Au centre du cyclone, le maire de Fort-de-France

Une polémique inaugurée lors de la manifestation du quatorze juillet à Fort-de-France… D’aucuns le disent « enchaîné consentant », d’autres louent « le calme olympien » dont il sait faire preuve dans l’adversité… disons que comme toute personne en vue, ou chargée de responsabilités, qu’elle soit du domaine politique, artistique ou sportif, Didier Laguerre récemment réélu maire de Fort-de-France ne peut, en cette période trouble et troublée, que prêter le flanc à la critique. Critique qui cependant, qu’elle soit ou non justifiée, pourrait se faire dans le respect de l’homme, et dans la dignité de tous. En épisodes… à suivre sur le site Montraykreyol — qui propose aussi photos et vidéos prises lors des événements relatés.(Janine Bailly)

Montraykreyol, le samedi 18 juillet

Tous les noms d’oiseaux y passent, y compris celui de « corrompu ». Césaire doit se retourner dans sa tombe, lui qui avait tant fait, à travers le SERMAC, pour que la culture dite « des mornes » et le tambour soient revalorisés. Il est vrai que réduire notre culture à ce seul instrument comme on le fait depuis, c’est comme si on réduisait la culture allemande à Beethoven et à Bach. D’une manière générale, ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’une sorte de retour du bâton et le SERMAC a en quelque sorte fait le lit du noirisme. La Négritude caricaturée, mal interprétée, réduite à du « brennen bonda » au son d’un tamtam débouche forcément sur le noirisme, tout comme la Créolité caricaturée et déformée par des Békés qui se croient malins débouche sur « Tous Créoles ».

En tout cas, le calme dont a fait preuve le maire de Fort-de-France devant ce qui n’est autre qu’une inqualifiable agression verbale est tout à fait remarquable. En effet, il n’est pas sûr que lorsque d’autres politiciens au tempérament chabinique seront confrontés à ce genre d’énergumènes, ils sauront conserver leur calme. Car eux aussi, ces autres politiciens, n’échapperont pas à cette vindicte. Tôt ou tard, ils y seront confrontés et donc le mieux qu’ils pourraient faire, ce serait, s’ils sont autonomistes, d’exiger un référendum sur l’autonomie en 2021 et s’ils sont indépendantistes, un référendum sur l’indépendance en 2025. La France sait faire ça !  Depuis les années 60, en Afrique noire, jusqu’à la Kanaky (Nouvelle-Calédonie) aujourd’hui où, en octobre prochain, aura lieu le deuxième référendum sur l’indépendance et mieux : en cas de victoire du « non », un troisième référendum est déjà prévu en 2022. Nos autonomistes et indépendantistes martiniquais sont donc placés au pied du mur face à la montée du délire noiriste. Soit ils restent les bras croisés et ils en prendront plein la figure, et cela de plus en plus, soit ils se décident enfin à prendre une initiative forte. Et cette initiative forte ne peut être qu’un changement de statut après consultation du peuple…

Montraykreyol, le mardi  21 juillet

Des manifestants, dits activistes, veulent contraindre Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, à les accompagner à l’Hôtel de Police. Il s’agit, selon eux, qu’il aille y exiger la mise en liberté de deux militants placés en garde à vue. On voit donc une femme ceinturer le maire à l’aide d’une chaîne, autour des reins, sans que ce dernier ne s’énerve ni ne la repousse. Il tente de parlementer mais sa voix est couverte par les exclamations de manifestants hommes. Des cris fusent : « Corrompu ! », « Vendu ! » etc… Puis, la femme qui tient Didier Laguerre comme en laisse se met à le traîner sans ménagement, comme s’il n’était qu’un simple quidam. Toujours très calme, le maire résiste et finalement ses gardes du corps parviennent à mettre fin à cette mascarade.  Il n’est pas dit que tous les élus martiniquais soient dotés du calme olympien du maire de Fort-de-France, qu’il convient de saluer. Certains (es) devraient donc faire très attention à qui ils ou elles essaient de mettre des chaînes…

