L’autre… commémoration

— Par Marie-Hélène Léotin, historienne —

felix_eboueIl y a 70 ans, le 17 mai 1944, Félix Éboué décédait au Caire à la suite d’une congestion pulmonaire, lors d’un voyage en Syrie et en Egypte. Félix Eboué était un Guyanais, administrateur des colonies, gouverneur général en Afrique équatoriale française (AEF), compagnon de la Libération ; ses cendres reposent au Panthéon. L’aéroport de Cayenne, le plus grand lycée de Cayenne, la grande salle de la préfecture de Fort-de-France portent son nom. Il a fait carrière dans l’administration des colonies en Martinique, en Guadeloupe, au Soudan français, au Tchad⋅
« Jouer le jeu⋅ A cette jeunesse que l’on sent si inquiète, si incertaine devant les misères de ces temps qui sont les misères de tous les temps. Je vous dirai à mon tour : « Jouez le jeu »⋅ Jouer le jeu, c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser ; c’est pratiquer le jeu d’équipe avec d’autant plus de ferveur que la notion de l’indépendance vous aura appris à rester libres quand même… »
Ce sont les paroles prononcées par Félix Eboué, le 1er juillet 1937, devant la jeunesse lycéenne guadeloupéenne, lors de la cérémonie de distribution des prix au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre. La Guadeloupe, la Martinique sont frappées à cette époque par la grande crise économique qui touche une grande partie du monde et nous sommes deux années avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Ces mots de Félix Eboué résonnent à leur manière aujourd’hui : prendre ses responsabilités, rester libres, la notion de l’indépendance, à l’heure où l’on célèbre le débarquement en Normandie en juin 1944 et la Libération de Paris en août 1944. Nous avons le devoir de nous rappeler les paroles de ce grand Résistant guyanais qui n’a pas eu le temps de voir les dernières phases de la guerre.
Félix Eboué n’a jamais oublié qu’il était descendant d’Africains déportés en Guyane lors de la période esclavagiste. Il était membre de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen, une ligue qui menait le combat contre la politique d’assimilation en Afrique.
JOUER LE JEU
Lorsque la guerre éclate en 1939-1940, Félix Eboué a été le premier gouverneur à proclamer le ralliement d’un territoire français, le Tchad, à la France Libre du général de Gaulle (octobre 1940). Il a pris ses responsabilités et a été pour cela condamné à mort par le gouvernement de Vichy. En offrant à la France combattante un territoire et une armée, Félix Eboué a donné à de Gaulle une légitimité aux yeux des Alliés anglais et américains.
En janvier 1944, lors de la Conférence de Brazzaville, Eboué a fait des propositions de réformes pour les colonies : une décentralisation et un éventuel gouvernement autonome après la guerre, dans les grands territoires d’Afrique et d’Asie, sur le modèle britannique. Il n’a pas été suivi. Là aussi, ces mots résonnent à leur manière aujourd’hui.
Jouer le jeu, pour nous Martiniquais aujourd’hui, c’est renforcer notre cohésion, c’est apporter à notre jeunesse une éducation saine afin de faire face aux périls. Le chemin est long, mais il n’est pas question d’arrêter le cheminement du peuple martiniquais vers plus de responsabilité.
Oui, il faut rendre hommage aux soldats débarqués en Normandie, en Provence, dont parmi eux beaucoup venus des colonies. Il faut aussi rendre hommage à Félix Eboué qui, au-delà de ses habits d’administrateur colonial, avait une certaine vision pour transformer les rapports entre les territoires dominés et la métropole coloniale. Il y a 70 ans, c’est une autre commémoration dont n’a pas beaucoup parlé en ce mois de mai 2014.
Marie-Hélène Léotin, historienne

Mardi 08 juillet 2014

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