« Travailler les imaginaires est une action politique » 

La phrase-titre est d’Abd Al Malik. Au micro d’Arnaud Laporte, sur France-Culture, le rappeur, écrivain et réalisateur évoque son enfance et ses études à Strasbourg, ses débuts dans la musique et sa passion pour la littérature. D’Abd Al Malik, venu à Tropiques-Atrium, le 9 novembre 2019, présenter « Le Jeune Noir à l’épée », un spectacle chanté et chorégraphié, créé à l’occasion de l’exposition « Le Modèle Noir » au Musée d’Orsay, nous savons l’authenticité des engagements, l’importance de l’ œuvre artistique, l’humanisme dont il se réclame. Nous savons aussi qu’Aimé Césaire fait partie de son panthéon littéraire : « Sénèque, Camus, Césaire sont devenus mes potes ». C’est pourquoi nous intéressent les prises de position qu’il revendique, après les manifestations contre la mort de George Floyd là-bas, la mort d’Adama Traoré, ici, où les atermoiements de la justice risqueraient bien de mettre le feu aux poudres.

« La mort de George Floyd ne doit pas masquer nos réalités franco-françaises »

Abd Al Malik, rappeur, slameur, écrivain et réalisateur participait mardi à la manifestation devant le tribunal de grande instance de Paris, organisée pour Adama Traoré. Lui-même issu d’une famille originaire de Brazzaville, ayant grandi une partie de son enfance au Neuhof, un quartier difficile de Strasbourg, il en appelle à une justice impartiale, afin que le scénario américain, après la mort de George Floyd, ne se produise en France.

Pour Télérama, Il exprime sa crainte d’un « dérapage », lié au fait que la lumière n’a pas été faite, qu’on ne sait pas ce qui s’est passé à l’intérieur du commissariat de police où est mort le jeune homme noir, après son interpellation. La crainte d’un dérapage à grande échelle, « … car le cas d’Adama Traoré est loin d’être isolé, et si les familles concernées ont demandé à ce que justice soit faite, elles n’ont pas été entendues. Cela commence par des marches blanches, et cela finit avec des émeutes, de la violence. Et l’on bascule dans des visions manichéennes, d’un côté des policiers tous pourris, de l’autre des habitants des quartiers populaires tous hors-la-loi. On a déjà vécu cela en 2005, on ne peut même pas faire comme si cela n’avait jamais eu lieu. Les gens, en voyant qu’aux États-Unis, quand ça brûle partout, cela marche, vont se dire :  on va faire la même chose. Pour éviter d’en arriver là, il est urgent que notre justice renoue avec la grandeur de notre pays, avec ses valeurs fondamentales d’égalité et de fraternité, et donc que nos politiques se fassent les garants de son impartialité. La mort de George Floyd, dont finalement on connaît bien mieux les détails que celle d’Adama Traoré, ne doit pas masquer nos réalités franco-françaises ! Sur-documenter ce qui se passe là-bas pour mieux occulter ce qui se passe chez nous, voilà le danger ».

Sur BFMTV, évoquant la mobilisation sous l’égide d’Assa Traoré, sœur d’Adama, Abd Al Malik déclare qu’il ne faut pas donner aux gens le sentiment qu’il y a une justice à deux vitesses. Il estime aussi que « si on a véritablement envie d’honorer la France, on doit être du côté de l’équité, de l’égalité, de la justice ».

Pour le monde de demain, tel qu’il devrait être

Rappelons que le 22 mai, Abd Al Malik était, avec une cinquantaine d’artistes, acteurs des cultures urbaines en France, signataire d’une tribune appelant à une prise de conscience  sur notre façon de considérer ordinairement les quartiers défavorisés : rappeurs, DJ, acteurs, graffeurs ou danseurs, tous unis pour demander que change notre regard sur les quartiers dits populaires, que les personnes issues de ces milieux ne soient plus jamais montrées du doigt. Rappelant que, tout comme les autres, elles sont pendant le confinement montées au front, « dans les Ehpad, dans les services de réanimation, sur les routes de France pour nous prémunir de la pénurie… »

Extraits de La Tribune, publiée dans le JDD (Le Journal Du Dimanche)

« Nous appelons aujourd’hui à une prise de conscience collective, pour que les valeurs de solidarité, de reconnaissance et d’inclusion soient durablement présentes dans la manière dont nous réparerons notre monde, dont nous le raconterons aussi. Quand nous recouvrerons pleinement notre liberté, quand nos vies reprendront plus nettement leur cours et que nous pourrons de nouveau nous mélanger sans restriction, faisons sauter les barrières de l’exclusion sociale, de l’indifférence et du mépris pour des populations qui jouent un rôle si essentiel.