Montraykreyol, le mercredi 22 juillet

Il y a quelque chose d’à la fois comique et pathétique dans l’empressement qu’a mis le maire de Foyal, Didier Laguerre, à mettre sur pied une commission Ad hoc « Mémoire et Transmission »¹. En effet, chacun a pu voir ces images hallucinantes le montrant, sur le parvis de sa mairie, encerclé par des activistes qui le conspuaient : « Vendu ! », « Corrompu ! » etc. A ce propos, on a aussi vu une femme le tenant attaché avec une chaîne, placée autour des reins, pendant de longues minutes avant qu’elle ne tente de l’entraîner de force vers l’Hôtel de police, où les activistes voulaient qu’il exige la libération de deux des leurs, alors gardés à vue. Personne ne l’a souligné mais l’image d’une femme noire enchaînant un homme noir, quelles qu’en soient les raisons, est inadmissible. Scandaleuse même. Bien pire en tout cas que celle de policiers blancs s’attaquant à un tambour, ce qui a provoqué tant de réactions d’indignation. Les flics blancs, on les connaît ! On sait au service de qui ils sont : l’ordre colonial. Rien d’étonnant à ce qu’ils s’en prennent aux symboles du colonisé. Mais qu’une Noire enchaîne un Noir (ou l’inverse) et que cela n’entraîne aucune réaction d’indignation révèle deux choses : d’abord, les extrémités auxquelles n’hésite pas à aller le délire noiriste ; ensuite, notre accoutumance aux pires dérives. D’aucuns diront que c’est le problème du PPM et final de compte, le résultat d’une politique culturelle qui, par le biais du SERMAC notamment, n’a mis l’accent depuis des décennies, et cela jusqu’à la caricature, que sur le seul aspect nègre de la culture martiniquaise. L’avenir nous le dira…

Sinon ce qui nous interpelle, c’est la présence au sein de cette commission « Mémoire et Transmission » d’un représentant de l’association « Tous créoles », dont nous n’avons cessé de dénoncer l’utilisation mensongère qu’elle fait des idées du mouvement de la Créolité. Il s’agit là d’une imposture pure et simple, d’un véritable détournement conceptuel. Exactement comme le Duvaliérisme hier et le Noirisme aujourd’hui sont des détournements de la Négritude. « Tous créoles » ne parle pas au nom de la Créolité, et n’a jamais parlé en son nom. « Tous créoles » veut une « réconciliation » sans « vérité » alors que la Créolité veut au premier chef la « vérité », toute la vérité et dans un second temps, éventuellement, sur le modèle de l’Afrique du Sud, la « réconciliation ».

Enfin, sur le programme dont s’est dotée cette Commission ad hoc », il y a de quoi sourire. En effet, il y a 36 ans déjà que la municipalité de Rivière-Pilote a déboulonné la statue de Schoelcher et rebaptisé douze rues. Cela a changé quoi au problème fondamental de la Martinique, qui n’est autre que celui de son accession à la souveraineté nationale ? Aujourd’hui, la Droite est revenue au pouvoir dans cette commune qui fut le bastion de l’Indépendantisme. Conclusion : quand Fort-de-France (houla, l’horrible nom qu’il faudrait changer aussi, n’est-ce pas ?) aura fini par changer tous les noms de rue d’esclavagistes et de colonialistes, cela changera quoi ? Rien : le drapeau bleu-blanc-rouge continuera fièrement à flotter sur le Fort Saint-Louis…


  1. La  commission Ad hoc « Mémoire et Transmission », sous-commission de « Éducation-Culture-Identité-Patrimoine », a été officiellement installée lundi matin. Elle a pour présidente Mélody Moutamalle, qui donne dans France-Antilles du 22 juillet sa conception du travail à réaliser : « Nous sommes six au sein de cette commission. Il va falloir nous organiser avec les experts et les représentants des citoyens et citoyennes, pour pouvoir au mieux prendre les suggestions de tous et sortir une collaboration constructive. Pour amener la transmission, la mémoire, l’histoire, la culture, la tradition martiniquaise et foyalaise à tous les Martiniquais et, pourquoi pas, l’exporter au monde. La Martinique est ouverte sur la Caraïbe et le monde, il y a une culture historique en Martinique. »