« L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits »

Pour recenser d’éventuelles violations, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a mis en place un observatoire.

— Propos recueillis par Camille Bordenet —

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de mettre en place un Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement visant à contrôler la mise en œuvre des mesures coercitives qu’autorise cet état d’exception et à évaluer les éventuelles violations des droits et libertés qui en résulteraient. Le président et la vice-présidente de l’institution, Jean-Marie Burguburu et Laurène Chesnel, partagent leurs premières observations.

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Quelle est la vocation de cet observatoire ?

Jean-Marie Burguburu : Avec la mise en place de l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, notre état de droit se trouve mis à mal par des mesures d’exception qui contreviennent à nos droits fondamentaux – liberté de déplacement, de réunion, de travail… Il relève de nos missions de contrôler que l’application de ces mesures demeure nécessaire, proportionnée, exceptionnelle, non discriminatoire et temporaire. Et de surveiller les éventuelles violations des droits et libertés. Cet instrument, créé dans l’urgence, permet des remontées immédiates des associations de terrain. Nos recommandations visent à alerter les pouvoirs publics, en espérant qu’ils y réagissent vite.

La mission de cet observatoire devrait se poursuivre après le confinement : nous resterons très vigilants au fait que certaines mesures restrictives des libertés ne soient pas subrepticement inscrites dans le droit commun, comme cela a pu se produire à la fin de l’état d’urgence qui avait suivi les attentats. Il serait facile de maintenir des mesures abaissant le niveau de contradictoire du débat judiciaire. En matière de droit du travail, le motif pourrait être tout trouvé quant à l’impérieuse nécessité de remettre l’économie sur pied. Actuellement, nous sommes particulièrement préoccupés par le projet de traçage numérique des citoyens, sur lequel nous préparons un avis.

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Quels sont vos premiers constats ?

J.-M. B. : Nous regrettons qu’aucun plan de coordination nationale n’ait été préparé en amont pour prévenir l’impact d’une telle situation sanitaire sur les personnes les plus précaires. Leur prise en charge a été laissée à la charge quasi exclusive des associations. Les mesures générales prises dans le cadre de l’état d’urgence l’ont été en prenant comme cadre de référence une certaine catégorie de citoyens – salarié, vivant en couple ou en famille, ayant accès à Internet et maîtrisant le français – qui ne saurait refléter la diversité de la population. Ignorer ces réalités, c’est prendre le risque de multiplier les contaminations, mais aussi d’accroître les inégalités.

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Vous alertez sur la situation des personnes migrantes, qu’en est-il ?

Laurène Chesnel : Ces personnes – dont certaines continuent d’arriver, le confinement n’ayant pas mis fin aux flux migratoires – ne peuvent actuellement plus faire valoir leurs droits. Depuis la fermeture des guichets uniques pour demandeurs d’asile, le 23 mars, aucune demande d’asile ne peut être enregistrée. Or le principe du droit d’asile, à valeur constitutionnelle, ne peut faire l’objet de mesures dérogatoires, même durant l’état d’urgence. Nous nous alarmons aussi de la mise en danger des personnes retenues en centre de rétention administrative, et de leurs personnels de garde, alors même que le maintien en rétention n’a plus de justification, les reconduites à la frontière étant actuellement impossibles.

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