« Petit manuel antiraciste et féministe » de Djamila Ribeiro

Dans ce Petit manuel, Djamila Ribeiro, philosophe et féministe brésilienne, aborde le racisme dans le milieu professionnel et culturel, parle de négritude, de blanchité, de désirs et affects… En dix chapitres courts et impactants, elle présente des pistes de réflexion pour reconnaître les discriminations raciales, prendre conscience de certains privilèges, adopter des pratiques antiracistes et féministes et, ainsi, assumer la responsabilité de faire bouger les choses. C’est une pratique qui commence dans les attitudes quotidiennes, et qui nous concerne toutes et tous.

Djamila Ribeiro, chercheuse en philosophie politique, est la référence du mouvement féministe noir, antiraciste, pro-LGBT et antimachiste au Brésil. Chroniqueuse pour la presse et la TV, elle donne des conférences dans le monde entier. Avec un demi-million de suiveurs sur les réseaux sociaux, c’est une activiste de poids.

Une spécificité à cette version française ! Françoise Vergès (autrice du remarquable Un féminisme décolonial) et Djamila Ribeiro s’étaient rencontrées en novembre dernier… Cherchant à construire des ponts entre nos luttes des deux côtés de l’Atlantique, quoi de mieux qu’une préface, et que de rassembler le corpus intellectuel sur ce thème côté brésilien et côté français ? En plus de la préface, Françoise Vergès nous a grandement conseillés pour rédiger une bibliographie française. Pour un féminisme véritablement transnational, qui s’enrichit de toutes les réflexions.

« Le Petit manuel de Djamila Ribeiro s’inscrit dans la lignée des manuels d’éducation populaire, de pédagogie féministe non-élitiste, de formation à la résistance et à l’autonomie.» Françoise Vergès

« Pratique, direct et fort. Une véritable leçon pour revoir et changer les comportements. » CartaCapital

Préface de Françoise Vergès
Traduit du brésilien parPaula Anacaona

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Pour une pédagogie féministe et antiraciste
par Françoise Vergès

Comment répondre au racisme quotidien ? Comment se défendre ? Comment s’éduquer, où trouver les armes théoriques et historiques qui nous renforcent ? Comment mettre en lumière la manière dont le racisme s’insinue de manière masquée dans les médias, l’enseignement, le cinéma, la politique, la télévision ? Comment valoriser les apports et contri­butions des femmes noires au féminisme et à sa phi­losophie, aux arts, aux sciences sociales ? À toutes ces questions, Djamila Ribeiro répond de manière claire et précise dans de courts textes qui constituent son Petit manuel antiraciste et féministe.

Dans un monde qui dénie le rôle central que joue le racisme dans le sexisme, le patriarcat et le ca­pitalisme, le Petit manuel de Djamila Ribeiro est in­dispensable. Avec des textes faciles à lire (et c’est un compliment), mais qui s’appuient sur une recherche rigoureuse, courts mais qui donnent plusieurs clés de compréhension, succincts mais remplis de références utiles, concis mais toujours généreux envers des au­teur.e.s, ce Manuel fait modèle, et s’inscrit dans la li­gnée des manuels d’éducation populaire, de pédagogie féministe non-élitiste, de formation à la résistance et à l’autonomie.

Dans chacun de ses textes, Djamila nous en­courage à prendre en main notre propre éducation à l’antiracisme, à aller plus loin, à se joindre à des collectifs ou à les créer. Elle nous incite à lire, à nous former, constamment, personnellement et collecti­vement. Le racisme ne se combat pas avec de belles paroles mais à travers une formation et une transmis­sion de savoirs et de pratiques indispensables. L’ef­fort à accomplir est immense mais incontournable car il faut s’opposer à des siècles de fabrication des vies Noir.e.s, des vies racisé.e.s, comme négligeables, jetables, tuables.
En France, de tels manuels ont existé mais le retour d’un racisme virulent défendu au plus haut ni­veau de dirigeants politiques, de journalistes, d’intel­lectuel.le.s, ou bien le déni du racisme derrière un « Je ne suis pas raciste », rendent pressante la publication de ce genre de manuel.

