Une histoire à double message

— Par René Ladouceur —

Par un des hasards dont l’édition n’est même pas l’organisatrice, deux femmes qu’on soupçonne de préférer la littérature à la paraphrase jouent en cette fin d’année, pour notre plus grand plaisir, à l’écriture exquise.

Ces deux femmes s’appellent Christiane Taubira et Emmelyne Octavie.

La première se distingue dans Gran Balan et la seconde dans Par accident/Le jour où maman n’est pas morte*.

Pour les besoins du présent article, nous allons nous consacrer exclusivement à Emmelyne Octavie.

Pour un artiste, dénoncer les dysfonctionnements de la société, c’est accomplir son destin, remplir sa mission.

En publiant Par accident/Le jour où maman n’est pas morte, Emmelyne Octavie ne met pas seulement l’accent sur l’irresponsabilité des automobilistes, elle met aussi en cause l’état défectueux des routes en Guyane.

Elle engage, à sa manière, qui est suggestive, un travail de prise de conscience sur l’insécurité routière, dans l’exercice de sa passion et le ministère de sa foi.

De quoi s’agit-il ? D’un texte, que l’on n’ose qualifier de roman, qui véhicule une bien singulière histoire. Emmelyne Octavie, un lundi, est abasourdie par un violent accident de la route. Elle décide d’en faire une fiction, et dans le texte, qu’elle publie sur Facebook, elle évoque le décès de sa mère. La nouvelle se répand à une vitesse fulgurante. Sur les réseaux sociaux, les avis de condoléances abondent et, au téléphone, l’inquiétude des proches enfle.

C’est cette folle affaire que raconte Par accident/Le jour où maman n’est pas morte.

Rarement un récit sur les accidents de la route nous aura ainsi donné le tournis. Personnages et histoire s’y lovent voluptueusement. Ils ont de la consistance sous cette plume qui les aime manifestement.

Emmelyne a décidément le culte des personnes et des objets : il y a un ton que l’on dirait hérité d’une lecture admirative d’Elie Stephenson, dans son goût de la description détaillée, dans son usage très précis des mots pour nous envelopper dans le drapeau rouge d’un cauchemar éveillé.

Ce livre est un régal de presque tous les instants. Le talent est là, à chaque ligne. C’est un festival de fusées, la pensée y est claire, la formulation impeccable, à l’image de la phrase qui, elle, est courte, serpentine, gorgée de mots d’action et se déroule en spirale.

Le plus beau cadeau qu’elle nous fait, c’est son style, d’une justesse de miniaturiste, un style compassionnel sans être larmoyant, attentionné sans être caritatif, théâtral sans être dramatique, léger sans être léger.

On jurerait d’ailleurs que dans Par accident/Le jour où maman n’est pas morte, Emmelyne Octavie se livre aussi à une entreprise de remodelage de la forme romanesque. L’auteure, on le voit, se dispense d’intrigue et de toute aide au décryptage de ses intentions. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’entreprise a atteint son but, au point de devenir un genre en soi, inédit et troublant, qui laisse au lecteur une réjouissante latitude d’interprétation.

Le message sur les limites de la révolution Internet n’échappe pas davantage au lecteur.

On passera sur le fait que la révolution internet remet en cause aussi les modèles économiques traditionnels de la presse, et menace peut-être jusqu’à son existence telle que nous la connaissons.

Il n’en reste pas moins vrai que cette révolution place trop souvent sur le même plan le vrai et le faux, le savoir et l’opinion, l’information et la rumeur, le fait et la fiction.

Dans Par accident/Le jour où maman n’est pas morte, c’est l’histoire inventée qui est prise pour de l’histoire réelle ; c’est la fiction qui est confondue avec de l’information.

La réflexion d’Emmelyne Octavie nous rappelle ici que du point de vue de l’information générale, les médias traditionnels ont un rôle éminent à jouer.

Et ce rôle, ils vont le tenir en défendant les principes de vérification, de hiérarchisation, d’interprétation des informations, et, plus généralement, de respect intransigeant des valeurs éthiques qui constituent leur identité même.

René Ladouceur

 

*Par accident/Le jour où maman n’est pas morte-Emmelyne Octavie-PCA/CMB-189 pages-18,00 euros