Le Palmarès du Festival Les Révoltés du Monde 2021

Découvrir par le Festival ces choses qui nous restent inconnues…

– par Janine Bailly –

« Tant que nous aurons un cœur, nous nous battrons pour un avenir meilleur, pour un monde plus juste ! » : la phrase entendue dans une bouche adolescente, lors de la cérémonie de clôture, pourrait bien être la devise du Festival. Elle nous convaincrait, s’il le fallait encore, de l’engagement de notre jeunesse, non seulement pour que vive le cinéma, mais encore pour que progresse le monde vers un avenir plus lumineux.

Le Jury du Grand Prix a d’abord isolé un trio de tête, Restituer l’Art africain, les fantômes de la colonisation / Toni Morrison et les fantômes de l’Amérique / En route pour le milliard, de Dieudo Hamadi, ce dernier ayant finalement eu la préférence. Ainsi que l’a dit Marijosé Alie en décernant le prix, il s’agit d’un documentaire « dérangeant, authentique et sans concession, filmé au plus près des gens, on y trouve le pire et le meilleur de l’humain, et le voir nous pousse à nous interroger sur l’intégration, ou la non intégration,  des personnes handicapées dans notre société… »

Ce même jury a exprimé son coup de cœur pour Ophir, d’Alexandre Berman et Olivier Paulet, un film puissant, qui retraçant le combat des habitants de Bougainville, une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée, située dans le sud-ouest de l’Océan Pacifique, nous mène hors de notre zone de confort, jusqu’au bout du monde… Cette lutte contre la Bougainville Copper Ltd (BCL), qui sous le contrôle d’une firme australienne exploitait la mine de Panguna, – la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde –, a abouti en 1989 à la fermeture de l’exploitation, conséquence des actions de sabotage menées par l’Armée révolutionnaire. Mais la bête toujours renaît de ses cendres, et voici qu’une nouvelle loi minière prétendrait autoriser la reprise des extractions, dans un pays déjà ravagé, martyrisé par les engins monstrueux qui violent le sol… Les plans sont larges sur les paysages détruits, les bâtiments abandonnés qui défigurent l’île,  les machines rouillées, et le spectateur s’indigne, partage le sentiment de révolte de ceux qui témoignent, et dont les visages expressifs sont saisis par la caméra, toujours dans le respect et la dignité… Cette révolte, c’est une leçon de courage, de ténacité, et d’écologie aussi ! Une résistance aux décisions des puissants, quand elles sont iniques et résultent de la collusion entre les forces économiques et politiques d’un pays, ou du colonisé avec son colonisateur. « Autrefois les lois étaient inscrites sur les feuillets du cœur et de la conscience », déclare un sage, et « l’homme était gardien de la nature ! »

Le Prix du Meilleur Film Caribéen est allé à Massacre River, de Suzan Beraza, « une œuvre parfaitement aboutie », qui au travers d’un beau portrait de femme nous interpelle, non seulement sur la place de Haïti dans le monde, sur le partage d’un territoire en deux états frères ennemis – séquelle de la colonisation –, mais de façon plus générale, sur tous les problèmes d’immigration qui  aujourd’hui déchirent le monde.

Le Prix Jeunes a été quant à lui décerné par une délégation de filles et de garçons venus du Lycée de Bellevue, où sous l’égide de Monsieur Zonzon, ils participent à l’option cinéma. Les trois porte-paroles du groupe ont su, sans arrogance mais avec une belle assurance, nous communiquer leur ressenti, nous faire partager leurs émotions. Chloé a  présenté Massacre River, « une histoire peu connue, une scène finale très belle et bouleversante ». Dans En route pour le milliard, Éthan a vu un modèle de courage et de persévérance, des personnages attachants ; songeant à l’aspect technique, il a aussi été sensible aux difficiles conditions de tournage, sur le fleuve, dans les tempêtes notamment. Enfin, c’est Marine qui eut l’honneur d’annoncer le film lauréat, celui qui a emporté tant de cœurs dans son sillage, Soul Kids, de Hugo Sobelman, parce qu’il donne « aux jeunes la chance de s’exprimer, de dire les choses grâce à la musique, d’expliquer leurs points de vue sur les cases dans lesquelles on les met. »

Soul Kids, par ailleurs en lice avec Ophir pour le coup de cœur du Jury Adulte, est le grand gagnant de la soirée puisqu’il emporte le Prix du Public, devançant deux autres favoris, Restituer l’Art africain, les fantômes de la colonisation, et les deux épisodes de Ku KLux Klan, une histoire américaine, de David Korn Brzoza, véritable leçon d’histoire sur la naissance, la disparition, le re-surgissement de cette hydre à têtes multiples, de cette organisation raciste et terroriste, et ce de l’après Guerre de Sécession jusqu’à nos jours. Un succès indéniable pour Soul Kids, qui s’explique par le ton du documentaire, résolument optimiste et tourné vers l’avenir. On y découvre des adolescents des deux sexes, issus de la communauté afro-américaine, originaires de quartiers plutôt défavorisés de Memphis, et qui se forgent une identité au sein de la Stax Music Academy. Là, sous la férule bienveillante d’adultes, chaleureux tout autant qu’intransigeants sur la qualité des interprétations proposées par ces chanteurs en herbe, ils découvrent la musique soul des années soixante, mais aussi la prégnance des luttes que leurs prédécesseurs ont dû mener pour conquérir leurs droits civiques. Une façon de trouver son identité, d’assumer qui l’on est, de se forger un futur, à raison de deux heures par jour après les cours ordinaires… Le documentaire nous dit que la musique est aussi une arme de résistance. Mais si elle porte des enjeux qui peuvent être politiques et financiers, pour ces garçons et ces filles engagés et solidaires, elle semble être avant tout créatrice de bonheur, génératrice de réflexion : outre les moments consacrés à son apprentissage, le plus impressionnant étant celui où en groupes il s’agit de créer sa propre chanson en prenant en compte toutes les individualités, la caméra enregistre des débats sans fard qui portent  sur les problèmes intrinsèques à toute vie sociale aujourd’hui : comment vivre dans le respect de l’autre, quelle que soit notre couleur de peau, comment accepter la différence… Comme est émouvante la confidence cette jeune fille, triste d’être sujet de moquerie en raison de ce qu’elle nomme des “absences” consécutives à un accident, et qui laissera s’échapper des larmes pudiques et douloureuses ! S’il s’attache plus particulièrement à suivre certains de ces élèves, le film se veut une œuvre chorale, chacun y trouve sa place et tous sont impliqués, capables selon le moment de sérieux ou de légèreté, de concentration ou de sourires… Une ode optimiste à la jeunesse et à la liberté  !

Une belle cinquième édition, et quand ce dimanche soir s’inscrit le mot “fin” sur les chants du documentaire de France Swimberger, Aretha Franklin, Soul sister, on ose se féliciter qu’en dépit des vicissitudes de l’époque, la transmission des choses essentielles soit de bien des façons assurée ! J’en veux pour preuve la concordance inattendue des choix faits par les adultes et les adolescents !

P.S : Pour deux des trois films primés, En route pour le milliard et Massacre River, les critiques ont déjà été publiées précédemment, au cours du Festival,  dans Madinin’art.

Fort-de-France, le 28 juin 2021