Femmes et Jazz : « C’est dans le jazz qu’on trouve le plus de gens qui pensent être progressistes et ne le sont pas »

Femmes et Jazz : On a parlé sexisme avec Sélène Saint-Aimé et Laura Perrudin

— Propos recueillis par Aude Lorriaux —

La contrebassiste Sélène Saint-Aimé et la harpiste et chanteuse Laura Perrudin sont invitées du festival Jazz à la Villette qui fait la part belle aux artistes féminines

  • Le festival Jazz à la Villette se tient à la Villette, à Paris, du 4 au 13 septembre 2020.
  • Il fait la part belle aux femmes et à la diversité.
  • Nous avons rencontré la harpiste et chanteuse Laura Perrudin et la contrebassiste Sélène Saint-Aimé, pour parler lune, sexisme et harpe électrique.

C’est un Jazz à la Villette reformaté aux couleurs du Covid, mais un festival tout de même, riche d’une programmation  qui fait cette année la part belle aux femmes.

20 Minutes a rencontré la harpiste et chanteuse Laura Perrudin et la contrebassiste Sélène Saint-Aimé, pour évoquer la place des femmes dans le jazz, et les difficultés qu’elles peuvent rencontrer (ou pas). Interview croisée dans le jardin de la Petite halle de la Villette, envahi par les guêpes.

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Jazz à la Villette programme beaucoup de femmes cette année, mais ça n’a pas toujours été le cas dans le jazz. Sentez-vous que quelque chose change ?

Sélène Saint-Aimé : J’ai l’impression que ça peut changer. Même si cela devient un sujet à la mode, alors qu’il y a toujours eu des femmes dans ce milieu-là. Peut-être qu’il y en a de plus en plus… Et c’est super. Peut-être que promouvoir plus de femmes permet plus de visibilité, et peut-être que des jeunes femmes voient d’autres musiciennes et se disent « Je veux faire la même chose ». Peut-être qu’il y a un effet boule de neige.

Laura Perrudin : C’est important que des jeunes femmes puissent s’identifier à des figures, c’est ce qui changera l’équilibre à long terme. J’ai quand même grandi avec beaucoup de figures masculines, et ce n’est pas forcément donné à toutes les filles de s’autoriser à s’identifier à des figures masculines.

C’est aussi une programmation très diverse, il y a beaucoup de personnes non-blanches. Est-ce que cela aussi a évolué ?

S. S-A : On met l’accent plus sur les femmes, plus sur la diversité, la société va dans le bon sens, c’est chouette. On peut noter aussi que souvent cela va à deux vitesses. Aux Etats-Unis, il y a un mouvement féministe et un autre mouvement féministe noir derrière, parce qu’au début du féminisme, les femmes blanches pouvaient dire « on veut l’égalité des salaires », et pendant ce temps-là les femmes noires n’avaient même pas accès aux choses de base. Elles se battaient en double. C’est un pays différent avec des circonstances différentes, mais cela me fait un peu penser à cela.

L. P. : Je me suis documentée sur le sujet des femmes, mais je connais moins la diversité dans le jazz, peut-être du fait que je suis blanche. Cela fait deux-trois ans que je commence à me poser la question. J’ai évolué très tôt dans un milieu masculin, donc j’ai été amenée à me poser des questions sur ce sujet des femmes. Puis c’est en lisant des réflexions féministes que j’ai commencé à faire le lien avec les différents axes de domination. Tout cela prend beaucoup de temps à déconstruire.

Est-ce que le milieu du jazz vous semble difficile à transformer de ce point de vue ?

L. P. : Le jazz est un milieu particulièrement masculin par rapport à d’autres milieux. Je suis aussi dans la pop, j’ai un orteil dans le milieu des musiques classiques, de la danse, du théâtre, et c’est très différent. Je suis aussi liée au milieu de la musique électronique et finalement dans tout cela j’ai l’impression que c’est dans le jazz qu’on trouve le plus de gens qui pensent être progressistes et ne le sont pas sur tous les plans. On joue une musique qui est historiquement chargée politiquement, chargée de combats pour l’égalité, comme si ça suffisait pour être quelqu’un qui tend à l’égalité naturellement, alors que ce n’est pas le cas. Je croise des gens qui se considèrent dans une lignée humaniste, quand ils ne le sont pas forcément.

S. S-A : Je suis assez d’accord. Mais j’ai des expériences différentes je pense. Je n’ai jamais été gênée, très sincèrement, par l’absence de femmes dans ce milieu-là. Comment expliquer cela ? (Elle réfléchit, prend une pause) Je suis assez à l’aise avec le sexe opposé donc ça n’a jamais été un problème. Effectivement je me suis dit « tiens il n’y a pas beaucoup de femmes dans ce milieu »… Mais je n’ai pas spécialement reçu de remarques sexistes, ou alors peut-être que je n’y prête pas attention, et que je suis dans un monde de bulle et de licornes. J’ai toujours été entourée de gens bienveillants et qui me disent : « travaille, ce que tu veux c’est qu’on parle de ta musique, et pas du fait que tu es une femme ». Tous mes mentors ont été que des hommes. Ils ont toujours été là à pousser et à dire : « Focalise-toi sur ton domaine, ton art. Essaie d’être au meilleur niveau possible ». J’ai souvent la question « alors vous êtes une femme, qu’est-ce que ça fait ? » ou « tu es une petite jeune femme, tu tiens ce gros instrument ? » et c’est gênant. Est-ce que j’arrive à soulever mon instrument ? C’est ridicule. On parle plus du genre que du message, ou de l’art…

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