Jour : 15 juillet 2016

Attentat de Nice : une parole politique dévaluée ?

— Par Lionel Venturini —
parler_se_tairePlusieurs responsables de la droite profitent du carnage de la promenade des Anglais pour réclamer un nouveau virage sécuritaire, quand celui amorcé par François Hollande n’a déjà pas démontré d’efficacité.

Tandis qu’un pays se tient dignement face à l’attentat de Nice qui vient après les précédents de Charlie et du Bataclan, comme en témoigne l‘afflux à Nice pour le don de sang, peut-on en dire autant d’une partie du personnel politique qui pense qu’il n’y a pas plus urgent que d’espérer un bénéfice politique sur des cadavres tièdes ? C’est à droite qu’on trouve les plus va-t-en-guerre, avec sur la plus haute marche du podium le député (Les Républicains) Henri Guaino, convaincu que le carnage à Nice aurait pu être évité, car « il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquettes et il arrêtera le camion », a-t-il préconisé sur RTL. Frédéric Lefebvre, du même parti, est lui favorable à l’instauration de l’état de siège, déclenché pour la dernière fois en France en 1939. Député (LR) des Yvelines, Jacques Myard a quant à lui prôné, parmi huit propositions, « d’expulser tous les binationaux en voie de radicalisation » et « d’appliquer partout sur le territoire national l’interdiction du voile ».

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Du béton dans les plumes

— Par Michèle Bigot —

du_beton_ds_les_plumesFestival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-13/07/2016

Ecriture et mise en scène : Axel Cornil

Scénographie : Thomas Delord

Dramaturgie : Meryl Moens

 La terre façonne les hommes. Même quand celle-ci est cachée sous la pierre, le bitume ou l’asphalte, même quand elle est meurtrie. Surtout quand elle est meurtrie.

Ce préambule, extrait du texte d’Axel Cornil, donne le ton de ce spectacle, du moins en partie, car autant le texte peut être grave et poétique pour évoquer cette région de Mons, dévastée par l’industrialisation puis la désindustrialisation, ravagée par les guerres, où la jeunesse se désespère et ne rêve que d’ailleurs, autant il peut être drôle, féroce et dérangeant.

Quatre comédiens fougueux se partagent le rôle de Pétrone, jeune homme de 25 ans aux prises avec une impossible succession. Il hérite en bloc des guerres, des mutilations, des sacrifices, des désespoirs conjugués et d’une maison en ruine. Sa famille elle-même est en ruine. Fils d’un architecte déchu du nom d’Icare, et d’une mère noyée dans l’alcool, nommée Europe, aussi dévastée que le continent du même nom.

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We love Arabs

we_love_arabsSpectacle chorégraphique
Texte et chorégraphie Hillel Kogan
Interprètes : Adi Boutrous, Hillel Kogan
Festival d’Avignon off, La Manufacture 6-24/07/2016

Voici certainement la meilleure surprise du off 2016 ; elle ne nous vient pas du théâtre à proprement parler, mais de la danse. En tout cas, de ce genre de spectacles dans lesquels se marient heureusement texte, danse, lumière et musique. On peut parler ici de véritable texte, quoique celui-ci ne soit pas toujours parlé. Ainsi le préambule, où Hillel Kogan est encore seul en scène, nous fait part des difficultés que peut éprouver un auteur à exprimer. Exprimer quoi ? Exprimez comment ? C’est bien la question que l’auteur traduit dans un langage corporel, soutenu par l’énonciation de quelques paroles articulées à grand peine. Le jeu des mains, qui miment la difficulté d’exprimer, traduit dans l’espace ce que la parole peine à exprimer dans le temps. Rétrospectivement, on comprendra que la difficulté tient à toute création mais aussi au thème abordé : comment vivre avec les Arabes quand on est un Juif de Tel Aviv ? Et qui est cet Arabe tant redouté ?

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Le parti du moratoire

— Par Roland Tell —

le_parti_du_moratoireLe retour périodique du recours au moratoire devrait questionner davantage la classe politique martiniquaise. D’où vient donc que celle-ci ne parvient pas à s’en libérer depuis 1981 ? On sait la distinction si importante, reconnue ici, entre une élection municipale, et celle, par exemple, de la Collectivité Territoriale. Ce que le citoyen devrait exprimer dans ce dernier cas, c’est qu’il y a pour lui accession à l’ordre du rationnel, plus qu’à l’affectif, ou à l’intérêt, donc selon des principes plus élevés de maîtrise de soi, de capacité d’abstraction, d’intelligibilité essentielle à l’homme abstrait de l’isoloir… bref, tout ce qui est constitutif de l’appartenance à un espace républicain. Certes, le lien rationnel avec l’Etat ne se base pas sur le sentiment, ou sur l’affectif, ni même sur le calcul d’intérêt. Ne se fonde-t-il pas plutôt sur la raison régulatrice de chaque citoyen, afin d’être à la hauteur de soi-même, et du contrat implicite de citoyenneté ? N’est-il pas vrai qu’appartenir à la République Française ne se voit pas de l’extérieur ?
Le sentiment d’appartenance à un Etat-Nation, de plus en plus d’ailleurs Etat-nation Europe, fort éloigné du territoire martiniquais, relève-t-il de la citoyenneté seule, ou plutôt de la nationalité ?

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Mise à mort de la fécondité des connaissances en Haïti

Par Robert Berrouët-Oriol

Paru dans AlterPresse, Port-au-Prince, le 13 juillet 2016

 C’est à titre de poète et d’enseignant que j’ai reçu de plein fouet et avec une immense tristesse, depuis Port-au-Prince, la nouvelle du décès par balles assassines de deux de mes anciens étudiants : Michel Stéphane Bruno tué le 15 juin 2016 à Puits Blain (Pétion-Ville) et Whilems Édouard trucidé le 8 juillet 2016 à Pétion-Ville.

Michel Stéphane Bruno a été mon étudiant en linguistique et communication à l’Université Quisqueya, tandis qu’en 4e année j’ai enseigné la terminologie à Whilems Édouard à la Faculté de linguistique appliquée. Je garde d’eux le souvenir attachant de deux jeunes universitaires curieux, l’esprit alerte, apprenants méthodiques et exigeants, ouverts aux rapports humains enrichissants et respectueux de l’Autre.

Ces décès par balles assassines sont choquants et révoltants. Deux morts de plus, deux morts de trop dans un pays dont la criminalisation des structures et des moeurs remonte au terrorisme d’État duvaliériste, aux assassinats ciblés et à grande échelle de la dictature des Duvalier père et fils… Assassiner la vie en assassinant l’esprit est en effet l’une des principales chapes de plomb épandues sur le pays haïtien depuis la mortifère nuit duvaliériste…

Deux jeunes sont fauchés au cœur même de la fécondité des connaissances, dans le cours productif de leurs prestations professionnelles novatrices et reconnues.

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