord marin puis soldat avant de rejoindre les ordres et enfin botaniste, autant d’expériences utiles pour ses missions en tant que père.