Covid-19 : « Déguiser un refus de vaccination en militantisme pour la défense de l’hôpital public nous semble de la mauvaise foi »

— Collectif —

Des médecins, infirmiers, aides-soignants et psychologues des secteurs hospitaliers publics et privés mais aussi de médecine de ville protestent, dans une tribune au « Monde », contre l’instrumentalisation de la crise de l’hôpital public par les manifestants hostiles à la vaccination obligatoire et au passe sanitaire.

 Ces derniers jours ont été marqués par des manifestations contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire. A cette occasion, nous avons relevé, chez les manifestants, comme sur les réseaux sociaux, ce qui se voudrait être un argument pour appuyer l’idée que se faire vacciner ne servirait à rien : la défense de l’hôpital public.

La justification serait la suivante : les gouvernements successifs détruisent l’hôpital public depuis des années ; le nombre de lits et les moyens se sont effondrés, tout cela au mépris de la santé publique ; commençons donc par réhabiliter l’hôpital et les conditions de soin pour mieux gérer les pandémies avant de forcer à la vaccination, disent les manifestants. Nous, médecins, infirmiers et soignants, nous inscrivons fermement en faux face à cette logique.

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Tout d’abord, nous sommes étonnés de voir que tant de personnes ont subitement à cœur la défense de l’hôpital public. En effet, nombre d’entre nous ont prêché dans le désert durant des années et se sont sentis très seuls lors des mouvements organisés par les professions médicales et paramédicales. Ces opérations n’ont que peu mobilisé en dehors du monde médical, quand il s’est agi de lutter contre de nouvelles mesures d’austérité imposées à l’hôpital ou contre la dépossession des moyens de décisions des soignants − pensons à la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoire) en 2009.

A croire que ce subit intérêt pour la cause de l’hôpital public n’est en réalité là que pour affubler des oripeaux de l’éthique un refus de se vacciner bien difficile à justifier.

« Acte citoyen, éthique et responsable »

Nous, soignants, vivons de l’intérieur, depuis un an et demi maintenant, la crise du Covid-19, qui n’a fait que révéler de façon suraiguë ce que nous savions déjà : trop de lits ont été fermés. Il n’y a plus suffisamment de moyens humains et matériels à l’hôpital et, fondamentalement, la logique de flux tendu ne peut pas s’appliquer à un secteur stratégique comme la santé, qui doit être capable d’absorber rapidement une crise sanitaire d’ampleur.

Les secteurs de soins les plus mobilisés sont à bout de souffle, affectés depuis longtemps par les hémorragies de personnels. En conséquence, la pandémie a éprouvé considérablement ces équipes de soin qui ne demandent qu’une seule chose : sortir de la crise. Nous constatons par ailleurs, trop souvent, les ravages de la pandémie en termes de retard de diagnostic et de prise en charge des autres pathologies. Des retards qui, parfois, grèvent lourdement la survie des patients, en particulier en oncologie.

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C’est pourquoi, indépendamment de la crise déjà existante de l’hôpital et de la santé en France, il devient urgent et vital qu’une solution efficace permette de sortir de la situation que nous connaissons depuis un an et demi. Or, la vaccination est actuellement la seule qui existe et qui permette d’éviter de bloquer le système de soin.

Déguiser un refus de vaccination en militantisme pour la défense de l’hôpital public nous semble au mieux de la bêtise, au pire de la mauvaise foi. Nous refusons que la cause que nombre d’entre nous défendent depuis longtemps − et qui nous tient à cœur − devienne un argument pour refuser un acte qui relève non seulement de la solidarité, mais aussi de la santé publique et du soulagement des équipes de soin.

Sans entrer ici dans le débat autour du caractère obligatoire, se faire vacciner contre le SARS-CoV-2 est un acte citoyen, éthique et responsable. L’un n’empêche pas l’autre : défendre l’hôpital et, plus largement, un accès à des soins de qualité pour tous n’empêche en rien de se faire vacciner contre le SARS-CoV-2. Au contraire, les deux s’inscrivent dans une logique de protection des plus précaires et des plus fragiles.

Temps de passer à l’action

La défense de l’hôpital ne peut donc être un argument contre la vaccination : c’est tout l’inverse. Comment refuser de participer à une campagne qui aurait comme premier effet de soulager les équipes de soin, tout en prétendant défendre leurs conditions d’exercice − en particulier quand la nouvelle perspective d’un plan blanc, et donc d’un autre renoncement aux congés pour les soignants, menace ? Cela n’a aucun sens. Vous avez été nombreux, en 2020, à nous manifester votre soutien et à nous applaudir chaque soir. Il est aujourd’hui dans vos moyens de faire quelque chose de concret et de simple pour nous soulager : vous faire vacciner. Après les mots et les encouragements, il est temps pour vous tous de passer à l’action.

Les quelques soignants en refus de vaccination qui le manifestent à grand bruit ne sont pas représentatifs, loin de là, de l’ensemble du corps soignant majoritairement vacciné. La plupart d’entre eux, quels que soient leurs rangs et fonctions, n’ont pas de compétence particulière dans les domaines de l’infectiologie, de l’immunologie ou de la santé publique et s’y opposent sur des considérations non médicales. Dans ce domaine précis, leurs arguments ne tiennent, en effet, pas un instant.

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A ceux d’entre eux qui se cachent derrière l’idée que l’on a détruit leurs conditions d’exercice depuis des années, pour aujourd’hui les pousser, sous prétexte de santé publique, à une vaccination dont ils ne veulent pas, nous répondons ceci : si sortir de la pandémie n’est pas une condition suffisante pour reconstruire l’hôpital public, elle n’en est pas moins une condition nécessaire.

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