On pourrait se dire que c’est évident, que nos sociétés auront la présence d’esprit de se mobiliser dans la durée pour reconnaître nos éboueurs, nos aides-soignantes, nos infirmières, nos livreurs à vélo à leur juste valeur à partir de maintenant. On peut néanmoins penser que cela sera plus difficile que ce que le bon sens nous le dicte. En effet, l’histoire de ces héros du quotidien est aussi celle des zones dites difficiles, parfois surnommées, par esprit d’abandon, « territoires perdus de la République ». Et le hip-hop les raconte depuis sa naissance, sans embellissements, avec sa vérité crue. (…)

Le combat face au virus a été qualifié de guerre, comme si seul ce mot pouvait unir les Français et les rendre solidaires. Demain, lorsque nous en verrons l’issue (de la pandémie), la culture sera la meilleure arme pour éviter que ne s’installe un monde qui fait de la guerre — et de l’opposition systématique — une valeur cardinale. Hugo l’écrivait déjà dans Quatre-Vingt-Treize : « Voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne obligatoire, moi, je veux l’école. Vous rêvez l’homme soldat, je rêve l’homme citoyen. Vous voulez le terrible, je veux le pensif. Vous fondez une république de glaives… je fonderais une république d’esprits ».

Partout, des Artistes engagés

À Fort-de-France se déroule en ce moment l’opération nommée « Fresques en création ». Dans le cadre des manifestations organisées par Tropiques-Atrium, en célébration de l’abolition de l’esclavage et de ceux qui ont su se libérer de leurs chaînes, quatre artistes et plasticiens de l’île réalisent, du 20 mai au 10 juin, une fresque murale commune en quatre volets sur l’un des murs les plus en vue du bâtiment, au centre-ville. Ils ont nom Caruge, plasticien, qui expose en Martinique et à l’étranger, et qui a peint des fresques urbaines sur le port et dans plusieurs communes ; Bahbou Floro artiste du street art et musicien ; Claude Cauquil, basé depuis vingt ans en Martinique où il est connu pour ses fresques dans l’espace public ;  Wolfric, artiste autodictate, chercheur en arts plastiques, qui a exposé en Martinique et en France. Leurs contributions se nomment respectivement « SURVIVANCES », « RÉZISTAN’S », « J’EN APPELLE », et « ACTE EN RÉSISTANCE ».

 

À Washington, alors que Donald Trump a durci le ton en déployant les forces fédérales et militaires dans les rues de la capitale américaine, et en élargissant le périmètre de sécurité habituel du bureau présidentiel, Muriel Bowser, la maire démocrate de Washington, a décidé de riposter de manière symbolique et pacifiste.

A la demande de la municipalité, un collectif d’artistes urbains a peint ce vendredi matin sur l’une des artères menant à la Maison Blanche le slogan « Black Lives Matter » en lettres capitales, dénonçant les brutalités policières à l’encontre de la minorité noire.

Cette initiative a pour but de « reprendre les rues, mais c’est aussi un peu une opération de communication », a commenté à l’AFP Rose Jaffe, l’une des artistes du collectif Mural DC.

« Il faudra continuer quand la peinture aura disparu », a-t-elle ajouté, demandant notamment que « la police rende des comptes ».

La maire démocrate de Washington D.C. a par ailleurs décidé de renommer la 16e rue « Black Lives Matter Plaza ». C’est sur cette avenue que se trouve l’église Saint John, cible des manifestants et devant laquelle Donald Trump s’est fait photographier le lundi premier juin, une Bible à la main…

Pour voir des images, regarder ici l’article du  Figaro

Sur Instagram : L’artiste de rue britannique Banksy, qui pour s’exprimer en street art choisit souvent des thèmes d’actualité, a publié sur son profil Instagram, samedi 6 juin, une nouvelle œuvre d’art, accompagnée de quelques phrases. Sur sa photo, on voit encadrée une silhouette noire, le cadre est posé sur des fleurs blanches et, tout auprès, une bougie commence à mettre feu au drapeau des États-Unis. « Le système a échoué avec les gens de couleur. Le système blanc ».

En France : L’artiste Combo Culture Kidnapper a réalisé une œuvre dédiée au mouvement « Black Lives Matter », dans le cadre du festival Street Art Fest Grenoble Alpes, sur un mur en face d’un commissariat de police.

Fort-de-France, le 6 juin 2020