Poussière(s) : à voir à tout âge

— Par Roland Sabra —

Caroline Stella est allée puiser dans ses souvenirs d’enfance les restes des contes des frères Grimm qu’on lui racontait ou qu’elle lisait pour en faire un migan savoureux dans la mise en scène de Nelson-Rafell Madel. Il semble bien pourtant que l’élément essentiel autour du quel s’organise le plat soit le « Peau d’âne. », longtemps oublié parce que sa thématique, l’inceste père-fille, semblait trop sulfureuse. Qu’en est-il de ses réminiscences dans Poussière(s) ?

Une jeune fille vit, dans un moulin, à l’ombre de son père qui la chérit et de Simon un jeune apprenti meunier qui n’est pas insensible à ses charmes. Poussière s’ennuie. Comme les ailes du moulin elle tourne en rond, observant la porte close qui la conduirait vers le monde si elle avait le courage de l’ouvrir et lui permettrait d’échapper au mariage avec l’élu de son père, un double de lui-même en plus jeune et et qui possède tout un champ de poiriers. Un pas de côté de la pomme défendue à la poire pour la soif, ou plutôt pour évoquer l’émancipation implicite contenue dans le proverbe français « Quand la poire est mûre, il faut qu’elle tombe ». Il ne faut surtout pas en dire plus car Bruno Bettelheim rappelle avec justesse que le conte de fées a plusieurs sens que l’enfant doit découvrir par lui-même. «Le bon conte de fées a plusieurs niveaux de significations. Seul l’enfant peut découvrir la signification qui peut lui apporter quelque chose sur le moment.Plus tard, en grandissant, il découvre d’autres aspects des contes de fées qu’il connaît bien et en tire la conviction que sa faculté de comprendre a mûri, puisque les mêmes contes de fées prennent plus de sens pour lui. Cela ne peut se produire que si onn’a pas dit à l’enfant, de façon didactique, ce que l’histoire est censée signifier. En découvrant lui-même le sens caché des contes, l’enfant crée quelque chose, au lieu de subir une influence».( Psychanalyse des contes de fées).

S’il s’agit donc d’un spectacle pour enfant il concerne tous les enfants, y compris surtout sans doute celui qui toujours demeure à jamais caché dans l’adulte. Quitter l’enfance est un travail de longue haleine, toujours à reprendre. Poussière s’y prépare, construit, étapes par étapes, les conditions de son départ tout comme les trois comédiens, le musicien, l’éclairagiste, élaborent l’univers du spectacle, dialoguant avec la régie, ordonnant le noir et les lumières imposant des pauses musicales entre deux courses de longue haleine pour mieux signifier ce travail de Sysiphe à vouloir sortir de l’enfance. Et quand après un long voyage de par le monde, Poussière après s’être confrontée à l’ailleurs, à l’altérité et y avoir du coup consolidé son identité, sera revenue vers le moulin, vers son père et vers Simon, elle laissera la porte entrouverte…

Quand Damien Dutrait, l’auteur de « Seulaumonde » propose à Nelson-Rafaell Madel de mettre en scène Poussière(s) ce dernier lui dit d’accord mais tu montes sur scène pour être Simon et il convainc Caroline Stella, l’autrice d’endosser le rôle de l’adolescente. Excellente façon d’impliquer initiateur et initiatrice. Il embarque dans l’épopée, son complice d’Andromaque », entre autres aventures théâtrales, Paul Nguyen de son nom,pour jouer le père / fiancé de Poussière. Devant le public, il y a là l’image d’une bande de joyeux copains,ayant quitté l’adolescence à regrets il y a peu.

Madel bouscule les genres établis et demande, c’est dans l’air du temps, à ses comédiens de savoir jouer, bien sûr, mais aussi danser, courir, chanter et de rappeler ainsi au public qu’il s’agit là, devant lui, sur le plateau dénudé de ses coulisses, de corps vivants faits de chairs, de sangs,de sueurs et de pleurs. Ce qui est montré sur la scène n’est pas qu’une simple illusion. Il n’y avait quasiment pas d’enfant ce soir là dans la salle du Théâtre Aimé Césaire (T.A.C.), pourtant au premier rang lors de l’échappée réussie de Poussière, un gamin a poussé, dans le silence policé des adultes qui l’entouraient un cri de victoire «  Elle a filé ! ». Il était Poussière. Nul ne peut en douter.

La ligne musicale très balancée est assurée par Nicolas Cloche entre guitare, harmonica et human-beatbox.. Elle entraîne par moment du coté de la comédie-musicale et c’est plaisir.
Fort-de-France, l 13/04/2019
R.S.

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Mise en scène et scénographie Nelson-Rafaell Madel
Avec Damien Dutrait, Paul Nguyen, Caroline Stella, et Nicolas Cloche en alternance avec Brice Perda
Lumières Pierre-Emile SouliéMusique Nicolas Cloche
Ingénieur son Pierre Tanguy
Collaboration aux costumes et accessoires Celia Canning
Dessin animé Marielle Guyot
Collaboration artistique Sarah Tick