Les travaux sur le Code noir ne doivent pas se plier aux dogmes

— Par Jean-Louis Harouel, Jacky Dahomay et Marcel Dorigny —

code_noir-400Tout un courant d’opinion prétend interdire l’étude scientifique de l’édit de mars 1685, dit Code noir. Maître de conférences d’histoire du droit à l’université des Antilles, Jean-François Niort vient d’en faire l’expérience à ses dépens. Cet universitaire unanimement reconnu par ses pairs vient de subir des attaques diffamantes et des menaces intolérables de la part de groupuscules guadeloupéens le traitant de « révisionniste et négationniste » et le sommant de « s’en aller ». Faute de pouvoir faire entendre raison à cet obscurantisme haineux, il s’est adressé au MIR France (Mouvement international pour les réparations), où il lui a été opposé une fin de non-recevoir, au prétexte qu’il procéderait à une « reconstruction de l’Histoire ».

Cela veut dire en clair que Jean-François Niort a commis la faute impardonnable d’utiliser son impeccable rigueur scientifique pour étudier le texte de l’édit de mars 1685 dans son contexte historique et de lui consacrer deux livres récents.
Identifié au mal absolu

Le MIR France voudrait croire que l’histoire du Code noir a été écrite une fois pour toutes par le philosophe Louis Sala Molins dans un ouvrage publié en 1987, Le Code noir ou le calvaire de Canaan.

Ce livre outrancier est l’objet d’un véritable culte de la part des diffamateurs de Jean-François Niort : ils en ont fait leur bible en affirmant fermement qu’il est « indépassable ».

Louis Sala Molins identifiant le Code noir au mal absolu, ce dogme interdit de faire état des articles de cette loi royale qui reconnaissent l’humanité de l’esclave et lui confèrent des effets juridiques. Or, ces articles existent et chacun peut les voir !

D’ailleurs, avant Jean-François Niort, bien d’autres auteurs éminents – à commencer par Jean Gaudemet, Jean Carbonnier ou Antoine Gisler – ont souligné que dans le Code noir, même si l’esclave est juridiquement traité comme une « chose », il se voit aussi reconnaître dans plusieurs domaines le statut d’un être humain.

Mais le « sala-molinsisme » nie cette évidence. Pour avoir osé lire ce qui figure en toutes lettres dans ce texte historique et juridique qu’est le Code noir, tout en soulignant par ailleurs amplement son caractère odieux, Jean-François Niort a fait l’objet d’un lynchage moral.

Les dévots de Louis Sala Molins prétendent justifier son infaillibilité en invoquant un compte rendu louangeur publié en juin 1987 dans Le Nouvel Observateur par Robert Badinter. Or, celui-ci n’en notait pas moins que l’auteur, emporté par sa démarche passionnelle, avait méconnu « l’intensité et les difficultés du combat mené par l’abbé Grégoire, Condorcet, Brissot et leurs compagnons pour la libération des Noirs ». Il aurait pu ajouter que Louis Sala Molins avait méconnu l’existence dans le Code noir de dispositions reconnaissant l’humanité de l’esclave.

Excessif et passionnel

Il ne l’a pas fait en ces termes, mais le résultat est le même, puisqu’il évoque l’existence d’articles qui « tendent à protéger l’esclave » et voit dans le Code noir « une tentative illusoire du pouvoir royal pour maîtriser les pratiques esclavagistes ». Tentative illusoire peut-être, mais tentative tout de même d’assurer une reconnaissance juridique de l’humanité de l’esclave. Jean-François Niort ne dit pas autre chose, et le compte rendu de Robert Badinter lui donne en définitive raison contre Louis Sala Molins.

Le MIR France affaiblit grandement sa crédibilité en se fiant aveuglément à un auteur qui prétend faire dire au Code noir ce qu’il n’a pas dit. Excessif et passionnel, l’ouvrage de Louis Sala Molins sur le Code noir n’est guère pris en compte par les universitaires.

Parmi les historiens des facultés de droit, il avait fait l’objet des critiques de Philippe Hesse et de Jean Imbert, lequel lui avait consacré une recension très sévère dans la Revue historique de droit français et étranger, soulignant qu’il manquait entièrement de la rigueur indispensable à un travail scientifique.

La cabale odieuse dirigée contre Jean-François Niort vise à lui interdire de mettre en cause la vision de Louis Sala Molins érigée en vérité absolue. C’est la négation de la liberté scientifique de la recherche, laquelle exige que soit secouée la chape de plomb du « sala-molinisme ».

Par Jean-Louis Harouel, professeur d’histoire du droit à l’université Panthéon-Paris-II, président de la section 03 (histoire du droit) du Conseil national des universités (CNU), Jacky Dahomay, agrégé et professeur de philosophie en chaire supérieure à la retraite, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, et Marcel Dorigny, maître de conférences en histoire à l’université Paris-VIII, ancien directeur de la revue « Dix-huitième siècle »

Publié aussi sur Le Monde


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