Volga-Plage : un article révoltant tant sur le fond que sur la forme. Lettre ouverte au NouvelObs.

Lettre ouverte au Nouvel observateur et aux journalistes

 

Une fois de plus, alors que l’on croyait Jean Raspail, autre journaliste “spécialiste des Antilles” mort et ses émules antédiluviens noyés par les nouvelles intelligences du Tout-Monde voici qu’une journaliste française vient faire un reportage et veut vendre son tiers monde Pulitzer et son mépris pour celui-ci. Mais elle a oublié que Volga-Plage est tout simplement “la France”, ne lui en déplaise. Et que le quartier Texaco, créé autour d’un site d’entrepôts de barils, est aussi “la France”, couronné par un prix Goncourt attribué à Patrick Chamoiseau, qui plus tard n’hésite pas à faire avec Guy Deslauriers un documentaire sur Vieux-Pont, autre quartier d’habitat spontané, qui n’adopte pas le misérabilisme sensationnel et le mépris comme conducteur.

Cette journaliste connaît-t-elle tout cela ? C’est une honte que toujours et encore ce regard, cette absence de déontologie nous expose comme bibelots, comme “sujets” (au sens créole) et nous souhaitons  que les journalistes de la Martinique s’en inquiètent.

Si de ma pratique de l’anthropologie j’ai une fierté et une reconnaissance, c’est d’avoir par Volga acquis un vrai regard d’anthropologue bien des années après la fin de mes études,lors d’une enquête avec Serge Domi et Gustavo Torres, de pouvoir comprendre une identité collective d’un quartier qui laisse la place aux individus.

Les propos qui suivent d’Anicet Socquet disent l’essentiel, au nom des citoyens de Volga, et nous y adhérons pleinement.

William ROLLE, anthropologue

 

 

Monsieur le Directeur de Publication,

 Nouvel Observateur

10-12, place de la Bourse, 75002 PARIS

 Monsieur,

 Dans votre parution du N° 2518 du 7 Février 2013 consacrée à la jeunesse martiniquaise et rédigé par une de vos journalistes des propos dans lesquels je ne me reconnais pas me sont prêtés concernant le quartier Volga-Plage. Cet article est révoltant tant sur le fond que sur la forme. Il pose à la fois un véritable problème d’éthique et de déontologie car les poncifs et préjugés qu’il véhicule sont malheureusement  habituels ! Nous avions  eu la naïveté de croire qu’il pouvait y  avoir du nouveau hélas ! Nous nous sommes  trompés, nous  habitants d’un quartier, sur la personne, sur le professionnel, sur le journal et  sur les intentions. D’un point de  vue déontologique :  Que pensez d’une journaliste qui a bénéficié de la notoriété d’un mouvement  tel que « Ni Pute Ni Soumise » et qui pourtant n’hésite pas à bafouer ces valeurs en instrumentalisant insidieusement la photographie d’une jeune fille pour illustrer une accroche, somme toute commerciale : la « putain » de Fort-de-France ? Cette jeune fille est aujourd’hui effondrée, des mensonges ont été écrit  à son encontre. “Pas grave coco, c’est du bon, c’est du misérabilisme, ça va cartonner”. Je ne  vous  ferai l’injure de  vous parlez de confiance : celle sans laquelle vous n’auriez pas reçu les recommandations nécessaires à la réalisation de votre projet de rencontrer les  jeunes d’un quartier populaire. Ils l’ont  cru en difficulté votre journaliste, éloignée qu’elle semblait de cet environnement qui n’est pas le sien et enceinte de surcroît. Bien joué ! Alors que nous tentions de mener à bonne fin l’organisation du 1er Festival Populaire de Volga Plage, nous lui avons donc consacré une demi-journée complète.  Pour ma part, il s’agissait de jeunes et mon récit, celui d’un homme de 42 ans n’était là que pour conforter le caractère  « pérenne » des difficultés rencontrés et surtout les stratégies et démarches des jeunes  et des acteurs pour les contourner. Je ne devais donc pas  paraître dans cet article selon votre journaliste… Finalement, non seulement je suis cité, mais mes propos sont gauchis, tout comme d’autres pour aboutir à ce que vous croyez déjà et depuis fort longtemps :   ces gens  hospitaliers qui vous ont accueillis, ce quartier… Vous avez choisi de taire tous ce qu’ils vous ont montré de leurs efforts pour s’en sortir pour ne montrer que ce que vous vouliez bien montrer ou inventer de leur vie !  La supercherie : un quartier populaire, publiquement  traité de putain ! Quoi de mieux pour la construction de votre  texte ! Une classique opposition  jeunes volontaires et autres jeunes marginaux de préférence ! Quelques viles descriptions  et le tour est  joué ! Votre dessein paraît plus clair au vu de ce que vous avez choisi de retenir de tous ce qui vous  a  été dit et au vu du montage que vous en avez fait :  Où sont les jeunes entrepreneurs qu’on lui a présentés ?  Où sont les actions exposées sur l’organisation participative et autonome du festival populaire en cours lors des interviews avec les jeunes ? Où  sont les éléments sur le projet d’aménagement des Berges de la rivière Monsieur, unique en son genre en France et porté par la population elle-même, en s’inscrivant dans le cadre d’une démarche de développement intégré ? Quid des activités des 13 associations du quartier et de sa force citoyenne, des jeunes volontaires engagés dans les actions et de la vie du quartier, des politiques publiques en cours, des habitants, des bénévoles, des organisations sportives et religieuses, de l’histoire d’une marche populaire…..

