Du lepénisme rampant chez quelques artistes martiniquais

— par Roland Sabra—

 

    Quelques remarques à propos d’une Lettre «des » artistes à nos responsables politiques » parue dans F-A du 06-juin 2012 et cosignée par une quinzaine de personnes. ( la liste a été compétée depuis)

 

1°) Le titre est en lui-même abusif. Il laisse entendre que c’est l’ensemble des artistes martiniquais qui s’expriment. Ils étaient 31 dans une première version, avec une absence remarquée des Arts plastiques. Le groupe a fondu de moitié. Pourquoi? Manque de notoriété de certains, désaccord sur la version finale? Au vu du petit reste de signataires il aurait fallu écrire « Lettre D’artistes… » ou plus justement « Lettre de quelques artistes ».  Les ego démesurés se mettent en scène.

 

2°) La demande de non-renouvellement intervient après l’exposition de deux types de griefs.

 

2-1 « Des pratiques et attitudes non conformes » qui résulteraient de « préjugés » de fonctionnaires hexagonaux en poste dans l’ile. Qu’en est-il de ces pratiques, nous n’en saurons rien. Le principal reproche pourtant sur l’origine, la provenance de ces fonctionnaires qui ne sont même pas « accompagnés de personnes ressources de notre territoire ». A bas les métèques ! Vive le Bleu Marine ! On n’est pas loin du délit de sale gueule. Comme si l’identité martiniquaise ou autre relevait de l’essence Comme si les signataires n’avaient jamais entendu Pierre Bourdieu remettre à sa place, au Val Fourré à Mantes-la Jolie un jeune magrébin qui revendiquait son origine Kabyle pour dénier au sociologue le droit de parler de la Kabylie. Pierre Bourdieu qui en connaissait un peu plus sur le sujet que la majorité des kabyles eux-mêmes ne manqua pas de rappeler. Comme si l’homogénéité entre l’analyste et l’objet d’observation était la condition sine qua non d’énonciation d’une vérité !La science , la connaissance ne sont pas infuses. Tristesse de devoir rappeler de telles banalités.

 

2-2 « Des méthodes à la limite du mépris au sein des « comités d’experts » dont le rôle est de se prononcer sur les financements des porteurs de projets. Le scandale selon les auteurs se love dans l’incapacité des diffuseurs de se faire leur propre jugement et donc de se laisser influencer par des critiques venues du froid. Mesdames et messieurs les diffuseurs, les programmateurs vous êtes des chiffes molles, des ventres mous, des mauviettes qui vous couchez devant le diktat des « hexagonaux !! Que ceux ci-partent et vous vous plierez enfin aux desiderata des vrais artistes, des artistes pure souche, des artistes du terroir sans avoir à prendre en considération la diversité des goûts et des désirs des publics.

 

Voilà les deux seuls arguments avancés pour demander le départ de la direction du CMAC ! Vient ensuite une recopie des missions d’une scène nationale puis une série d’antiphrases « notre courrier ne se veut pas grandiloquent mais concret ». Il n’y aura pas un seul exemple concret dans l’article mais peu importe. Le faire se satisfera du dire. L’ouverture à l’Altérité, constitutive de l’Identité, se résume dans cette revendication, ce déchirement, ce cri «  A quand un cadre martiniquais directeur d’une structure strictement ( martiniquaise?) dédié à la création artistique ( martiniquaise?). C’est nous qui soulignons et ajoutons les parenthèses.

 

On ne s’attardera pas sur l’affirmation selon laquelle « nos pratiques culturelles et artistiques irriguent et valorisent l’inconscient collectif martiniquais » en remarquant toutefois que c’est plutôt l’inconscient collectif, s’il existe et au sens de Jung, qui valoriserait et irriguerait nos pratiques. Mais bon la rigueur n’est sans doute pas la qualité première de cet opus.

 

Dernier élément, on ne peut plus cocasse est la plainte de ne pas avoir accès à des dispositifs qui existent au niveau national ( c’est-à-dire hexagonal, et dans ce cas le diable devient plus fréquentable)) faute d’une représentations des œuvres en nombre suffisant. Pourtant un mécanisme avait été mis en place, soutenu par la DAC, qui s’appelait « Scènes de Martinique ». D’abord le minimum de représentations exigées dans l’hexagone était baissé de moitié. Il n’a d’ailleurs jamais été pris en compte comme critère de rejet de financement s’il n’était pas atteint. Ensuite les services de l’Etat « hexagonal » prenaient en charge le défraiement des comédiens, des techniciens, de la Régie, de la location de salle, de la communication et des relations publiques. Seuls les metteurs en scènes n’étaient pas rémunérés au motif qu’ils avaient déjà été aidés au titre de l’aide à la création. Un tiers du travail devait se faire en éducation artistique en liaison avec les dispositifs de l’éducation nationale. Le tarif de 47 euros de l’heure proposé pour ces vacations a été jugé « méprisant » par la plupart des compagnies. Une subvention de 5000 à 8000 euros était versée aux communes en fonction du nombre de représentations. .Que certaines communes n’aient pas toujours reversé dans les temps et délais les sommes allouées est une réalité tout comme l’a été le mouvement d’opposition à ce dispositif jugé trop peu généreux par quelques directeurs et directrices de troupes. Résultat ce système de diffusion en commune des œuvres artistiques martiniquaises est aujourd’hui mort et enterré. Nombreux  sont ceux, parmi les signataires de la « Lettre à nos responsables politiques », qui, hostiles à ce dispositif de diffusion des œuvres en commune, ont participé à cet enterrement.

 

Pour éclairer le débat on aimerait que la DAC (ex DRAC) publie un bilan sur les cinq ans écoulés des subventions programmées, versées et des réalisations en regard.

 

Nous ne cherchons pas à défendre La Directrice du CMAC. Nous ne pasticherons pas le Président de SOS Racisme en écrivant  » Que cessent les attaques contre J.C. »

 

Elle a assez d’arguments pour ce faire et son bilan en terme de programmation (ouverture) et de fréquentation ( hausse) cette année semble parler pour elle. Non, ce que nous ne supportons pas c’est l’étroitesse d’esprit, la peur de l’Autre, le repli identitaire et toute l’idéologie nationaliste implicite contenus dans cette déclaration. Nous n’oublierons pas la leçon d’Edouard Glissant. Non, disait-il à l’Etat-nation oui à l’Etat-relation. La production artistique martiniquaise doit accepter de se confronter à ce qui se fait dans la Caraïbe et dans le monde. Tous les programmateurs ne participent pas au comité d’experts voués aux gémonies par les signataires du texte et bon nombre confient aux critiques leur manque d’appétence pour des spectacles qui ne semblent pas toujours être à la hauteur de leurs attentes et de celles de leurs publics. Bien des représentations manquent de professionnalisme. Il faut le reconnaître et le déplorer. Dans le domaine du théâtre par exemple la frontière est si ténue, si fragile, si floue entre amateurs et professionnels qu’elle pose le problème de la formation aux métiers des Arts de la Scène. Ce dont la Martinique a besoin c’est d’une Ecole des Arts pas d’un rabaissement des exigences camouflé sous sous une pseudo revendication identitaire. Le nationalisme aussi étroit soit-il ne peut servir de cache-sexe.

 

F-d-F, écrit le 07-06-2012 et modifié le 8-06-12

 

Roland Sabra