Ce que la ville de Rennes doit à Louis Arretche

Qui sur notre petite île de la Martinique ne connaît Michèle Arretche, résidente aux Trois-Îlets, la très dynamique présidente du groupe Pabe, qui depuis qu’elle a quitté la vie dite “active” se consacre à sa passion de toujours, les arts plastiques, et régulièrement nous régale d’expositions originales, organisées au nom du groupe ou au sien propre ? Pas étonnant si l’on sait qu’elle a de riches antécédents : en effet, son père n’a-t-il pas, entre autres œuvres, contribué à façonner la ville de Rennes, au cœur de la Bretagne ?

Un article du journal en ligne 20minutes vient nous rappeler que, dans la capitale bretonne, de nombreuses constructions sont signées de l’architecte Louis Arretche, né dans les Landes en 1905 et décédé à Paris en 1991. Malgré la présence de plusieurs bâtiments singuliers, comme le centre des télécommunications de La Mabilais, la salle omnisports du Liberté ou la Tour de l’Éperon, son nom semble être ignoré dans la cité. Ce vendredi 25 juin 2021, l’oubli serait en partie réparé grâce au dévoilement d’une plaque commémorative, en hommage à celui qui a œuvré après la Seconde Guerre Mondiale à la renaissance de villes sinistrées : il est nommé architecte en chef de la reconstruction de Coutances en 1944 et de Saint-Malo à partir du 14 mai 1947, puis architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux en 1955. Pour les villes de Rouen, Rennes, Orléans et Cachan, il devient urbaniste et urbaniste conseil.( source Wikipédia) 

À Rennes tout le monde connaît les constructions de Louis Arretche, l’un des plus prolifiques architectes des Trente Glorieuses en France, même si son nom reste trop méconnu. On lui doit des quartiers entiers, Le Colombier et sa dalle, l’aménagement de la ZUP de Villejean – dont nous avons eu la chance de fréquenter assidûment la faculté. Des milliers d’étudiants ont aussi profité du campus de l’Université Rennes 2, ou de celui de Beaulieu, marqué par les espaces verts à la façon des campus américains, des lieux qu’il avait imaginés. C’est Nathalie Appéré, maire de la ville, qui a charge et honneur d’inaugurer la plaque, à l’occasion du 45e anniversaire de la tour de l’Éperon, avant la tenue d’une conférence, lundi, sur ce thème. Elle déclare que « cette plaque est une initiative des habitants. Ils sont fiers d’habiter dans cette tour qui possède encore une forte modernité. C’est une manière de rendre hommage à Louis Arretche pour toutes ses constructions. » 

Depuis son appartement du seizième étage, Joël Gautier a, lui, une vue imprenable sur l’emblématique tour du quartier Colombier. Cet ancien architecte a bien connu Louis Arretche à ses débuts, quand il était son Directeur d’études aux Beaux-Arts, à Paris. Il nous le présente par ces mots : « J’ai du respect pour l’homme et l’enseignant qu’il était. C’était un grand professionnel, qui avait une totale maîtrise de ses projets. Sa mission était celle de la reconstruction. Il fallait faire vite et bien. Arretche était très prolixe, il a énormément construit car il a su s’associer ». Mais pourquoi un homme qui a autant produit, qui a reçu une commande publique si importante, est-il si peu connu des néophytes que nous sommes ? Selon son ancien élève encore, Louis Arretche « s’adaptait au contexte local. À Saint-Malo, il a choisi le granit, pour le palais du Grand Large  notamment – qui aujourd’hui abrite avec bonheur le Festival Étonnants Voyageurs –, mais à Rennes il a préféré des panneaux préfabriqués pour le Colombier, des voûtes de béton pour le Liberté. Il n’a pas vraiment de signature, contrairement à d’autres comme Le Corbusier. Il n’a pas réellement d’écriture, c’était un pragmatique. »

Par ailleurs, Joël Gautier loue les qualités de son ancien maître. Et notamment certains choix visionnaires, qui ont conduits à des réalisations originales et novatrices, dans les années 60. « À Beaulieu, on peut toujours construire sans perturber le projet initial. Le campus peut évoluer, les nouvelles constructions viennent parfaitement s’intégrer ». Alors que la lutte contre le réchauffement climatique est devenue une priorité, on regrettera simplement la pauvreté des capacités thermiques du patrimoine étudiant. Quant au quartier du Colombier, l’un des symboles de l’urbanisme appelé « sur dalle », aujourd’hui révolu, il souffre du poids des années. La faute, notamment, au rabotage du projet initial où trois tours étaient envisagées, or la société chargée de commercialiser les premiers logements avait essuyé tellement de galères qu’elle a préféré s’en tenir à un seul immeuble. « Le problème, c’est qu’on a abandonné le projet d’Arretche et qu’on a bricolé. Le quartier devait être ouvert sur la ville. Au lieu de ça, on a tout fermé petit à petit », dit encore Joël Gautier. Depuis plusieurs années, la municipalité travaille à la transformation de ce quartier emblématique et des centres commerciaux Colombia et Trois Soleils. Mais la ville concède que le sujet est très complexe (…)

