Steve Gadet nous parle de Fort-de-France

Une analyse lue ce jour sur le Facebook de Steve Gadet

« Je veux saluer l’attitude et la réaction de Didier Laguerre, le maire de Fort-de-France, lorsqu’il a eu à faire face à la colère de certains militant.e.s. Alexanne venait de se faire gazer. Je le lui ai dit personnellement lundi soir. Face à tant d’injustices, le pays est comme une cocotte-minute. Le ras-le-bol et la colère prennent le dessus. Tout peut ou pourra mettre le feu aux poudres et ce ne sont pas les menaces de poursuites des activistes qui vont calmer les choses. La violence dont Fanon¹ parlait en 1961 s’invitera encore tant que ce piétinement de de ce que nous sommes aura lieu. Je reste attentif à cette soi-disant enquête de l’IGPN sur les violences qu’a subies Keziah.

Si j’ai admiré le calme et la présence de Didier Laguerre, je n’ai pas aimé le voir se faire conspuer et pousser de la sorte d’autant plus que, contrairement à d’autres, il n’a pas fui ses responsabilités de premier magistrat de la ville. J’ai admiré son calme parce que se faire prendre à parti, voir des chaînes passer autour de son corps et garder son calme, ce n’est pas donné à tout le monde. Je n’ai pas aimé voir ces chaînes autour de ce corps noir, ces chaînes si traumatisantes dans notre histoire. J’ai aimé son courage et sa présence parce que bon nombre d’hommes et de femmes politiques fuient le dialogue avec les militant.e.s comme le coronavirus. J’ai lu le communiqué de Mr Nilor et de Mr Nadeau, celui du M.I.R aussi. C’était la moindre des choses. Il faudra en suivre les effets. Beaucoup de responsables politiques voient les activistes comme des infréquentables, des personnes qu’on ne contrôle pas, qui n’ont pas le bon langage ni le bon look ni la bonne méthode. Beaucoup de gens de la haute société les prennent de haut. Est-ce que ces gens ont eu vingt-cinq ans un jour ? Est-ce qu’ils ont oublié leur envie de changer le monde avant que les cheveux blancs et la stabilité sociale arrivent ? Comme me le disait Gilbert Pago récemment, le clash des générations n’est pas un problème antillais, c’est un problème mondial ! On ne va pas le résoudre en étant simplement pour ou contre. Poser le problème comme ça est trop simpliste, comme l’écrivait Laurence Neeya Maquiaba. La véhémence de ces activistes effraie. Elle met mal à l’aise. Elle énerve. Parfois, elle révèle notre tiédeur, nos propres limites.

Le maire de Fort-de-France, lui, a accepté de se faire interpeller. Il a accepté d’écouter Madly, la mère de Keziah malgré la tension palpable. Hay chyen, di dan a-y blan². Soutenir ne veut pas dire être d’accord avec tout ce qui se fait et tout ce qui se dit dans ce mouvement. Avoir des désaccords ne veut pas dire qu’il faille tuer le bébé. Dans tout mouvement social, il y a des tensions, des désaccords. C’est normal ! Je n’en connais aucun qui soit lisse tout le temps. L’essentiel est de ne pas perdre de vue ce qui nous met dans la rue et les objectifs à atteindre. S’il y a des choses à revoir, il faut aussi en parler au calme loin des remous et des caméras. Cette année, le festival de Fort-de-France a mis en place des conversations publiques autour de l’histoire, de la mémoire et des statues. Grâce à qui ? Les activistes sont là pour allumer le feu sous la marmite, déclencher des conversations et fracasser le statu quo. Quand la société prend le relais, c’est une bonne chose. Hay chyen, di dan a-y blan. S’il y a une chose dont on ne pourra pas se passer, c’est de se parler, d’avoir des moments ou des espaces pour s’entendre, confronter nos visions du pays pour les aiguiser. Il nous faut sortir du vieux chemin, mieux nous prendre en main et continuer à construire l’alternative…

STEVE GADET, le mieux connaître


1. La violence tient une place dans Les Damnés de la terre, dernier livre de Frantz Fanon, publié quelques jours avant sa mort aux Éditions Maspero en 1961, préfacé par Jean-Paul Sartre et traduit en 15 langues. Cet essai analytique se penche sur le colonialisme, l’aliénation du colonisé et les guerres de libération. Il étudie le rôle que joue la violence entre colonisateur et colonisé. L’ouvrage revient longuement sur les ravages de la colonisation et des techniques contre-révolutionnaires.

2. On pourrait, peut-être, trouver comme équivalent en français : « La critique est aisée mais l’art est difficile ».