Pourquoi es-tu parti avec ma sérénité ?

— Par Pierre Pastel, Sociologue/Psychothérapeute —

Je suis à l’école, je te vois.

La maîtresse, le maître est entrain de faire sa leçon, je n’entends rien,

J’ai un vide en moi, je te vois.

Je suis à la maison, tu n’es pas là, je joue, je te vois.

J’essaie de faire mes devoirs scolaires, ma tête est vide, je te vois.

Tu es à la maison, ce n’est pas toi que je vois, je te vois.

Pourquoi es-tu parti avec ma sérénité ?

Je suis adolescent, je ne sais pas qui je suis, je te vois.

Je suis avec mes camarades, je te vois.

Je suis gentil avec eux, je te vois.

Je suis méchant avec eux, je te vois.

Ils me regardent, je te vois.

Je suis seul avec moi, je te vois.

Pourquoi donc es-tu parti avec ma sérénité ?

Je suis un adulte maintenant, je te vois.

Je te vois de plus en plus.

Je suis au travail, face à mes collègues, je te vois.

Je change souvent de travail, je te vois.

Pourquoi es-tu parti avec ma sérénité ?

J’essaie de me construire une vie d’adulte, je te vois.

J’ai envie d’aimer, je me cherche, je te vois.

On s’approche de moi, on s’intéresse à moi, je hais, j’humilie, j’écrase avec finesse, parfois même sur le champ, car je te vois.

Je multiplie mes trouvailles, elles me donnent le tournis, me vident, m’attristent, je te vois.

On veut m’aimer, j’y crois, je fais semblant d’y croire, je te vois.

On m’aime, je vis en couple, je te vois.

J’ai confiance, je me crois en sécurité, je raconte enfin ma vérité, alors on me quitte, on s’insurge contre moi, je te vois.

On va jusqu’à me vendre, ou d’accepter que je me perde, je te vois.

Pourquoi donc es-tu parti avec ma sérénité ?

Dans ma vie de tous les jours

Je suis replié sur moi-même, je te vois.

Je suis timide, je te vois.

Je suis volubile, je te vois.

Je suis naïf, on profite de moi, je te vois.

Je suis envahissant, je te vois.

Je suis désorganisé, je te vois.

Je suis hyperactif, je te vois.

Je suis sans gêne, je te vois.

Je suis facile, je te vois.

Je suis agressif, je te vois.

Pourquoi es-tu parti avec ma sérénité ?

Motus et bouche cousue, ici, le silence est d’or, je les vois, je te vois.

Au fond de moi-même, je te cherche, je te vois, mais tu n’es pas toi,

Je ne sais comment te retrouver, je te vois trop.

Pourquoi donc es-tu parti avec ma sérénité ?

Si tu savais, si tu savais la profondeur de la blessure de mon cœur, la violence des déchirures quotidiennes de ma chair, les craquements incessants de mes os, l’étendue de la dislocation de ma conscience,

Oui, assurément, si tu savais la vie de tourmenté que tu me fais traverser tout le long de mon existence, tu n’escamoterais pas, ne serait-ce qu’une seconde, ma sérénité.

Quand à toi, oui toi, l’observateur, le moraliste, le philosophe, le politique, le religieux, si tu savais la vie que je mène, tu n’utiliserais pas ton intelligence pour cautionner, pour quel qu’intérêt que ce soit, le chapardage permanent de ma paix intérieure.

 

Collection calvaire des agneaux de l’inceste, de la pédophilie, de la prostitution forcée.

Pierre PASTEL

Sociologue/Psychothérapeute

Mars 2006