À moi, bretonne d’adoption venue du fond de sa province lorraine, il reste le souvenir d’un lieu différent dans la ville, qui me semblait, peut-être naïvement, d’avant-garde. J’aimais m’y rendre le mercredi, jour de congé où je quittais la campagne proche pour la ville et ses merveilles : que de films ai-je vus alors dans les salles de cinéma au nom éponyme, devenues ensuite le complexe Cinéville, et qui après quarante-six ans de bons et loyaux services ont baissé définitivement le rideau ! et que de repas pris sur la dalle dans l’un ou l’autre des lieux de restauration ! sans oublier de faire un petit détour par le bureau de tabac, le centre commercial, les rayons livres et disques de la FNAC, alors en pleine expansion ! Et puis s’y tenait le Marché de Noël ! Nostalgie d’un temps passé… Il reste à souhaiter qu’en dépit des contraintes nombreuses, la ville puisse réaménager de belle façon son espace, sans porter atteinte au patrimoine architectural qui lui a été légué !

Au Phakt, le centre culturel créé dans ce quartier en 1986, l’artiste Vincent Malassis exposait en décembre 2020 ses travaux photographiques. Arpentant la dalle et les immeubles du Colombier pendant plusieurs mois, il avait, outre ses clichés, collecté la mémoire des premiers habitants du quartier : « Quand les premiers habitants sont arrivés, c’était le futur ici. C’était la fierté de la ville ». Yvette, l’une des résidentes installée dans son appartement inchangé depuis 1975 lui confie, elle qui avait hésité à suivre son mari dans cet immeuble mais qui aujourd’hui ne regrette pas sa décision : « Je m’y plais toujours autant. Et je n’ai surtout pas envie de déménager ». N’est-ce pas le principal, vivre bien là où l’on est ?

Et pour connaître plus en détails l’œuvre de Louis Arretche, un Landais en Bretagne : le passé, le présent, le futur, se reporter à l’article de Thomas Perrono : « Reconstructeur d’un passé repensé pour le présent à Saint-Malo, ou bien constructeur d’un présent tourné vers le futur à Rennes, il nous est forcé de reconnaître que Louis Arretche laisse une œuvre considérable en Bretagne, malgré la faible notoriété dont il jouit de nos jours. »

Enfin, à lire, Louis Arretche, de Dominique Amouroux, auteur qui conjugue lui-même un travail de critique d’architecture contemporaine et d’historien de l’architecture du XXe siècle (Wikipédia) : une biographie publiée dans la collection Carnets d’architectes, aux Éditions du Patrimoine, et dont je retranscris in extenso la présentation et le sommaire : « Saint-Malo, le quartier du Marais et la passerelle des Arts à Paris, l’usine marémotrice de la Rance, l’église Sainte-Jeanne-d’Arc à Rouen ont en commun une seule et même signature, celle de Louis Arretche (1905-1991). Premier ouvrage jamais publié sur son oeuvre, cette monographie convie à la découverte d’un architecte prolixe, impliqué dans tous les grands chantiers de la seconde moitié du XXe siècle : la reconstruction, la rénovation et l’extension des villes, l’édification des campus, les infrastructures électroniques, la société des loisirs, le renforcement des équipements urbains. C’est depuis Paris, où il enseignait, qu’il exerça pleinement son influence d’architecte et d’urbaniste dans de nombreuses régions françaises, dont la Bretagne. »

SOMMAIRE :
– Arretche, un réaliste à l’oeuvre
– Marine marchande, Saint-Malo : Arretche et la reconstruction
– Faculté des Sciences de Nantes : Arretche et l’éducation
– Quartier du Colombier à Rennes : Arretche et la rénovation urbaine
– La serre du parc floral Orléans La Source : Arretche et les jardins
– Le Celar à Bruz : Arretche et l’armée
– La Côte des basques à Biarritz : Arretche et les loisirs
– Église Jeanne d’Arc, Rouen : Arretche et l’église
– Passerelle des Arts à Paris : Arretche et les ouvrages d’art
– MSA Perpignan : Arretche et le tertiaire
– Répertoire régional des œuvres

Janine Bailly,  Fort-de-France, le 28 juin 2021