Jeux de Sotchi 2014 : nous ne serons pas complices !

—Par Jean-Marie Brohm (Professeur émérite de sociologie à l’université Montpellier III) et Fabien Ollier (Directeur de la revue Quel Sport ?)—

flamme_olympiqueNul ne peut plus l’ignorer aujourd’hui, Vladimir Poutine organise les Jeux olympiques d’hiver dans la droite ligne de toutes les dictatures qui ont instrumentalisé les grandes manifestations sportives. Ses objectifs sont clairs : − Restriction des libertés civiles et contrôle militaro-policier des espaces publics et privés au nom de la « paix olympique ».
− Extension des zones d’influence géopolitique et économique grâce aux investissements olympiques pharaoniques.
− Médiatisation à haute dose du grand show sportif en tant qu’opération de propagande que le parcours de la flamme olympique a portée à son paroxysme.
− Endoctrinement et obnubilation nationalistes de la population par la promotion de champions d’État transformés en vitrines publicitaires.
− Durcissement autoritaire du pouvoir, des services de sécurité et des groupes supplétifs qui bafouent les libertés démocratiques élémentaires avec la complicité des partenaires économiques.

Il en fut ainsi en 1936 lors des Jeux de la croix gammée à Berlin, en 1980 lors des Jeux du goulag à Moscou, en 1988 lors des Jeux de l’ordre militaire à Séoul, et en 2008 lors des Jeux du laogaï à Pékin.

À présent, soutenu par l’oligarchie olympique, Vladimir Poutine engage cyniquement tous les moyens pour faire des Jeux d’hiver la vitrine propagandiste de sa souveraineté, le cheval de Troie de ses conquêtes territoriales aux portes du Caucase et le paravent de ses atteintes répétées aux droits de l’Homme. Les dépenses mégalomaniaques qui ont été engagées – près de 50 milliards de dollars sur fond de corruption généralisée – sont une insulte à la misère du monde. La réduction à un esclavagisme moyenâgeux des ouvriers migrants bâtissant les sites de Sotchi est un scandale couvert par le CIO, à l’instar de la FIFA au Qatar. La dévastation, la pollution, l’exploitation de milieux naturels protégés réduit à néant la fable mystificatrice des Jeux « durables ». L’expropriation et l’extorsion de milliers d’habitants de la région est l’apogée d’un nihilisme juridique constant depuis 2007. Le quadrillage ultra sécuritaire de Sotchi et de ses alentours, la promulgation de l’état d’urgence en zone olympique (interdiction de manifester, surveillance de toutes les communications, mesures antiterroristes), l’intimidation et la persécution des journalistes et des ONG qui viennent enquêter sur les « côtés sombres » des JO sont autant de mesures draconiennes qui s’ajoutent aux lois sociales liberticides, à la pénalisation de l’homosexualité, à la violence en colonie pénitentiaire (songeons à Nadejda Tolokonnikova et Maria Aliokhina des Pussy Riot, ou à la Tchétchène Zara Mourtazalieva), à la psychiatrisation punitive de certains prisonniers politiques (comme Kosenko, l’un des « prisonniers du 6 mai ») et à la détention brutale des militants de Greenpeace. La libération de Mikhail Khodorkovski et des deux Pussy Riot Nadejda Tolokonnikova et Maria Aliokhina est une manœuvre tactique qui ne trompe personne. Elle sert à assurer le triomphe sans ombre du cirque olympique de Poutine par un coup de communication sur la « magnanimité » d’un pouvoir tout-puissant, qui fait et défait à son gré les destinées des individus. Vladimir Poutine supervise ses Jeux comme il mène ses guerres, avec violence et cynisme. Le CIO et tous les partisans du « sport apolitique » qui encensent son projet olympique entérinent ainsi, par leur silence ou leur adhésion aveugle, ses volontés de domination.

