« Violences contre les médias » : amalgames et mauvais procès

— par Frédéric Lemaire, Pauline Perrenot —

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », une défiance s’exprime envers les médias dominants et s’est traduite par un certain nombre de discours critiques et d’initiatives, allant de l’organisation de manifestations devant des sièges de grands médias au blocage d’imprimeries. Elle s’est également exprimée par des agressions verbales et physiques contre des journalistes de terrain. Certains éditorialistes, directeurs de journaux ou prétendus « experts » ne se sont pas privés des mettre toutes ces expressions de la colère à l’égard des grands médias dans un seul et (trop) grand sac : celui de la haine des médias et de la démocratie. Retour sur ces amalgames et mauvais procès.

Dans la nuit du 26 décembre, une vingtaine de gilets jaunes se sont postés à la sortie de l’imprimerie du groupe Ouest-France, au sud de Nantes, pour bloquer l’acheminement de plusieurs titres. Quelques jours plus tard, l’Est Républicain a fait l’objet d’actions similaires ; le 10 janvier, la distribution de La Charente libre a été mise à mal et dans la nuit du 11 au 12 janvier, L’Yonne républicaine, le Journal du Centre ou encore La Voix du Nord ont vu leur diffusion empêchée par le blocage de leurs centres d’impressions. Cette forme d’action vise spécifiquement la presse quotidienne régionale, là où les titres nationaux, eux, sont davantage ciblés par des manifestations qui se déroulent au pied de leurs sièges (idem pour l’audiovisuel, pour des raisons évidentes). Les parvis de BFM-TV, du Parisien, puis de France Télévisions ont ainsi été le théâtre des protestations de manifestants parisiens ces dernières semaines.

Même si elles peuvent être soumises à des questionnements politiques ou stratégiques, ces initiatives de blocages ou manifestations sont les expressions d’une colère légitime. Mais bien des directeurs de médias, éditorialistes ou prétendus « experts » ne l’entendent pas de cette oreille, et n’hésitent pas verser dans l’amalgame : pour eux, ces actions seraient condamnables, représenteraient des menaces contre la liberté de la presse voire contre la démocratie. Nombre d’entre eux n’hésitent pas à les mettre sur le même plan que les agressions de journalistes (physiques, menaces de mort et de viol) qui ont eu lieu dans plusieurs villes (Paris, Rouen, Toulouse, Pau, etc.), agressions qui ont été rapportées et déplorées dans de nombreux articles de grands médias, comme par les syndicats de journalistes.

À commencer par Alexis Lévrier, historien de la presse, omniprésent ces dernières semaines en qualité d’expert auto-proclamé de la défiance envers les médias. Le 12 janvier dans Le Monde, il dénonce les « violences contre les médias » (« Rédactions assiégées, quotidiens empêchés de paraître, journalistes agressés en pleine rue ») lors des mobilisations des gilets jaunes. Il amalgame ainsi allègrement des actions de blocages et des agressions physiques. Mais les manifestations des gilets jaunes ne sont pas les seules à être visées par ses propos : Alexis Lévrier pointe également la responsabilité… de la critique des médias dans les agressions physiques de journalistes.

Dans un article publié le 16 janvier sur le site des Inrockuptibles, il affirme que « la critique radicale des médias […] a une part de responsabilité dans la violence qui s’exprime ». Une critique qui, bien entendu selon lui, est « un discours de haine systématique », « entretient un climat de haine irraisonné », « manque totalement de nuance », et « caricature les travaux de Bourdieu ». Des propos, on est priés de le croire, tout en « nuance » et dénués de toute « caricature »… !

Le lendemain, « l’expert » s’en prend directement à notre association, ainsi qu’au Monde Diplomatique, sur Twitter :…

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