Plongée au cœur du sadisme

— Par Audrey Loussouarn —

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Photo : C.ALLEGRA & D.DELOGET

« Investigations : Voyage en barbarie », sur France Ô. Voyage en barbarie vient de recevoir le prix Albert-Londres dans la catégorie « Audiovisuel ». Ce documentaire met en images les témoignages 
de victimes des camps de torture dans le désert du Sinaï.

«Albert Londres avait dénoncé le fléau de l’esclavage en son temps mais le scandale du trafic d’êtres humains existe encore au XXIe siècle. » L’observation du jury du prix Albert-Londres, en le décernant dans la catégorie « Audiovisuel » aux réalisatrices de Voyage en barbarie, ne pouvait être plus juste. Cécile Allegra et Delphine Deloget signent une enquête forte sur les camps de torture sortis de terre dans le désert du Sinaï. Les victimes : ce sont pour la plupart des Érythréens fuyant la dictature, capturés pour faire l’objet d’une demande de rançon.
Le crime est bien organisé, en témoignent les modes opératoires qui se répètent

En octobre 2014, les deux journalistes avaient déjà rendu compte, par écrit sur lemonde.fr, de ce voyage dans l’horreur qui aurait été vécu, depuis 2009, par 50 000 personnes. Certains, contrairement aux 12 000 qui ne seraient jamais revenus, en ont réchappé. Robel, vingt-quatre ans, en fait partie. Il s’est réfugié en Suède avec deux autres compatriotes érythréens. Ce film, coproduit par Public Sénat (qui l’a déjà diffusé en octobre) et Memento avec la participation de France Ô, rend compte de leur quotidien, seulement orchestré par la voix de Robel, aux paroles déchirantes. Les images peuvent choquer, comme celle de ces mains atrophiées, résultat du plastique fondu. Chacun déverse ce qu’il a vécu : ces épisodes d’électrocution, de séances de coups de fouet et de lacérations qui rythment leur journée, selon la fatigue des tortionnaires qui se relaient. « Un enfer, tu pries pour mourir vite », dit l’un des garçons. La barbarie se mesure un peu plus encore à travers l’explication d’un des tortionnaires sur ce qu’il appelle son « commerce ». Car le crime est bien organisé, en témoignent les modes opératoires qui se répètent. Et cette question : les familles doivent-elles payer au risque d’alimenter ce système écœurant ? Même effet pervers quand les seuls arabophones peuvent échapper à la torture, en devenant interprètes pour les rançons. Les dernières minutes restent les plus terribles : les journalistes trimballent leur caméra dans un camp de rescapés, tout juste sortis du système. Les corps sont rachitiques, les blessures à vif sont recouvertes de mouches.

L’Humanité


Voyage en Barbarie – Investigatiôns by franceo