Dans une telle situation, aller à Sotchi ce n’est pas simplement se rendre dans une enceinte olympique, c’est cautionner les dérives dictatoriales du Kremlin déjà dénoncées par certaines instances européennes. Est-il dès lors moralement acceptable d’invoquer le « droit » des athlètes à « réaliser leurs rêves » au prix d’une présence complice au banquet olympique d’un autocrate sans scrupule ? Est-il souhaitable que les démocraties occidentales sacrifient une fois encore les valeurs humanistes et les droits de l’Homme sur l’autel des performances sportives et des intérêts des multinationales ? Évidemment non ! Entendons le courage et la détermination exemplaires de Nadejda Tolokonnikova et Maria Aliokhina qui, à peine libérées et au péril de leur vie, se sont prononcées « pour le boycott des Jeux olympiques d’un pays qui a le visage d’un camp » et ont invité les gouvernements européens à en faire autant !

Considérant qu’il n’est pas admissible de se compromettre avec le régime de Vladimir Poutine, nous appelons : − L’Union européenne, les gouvernements européens et les ministères des sports à ne pas cautionner par leur présence les cérémonies officielles d’ouverture et de clôture des Jeux.
– Les organisations sportives (CNOSF, Fédérations) à ne pas collaborer avec l’appareil d’État russe qui a fait du sport olympique un système politique d’embrigadement.
− Les athlètes à assumer pleinement leur rôle de citoyens en refusant de devenir les gladiateurs du cirque olympique russe. Soit en déclinant l’invitation à se rendre à Sotchi et en le faisant savoir. Soit en exigeant la libération de tous les prisonniers politiques et l’abrogation des lois liberticides et homophobes (appels, pétitions, conférences de presse, manifestations de soutien, etc.). Pas de compétitions sportives entre les camps de travail et les colonies pénitentiaires !
− Les partis politiques, les syndicats, les associations démocratiques, les organismes de défense des Droits de l’Homme et, au-delà, tous les citoyens, à boycotter la retransmission des Jeux et les partenaires commerciaux du CIO.
− Les journalistes à refuser d’être des caisses de résonance de la propagande poutinienne et à rendre compte de la situation réelle du pays.

Pour Sotchi comme pour Pékin, Séoul, Moscou ou Berlin auparavant, les vrais héros de l’olympisme seront ceux qui ne participeront pas à la légitimation d’une dictature.

Signataires
Jacques Ardoino, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris VIII ; Paul Ariès, Politologue, rédacteur en chef du mensuel Les Z’indignés ; Patrick Baudry, professeur de sociologie à l’université Bordeaux III ; Jean-Marie Brohm, professeur émérite de sociologie à l’université Montpellier III ; Jean-Pierre Durand, professeur de sociologie à l’université d’Evry ; Christian Godin, philosophe, maître de conférences à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand ; Claude Javeau, professeur émérite de sociologie à l’université Libre de Bruxelles ; Annie Le Brun, écrivain ; Alexandre Marcel, président du Comité international day against homophoby (IDAHO) France ; Isabelle de Montmollin, philosophe Léonard Moulin, économiste à l’université Paris XIII ; Fabien Ollier, directeur de la revue Quel Sport ? ; Robert Redeker, philosophe, chercheur au CNRS ; Louis Sala-Molins, professeur émérite de philosophie politique à l’université Toulouse II ; Pierre-André Taguieff, philosophe et politologue, directeur de recherche au CNRS ; José Artur dos Santos Ferreira, doyen de l’Institut de sciences sociales appliquées à l’université fédérale de Ouro Preto, Brésil ; René Schérer, professeur émérite de philosophie à l’université Paris VIII ; Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, professeur de philosophie de l’art à l’Académie royale des beaux-arts de Liège ; Magali Uhl, professeure de sociologie à l’université du Québec à Montréal

Jean-Marie Brohm (Professeur émérite de sociologie à l’université Montpellier III)

Fabien Ollier (Directeur de la revue Quel Sport ?