Non, le Pape François n’est pas José Bové!

— Par Mathieu Slama —
pape_ecoloAlors que l’encyclique sur l’écologie paraît ce jeudi, Laurent Joffrin a comparé le Pape à José Bové dans Libération. Une analyse que ne partage pas Mathieu Slama qui rappelle que la position universaliste de l’Église relève d’une conception holiste de l’homme.
Il est absurde d’en vouloir au Pape François de prendre position sur des sujets aussi décisifs que l’immigration et l’écologie. D’abord parce qu’il s’agit de thématiques absolument décisives qui engagent l’humanité tout entière -et, de ce point de vue, l’Église a son mot à dire. Ensuite parce que ces prises de position n’ont rien de surprenant en ce qu’elles s’appuient sur l’un des fondements de la tradition chrétienne: l’universalité de la condition humaine, l’existence d’une humanité partagée.[…]

Quand se pose la question de l’universel, se pose aussitôt après la question de la nation. Les deux concepts entrent inévitablement en contradiction et les débats soulevés par le Pape en sont la parfaite illustration. La question migratoire, comme la question environnementale, relève d’abord de compétences nationales et engage la souveraineté même d’un pays. Appeler, comme le fait le Pape, à un traitement plus humain des migrants ou à une plus grande prise en compte de l’urgence environnementale revient nécessairement à remettre en cause en partie cette souveraineté.

[…]

Cette idée d’une dignité humaine, indissociable de la tradition chrétienne, est par essence universelle. C’est cette même idée qui guide la position de François sur le phénomène migratoire.

Le débat universel-particulier a fait l’objet d’un combat idéologique qui a émergé au XVIIIème siècle, au moment de la Révolution française. On trouve les pages les plus virulentes contre les droits de l’homme et l’universel chez le philosophe contre-révolutionnaire irlandais Edmond Burke (Réflexion sur la révolution de France, 1790). Pour Burke, l’erreur fondamentale des révolutionnaires est de tirer un trait sur la tradition et la particularité de leur pays. «Je ne peux concevoir comment un homme peut parvenir à un degré si élevé de présomption, que son pays ne lui semble plus qu’une carte blanche, sur laquelle il peut griffonner à plaisir. Un bon patriote et un vrai politique considérera toujours quel est le meilleur parti que l’on peut tirer des matériaux existant dans sa patrie», écrit-il. Pour le philosophe irlandais, «comme les libertés et les restrictions varient avec les époques et avec les circonstances et qu’elles admettent les unes comme les autres une infinité de modifications, il n’existe pour les définir aucune règle abstraite; et rien n’est si sot que d’en discuter en pure théorie». Autrement dit, les droits de l’homme universels et abstraits se heurtent à la réalité de l’existence humaine, qui s’inscrit dans une époque et une culture particulières. C’est cette même aporie que soulève Joseph de Maistre dans sa célèbre apostrophe des Considérations sur la France (1796): «Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes, etc.; je sais même grâce à Montesquieu, qu’on peut être persan: mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie; s’il existe, c’est bien à mon insu».

La position universaliste de l’Église relève d’une conception holiste de l’Homme, inscrit dans une tradition et une communauté.

Faut-il pour autant considérer, comme Laurent Joffrin qui affirme en substance dans Libération que le Pape partage le combat de José Bové, que la position de l’Église rejoint celle des universalistes athées et des doctrinaires des droits de l’homme? Rien n’est plus faux que cette affirmation. La position universaliste de l’Église relève d’une conception holiste de l’Homme, inscrit dans une tradition et une communauté. Le Pape faisait référence, dans son discours devant le Parlement européen, à une «dignité transcendante» et mettait en garde contre «la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique»….

Mathieu Slama est spécialiste de la communication de crise.
Lire la Suite & Plus Le figaro.fr