Depuis quelques années, grâce aux mouve­ments de l’antiracisme politique, l’antiracisme mo­ral a été analysé pour ce qu’il est, à peine une égra­tignure sur le mur du racisme. Dans l’antiracisme moral, le racisme est une opinion, la conséquence d’un manque d’éducation, la peur de l’Autre ; il peut dès lors y avoir un « racisme sans race » : on ne croit pas à l’existence de la race mais la culture sert de ter­rain au racisme, du style : « la culture, la religion, de ces groupes est incompatible avec la démocratie ». Le féminisme civilisateur a joué un rôle dans ce racisme avec sa dénonciation du voile qui serait le symbole de la soumission des femmes et de la culture musul­mane hostile par nature aux droits des femmes. Pour sa part, l’antiracisme politique met en lumière les mécanismes du racisme d’État, du racisme structu­rel et rappelle ses liens avec l’histoire esclavagiste et coloniale française1. Autrement dit, l’État peut être explicitement non-raciste, mais ses politiques ont des conséquences négatives pour les personnes racisées (on peut penser au délit de faciès, aux meurtres de jeunes Arabes et Noirs mais aussi à ses politiques de pollution en Guadeloupe affectant une population noire2). Malgré les dénégations de l’État, le racisme anti-Noir.e, l’Islamophobie, la Romophobie, restent des machines à stigmatiser et à tuer.

La lutte antiraciste s’est élargie aux questions d’appropriation culturelle et des biens africains spo­liés qui remplissent les musées, aux discriminations dans la santé et la recherche médicale, à la représen­tation des Noir.e.s et de toutes les personnes racisées dans les médias, au cinéma, à la télévision, au monde des arts. Des groupes afro-féministes non seulement analysent l’intersection des discriminations mais dé­noncent la misogynoire, le machisme des hommes noirs. Dans Noire n’est pas mon métier, paru en 2018, seize actrices noires et racisées témoignent des clichés, plaisanteries douteuses, racistes, qu’elles entendent dans l’exercice de leur métier en France. Des artistes racisé.e.s mettent à nu les structures racistes des ins­titutions artistiques et des écoles d’art, où les seul.e.s Noir.e.s ne sont souvent que les vigiles et les femmes de ménage, invisibilisées et surexploitées.

La publication de ce Petit manuel de Djamila Ribeiro encourage la publication de manuels simi­laires en France, qui tiennent compte de l’histoire de son empire colonial, mais aussi de son impérialisme, racisme et néocolonialisme présents. L’éclatement des situations et des problématiques (quartiers populaires en France et les dits « outre-mer ») offre un terrain fertile à l’analyse du racisme au temps du capitalisme néolibéral, de l’État et du patriarcat dans la Répu­blique française.
Un mouvement féministe antiraciste transna­tional émerge où la contribution de féministes du Sud global, longtemps éclipsée par le féminisme universi­taire anglophone, est enfin accessible. Le féminisme noir populaire de Djamila Ribeiro – c’est-à-dire au plus près des classes populaires et racisées – est un féminisme de libération. Il faut lire son Manuel et répondre à son invitation à en écrire d’autres.

1.Sur l’antiracisme politique, voir Hourya Bentouhami, « Pour une défense de l’antiracisme politique et de la démocratie », Médiapart, 15janvier 2018.
2.En Guadeloupe, ancienne colonie esclavagiste, désormais «outre-mer » français, l’État a autorisé l’épandage d’un pesticide, le chlordécone, pen­dant des années et bien après que l’extrême nocivité de ce pesticide pourla santé humaine, les sols et les eaux ait été reconnu. Le sol, les rivières, les lagons de cette île sont désormais pollués pour des générations, le taux decancer de la prostate est le plus élevé de France…