Il ne faut pas que les habitants, que les jeunes de ces  quartiers s’en sortent… n’est ce pas ? il ne faut pas qu’on disent  qu’ils essaient ? il faut juste  qu’ils aient de l’espoir et que leur  espoir se noient dans la désespérance de leur milieu de  vie ? n’est ce pas ?  n’est pas ce que  vous  êtes  chargés de donner  à voir ?  Mais qui au juste … que protégez vous sous votre vernis de  recherche et de liberté ? De quelle putain parlez-vous au fait ?  En fait, il s’agissait de vendre du papier ! À la manière de tous ces  affamés dont le ventre est  trop plein mais qui toujours craignent d’avoir faim ! Tous leurs efforts sordides sont tendus vers une chose : ne pas perdre une once de leur gagne pain, quitte à empoisonner, emprisonner ou tuer ! Qu’importe,  vendre à tout prix ! Vous avez bafoué notre confiance d’îliens, de martiniquais, de jeunes caribéens et vous avez foulé au pied notre espoir !… mais nous avons fait l’erreur d’oublier qui vous êtes et de croire à une main tendue, à un jeu gagnant/gagnants.  Il est habituel de considérer  et stigmatiser les habitants des DOM, de les désigner sous-couvert… nous  étions donc très fiers de vous en montrer un autre versant, celui que vous avez tu. Il est  tout  aussi habituel  de donner une image, et une seule vision de la vie dans les cités : celle de l’exclusion, de la délinquance, de la prostitution.

Mais  a t-on vraiment  besoin des quartiers populaires, des banlieues et de nos enfants pour ça ? Regardez donc autour de vous … à moins que vous  ayez peur  de voir que ce que vous renvoie le miroir… A moins que ça ne  vous soit insupportable… ! Sans doute Volga répond par bien des aspects aux besoins de votre journaliste :  de rassurer et  de  véhiculer ces images ! Elle n’en est pas  à son coup d’essai : à propos de  son l’article de sur « les joueurs de football originaires des banlieues » on lit ce qui suit sur le blog  http://lalanguedeboiscenestpaspourmoi.blogspot.com  : Le nouvel Obs ou les baffes qui se perdent. En effet, dans  son analyse de votre article, la lectrice  conclut  ainsi : « Ce n’est vraiment pas rendre service au droit des femmes que d’écrire de telles stupidités. C’est même une mise en danger de la vie d’autrui »….La journaliste récidive et de nouveau à propos d’une femme.

Volga ne répond pas aux canons des aménagements modernes urbains,  soit ! mais croyez vous vraiment que c’est le plus important, dans un reportage sur les difficultés d’un jeune pour s’en sortir en 2013  ? Volga, Monsieur le directeur de publication, comme l’essentiel de la population martiniquaise a l’habitude des batailles, même les plus sournoises. Oui nous sommes nés de la Mangrove et  à la force de nos poignets avec l’aide d’hommes politiques qui ont fait de leur mieux, faisant fi du mépris, des places fortes et des passe-droits.  Oui ! La vie est dure pour les  gens des quartiers populaires, elle est dure pour les enfants de  banlieue !  Ce qui ajoute au mérite de ces  gens qui se battent.

 Enfin, pétri de la pâte de grands Hommes dont nos mémoires se réclament je vous laisse sur ces mots inspirés du Chantre Aimé Césaire:

« Écoute ses victoires proditoires trompéter ses défaites, écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement. Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs ! »

Anicet SOQUET